Florent Pagny, Bernard Tapie, Johnny Hallyday… Pourquoi les célébrités parlent-elles plus facilement de leur cancer ?
SANTE En communiquant sur son cancer du poumon, Florent Pagny participe à la libération de la parole sur ce sujet délicat
- Comme d'autres célébrités avant lui, Florent Pagny a partagé à ses fans ses problèmes de santé via les réseaux sociaux.
- En annonçant être atteint d'un cancer du poumon, le chanteur français participe à la libération de la parole sur cette maladie.
- Pourtant, il y a cinquante ans, s'exprimer sur sa tumeur était encore un tabou de société, du fait de la mortalité élevée causée par les cancers.
Il a fallu du courage à Florent Pagny pour se confier sur son état de santé. Le chanteur français a annoncé fin janvier être atteint d’une tumeur au poumon. Jeudi dernier, il a partagé un nouveau message avec ses fans, surtout pour les rassurer malgré la mauvaise nouvelle. Car son cancer n’est pas opérable, mais il a assuré sur TF1 qu’il va « très bien » : « Je le découvre très tôt, je suis au degré 1. Je n’ai qu’une seule tumeur, je n’ai pas de métastases. Je n’ai rien dans d’autres organes ».
Une parole libre sur un sujet pourtant difficile, qui peut effrayer. Avant lui, d’autres célébrités avaient osé parler ouvertement de leur cancer au public, à l’instar de Johnny Hallyday, Jean-Pierre Pernaut, Jean-Luc Delarue ou encore Évelyne Dhéliat. La libération de la parole sur cette maladie répandue dans la population ne date pas d’hier, mais a connu une réelle évolution ces dix dernières années. Bernard Tapie en est l’exemple le plus frappant : l’homme d’affaires n’a pas hésité à se faire filmer et photographier à différents stades de sa maladie, apparaissant très amaigri et faisant entendre sa voix éraillée.
L’essor d’Instagram
Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi les célébrités parviennent davantage à prendre la parole sur ce sujet douloureux depuis quelques années. L’essor des réseaux sociaux, et en particulier d’Instagram, a rapproché les stars de leur public, au point de ne plus pouvoir lui cacher grand-chose. « Aujourd’hui, il y a comme une obligation de transparence, on ne peut pas disparaître sans que le public en soit informé, explique à 20 Minutes Odile Ambry, experte en conseil et stratégie de communication. Donc si la star est atteinte d’un cancer, qu’elle doit subir un traitement, elle prend les devants au nom de cette obligation de transparence ». Florent Pagny a ainsi partagé le 25 janvier dernier, sur Instagram, une vidéo dans laquelle il explique à ses abonnés devoir annuler sa tournée à cause d’une tumeur cancéreuse au poumon. Quelques semaines plus tard, le 5 février, il partage une photo accompagnée de la légende : « Chimio commencée, mais la vie continue ».
Les abonnés Instagram de Florent Pagny suivent alors l’évolution et les étapes de son traitement au plus près. C’est lui qui le raconte directement. Car prendre la parole sur ce sujet c’est aussi une manière pour les célébrités de garder le contrôle sur leur histoire personnelle, ce qu’on appelle outre-Atlantique, le « storytelling ». « Elles gardent ainsi la main sur le récit de leur maladie, ne se font pas voler l’intimité de leurs corps, n’assistent pas à l’étalage de leurs souffrances physiques par certains médias », développe pour 20 Minutes, Timothée Gaget, directeur de l’agence Artcher, spécialiste de la communication des dirigeants. On l’a vu en mars 2017 avec Johnny Hallyday qui, alors atteint d’un cancer au poumon, avait tenté de contrer les fuites dans les médias fustigeant « l’affluence de mensonges qui circule sur mon état de santé. »
Une maladie moins mortelle qu’avant
Les progrès de la recherche sur la maladie participent aussi à cette libération de la parole chez les stars, comme dans la population générale. Gilbert Lenoir, vice-président de la Fondation ARC qui finance la recherche sur le cancer, explique que la maladie fait moins peur aujourd’hui, car elle est moins mortelle que dans les années 50, ce qui permet d’en parler plus librement. « Actuellement, 60 % des patients atteints d’un cancer sont guéris. Avant, c’était tabou car le diagnostic d’un cancer était synonyme de l’annonce d’une mort imminente. Parce que la maladie fait moins peur, c’est plus acceptable socialement d’en parler », explique-t-il à 20 Minutes.
Toutefois, le cancer du poumon reste le plus mortel des cancers avec 1,8 million de décès en 2020 dans le monde. En France, on détecte 46.363 nouveaux cas de cancer du poumon et on enregistre 23.800 décès par an. Une omerta s’est alors formée autour de ce cancer en particulier qui reste un sujet très sensible, explique à 20 Minutes Jean-Pierre Lassaigne, directeur de De l'Air !, association de patients, soignants et aidants « déterminés à améliorer la lutte contre le cancer du poumon ». Ce tabou autour de cette forme de cancer est alimenté par une forme de sentiment de culpabilité des patients. En effet, « c’est encore très ancré socialement que le cancer du poumon est un cancer de fumeur, explique Jean-Pierre Lassaigne. Il y a une charge de culpabilité très importante et cela participe au fait que les malades s’expriment peu. Par ailleurs le cancer du poumon tue encore beaucoup, donc il reste peu de gens pour en parler. »
Lever un tabou et se sentir soutenu
Parler de ce cancer en particulier est donc très bénéfique pour les autres patients. « Florent Pagny ose briser cette chape de silence et qu’une célébrité dise qu’elle est atteinte du cancer du poumon, ça aide à libérer la parole, donc c’est positif. Je pense que ça peut donner de la force, et ça remet de l’humanité dans le sujet », s’enthousiasme l’ancien patient Jean-Pierre Lassaigne. De manière générale, ça permet à tous les malades atteints d’un cancer de se sentir moins seuls. « Toute cause juste a besoin d’incarnation et accepter de l’incarner c’est aider la cause. Accepter d’être vu diminué c’est une leçon de courage », abonde Odile Ambry. « Florent Pagny a compris, comme d’autres dans la population générale, qu’on pouvait en parler et que quand on est en plus connu, ça fait du bien à la société », s’accorde également Gilbert Lenoir. Malheureusement, « le fait que des célébrités soient touchées par un cancer, n’influence pas le taux de dépistage, mais ça fait réfléchir les gens », nuance le vice-président de la Fondation ARC. En revanche, « quand une célébrité prend la parole au profit d’une Fondation/association, cela peut ponctuellement avoir de l’impact sur le niveau de dons », comme lorsque Denis Brogniard s’est engagé envers le Fonds Bertrand Kamal dont les fonds sont dirigés dans la recherche sur le cancer du pancréas, ajoute Gilbert Lenoir.
Et c’est un pari gagnant des deux côtés. Car la célébrité, en s’exposant, en se mettant ainsi à nu, reçoit également une vague de soutiens conséquente, qu’aucune autre personne ne peut espérer recevoir. « L’intention est double ici, la célébrité, comme toute personne, a besoin de soutien face à sa maladie. Lorsque 200.000 fans vous disent “courage, on est avec toi, bats-toi”, ça n’est pas anodin, souligne ainsi Timothée Gaget. Et l’on sait à quel point garder le moral, demeurer combatif et optimiste, est déterminant pour faire face au cancer et supporter des traitements lourds et douloureux comme les radiothérapies et chimiothérapies ».