Contraception masculine : « En 2014, je faisais une à deux vasectomies par mois, en 2021, autour de 25 »
INTERVIEW L’urologue spécialiste de la vasectomie Vincent Hupertan dévoile les techniques et les risques de cette contraception définitive qui semble s’inviter lentement en France
- A l’occasion de la sortie cette semaine de la bande dessinée Les Contraceptés, une enquête de deux journalistes sur la contraception masculine, 20 Minutes se penche sur ce sujet encore tabou.
- Si la vasectomie commence à intéresser davantage d’hommes en France, cette opération chirurgicale de contraception définitive reste confidentielle.
- Vincent Hupertan, spécialiste de cette technique depuis dix ans, explique comment se déroule cette opération et ce qu’on peut en attendre.
Quand on commence à évoquer le sujet, en général, les hommes font la grimace. La vasectomie, cette opération chirurgicale qui permet une contraception masculine définitive, fait peur à beaucoup. Pourtant, de plus en plus de Français s’y intéressent et sautent le pas. Selon notre sondage MoiJeune*, 22 % des hommes de 18 à 30 ans seraient prêts à passer par une vasectomie.
L’urologue Vincent Hupertan, spécialiste depuis dix ans de cette opération, explique à 20 Minutes les techniques, les risques… et les freins qui font que la vasectomie, si elle se fait connaître, reste confidentielle.
Pourquoi la France est-elle tant en retard par rapport à d’autres pays sur la contraception masculine ?
Aujourd’hui, dans tous les pays du monde, la contraception masculine la plus courante est la vasectomie. En France, la première loi de bioéthique, en 1994, l’interdisait. Ce n’est qu’en 2001 qu’elle a été autorisée et son cadre légal précisé. Alors qu’on ne dépassait pas les 1.000 vasectomies par an dans les années 2000, on est passé à près de 10.000 en 2018.
En France, on parle d’égalité hommes-femmes, mais ça reste une illusion. Il y a aussi un manque d’informations. Est-ce qu’on parle de vasectomie à l’école, à l’université, au planning familial ? Aujourd’hui, les gens viennent me voir grâce à Internet, aux médias, au bouche-à-oreille. J’ai un patient pour une vasectomie parce que son meilleur ami l’a fait avant.
Avez-vous l’impression que la « charge contraceptive » est un sujet qui commence à s’imposer dans l’opinion publique ?
Oui, le contexte est plus propice à ce changement. On a une société qui refuse le chimique, se tourne vers le bio. On est aussi en post-MeToo. Et certains ne veulent pas avoir d’enfant.
Cela se traduit-il par une augmentation de la demande de vasectomies ?
En 2014, j’en faisais une à deux par mois. En 2021, je suis autour de 25 par mois. Et ça se confirme au niveau national : de 2017 à 2018, on est passé de 4.800 à près de 10.000 opérations ! Il y a une demande sociétale des hommes qui émerge. Environ 80 % de mes patients me disent : « j’ai eu deux enfants, ma femme a pris la pilule jusqu’à 40 ans, maintenant, c’est à moi d’assumer ».
Justement, n’y a-t-il pas un gap de génération sur la vasectomie ?
Au Québec, un homme sur trois a fait une vasectomie, en Nouvelle-Zélande, 19 %. Ces exemples montrent qu’une égalité contraceptive arrive à un certain stade de la vie de couple : vers 40 ans, si le couple est stable et qu’en termes de parentalité, on a atteint ses objectifs. Je note toutefois une augmentation de la demande de jeunes de moins de 25 ans. Quand le patient a 18 ans, je réponds : « je ne pense pas que ça soit l’âge pour prendre une décision aussi radicale ». Mais à 24 ans, on discute.
Comment se passe une vasectomie ?
L’idée est d’empêcher les spermatozoïdes d’aller des testicules, usine à flux tendu qui ne stocke pas, jusqu’aux vésicules séminales, derrière la prostate. Après l’opération, on perd 5 % du volume spermatique. Mais sinon, rien ne change. L’homme éjacule de la même manière, il a les mêmes orgasmes, et évidemment rien ne change côté testostérone. En général, la consommation d’antidouleurs postopératoire se limite aux deux ou trois premiers jours, voire pas du tout. En revanche, 1 % des hommes peuvent présenter des douleurs chroniques. C’est le syndrome post-vasectomie, qui arrive au bout de trois mois et va disparaître avec le temps. Mais on n’a ni explication, ni solution idéale.
Existe-t-il des techniques différentes ?
Oui, deux. Si le principe de la vasectomie reste le même - interrompre les canaux déférents –, c’est la manière de chercher les canaux qui change. Il y a la voie classique, par une chirurgie ouverte du scrotum [l’enveloppe contenant les testicules]. L’intervention est réalisée le plus souvent sous une brève anesthésie générale en ambulatoire.
Il existe une autre technique, appelée « vasectomie sans bistouri », dans laquelle on réalise une petite incision de quelques millimètres pour limiter les risques chirurgicaux et notamment les saignements. Décrite dans les années 1970 en Chine, elle a été exportée aux Etats-Unis et est devenue la technique de référence dans de très nombreux pays. Elle est pratiquée dans des centres de vasectomie, sous anesthésie locale.
Quels sont les principaux freins ?
D’abord, la méconnaissance. Des idées reçues de type castration, baisse de testostérone, absence d’éjaculation… Et le fait que ça soit définitif bloque beaucoup d’hommes.
Il y a aussi l’aspect financier. La Sécurité sociale rembourse environ 60 euros pour l’opération. Mais cela ne couvre pas les frais réels. En 2017, on a chiffré qu’en réalité, il y avait une perte sèche de 136 euros par opération pour l’hôpital. Dans le privé, les médecins font des dépassements d’honoraires que tout le monde ne peut pas s’offrir. Certaines mutuelles remboursent tout ou une partie.
Une vasectomie est-elle toujours irréversible ?
En France, la loi prévoit deux consultations à quatre mois d’écart, pour un délai de réflexion. On insiste sur la difficulté de revenir en arrière et la possibilité de conserver ses gamètes dans un Cecos. Dans des pays comme les Etats-Unis, où l’on procède à 500.000 vasectomies par an, 6 % de ces hommes changent d’avis. Les équipes, entraînées, ont un taux de réussite de 90 % en cas de vasovasostomie [opération visant à redevenir fertile]. Ce que j’obtiens également, mais j’en fais une tous les 3 à 6 mois !
Quid des autres techniques de contraception ?
Beaucoup d’espoir a été suscité par la découverte en Inde du Risug (Reversible Inhibition of Sperm under Guidance). C’est réversible, puisque cette fois on ne va pas couper le canal, mais injecter un gel pour que les spermatozoïdes soient inefficaces. Ce contraceptif peut durer jusqu’à treize ans et on peut annuler l’effet de la molécule avec une deuxième injection pour que l’homme redevienne fertile. Mais ça fait des années qu’on attend les résultats d’un essai clinique…
Quant aux méthodes hormonales (injection hebdomadaire) et thermiques (slip chauffant ou anneau), elles restent compliquées. Sachant qu’il y a une inégalité physique entre hommes et femmes : Une femme qui prend la pilule n’est plus féconde rapidement, et dès qu’elle arrête, elle peut tomber enceinte au cycle suivant. Pour l’homme, c’est très différent, il faut attendre 3 à 6 mois pour qu’il soit sûr d’être infertile. Autant de temps où il faut garder une méthode de contraception féminine. D’autre part, pour les deux techniques, il existe des contre-indications et elles sont limitées dans le temps : dix-huit mois pour les hormones et quatre ans pour la méthode thermique.
*Etude #MoiJeune 20 Minutes – OpinionWay, réalisée en ligne du 12 et 13 octobre auprès d’un échantillon représentatif de 561 jeunes âgés de 18 à 30 ans (méthode des quotas).