Tests, photoscreener, lettres minuscules… Comment une orthoptiste dépiste les problèmes de vue des écoliers à Nanterre
REPORTAGE Pour éviter que les troubles visuels des enfants ne passent sous les radars, l’association Helen Keller organise un dépistage express dans treize écoles de Nanterre depuis mardi et jusqu’aux vacances de Noël
- Depuis trois ans, l’association Helen Keller Europe propose un accompagnement gratuit aux enfants de plusieurs écoles de Nanterre pour éviter de passer à côté de problèmes de vue. Et ainsi lutter contre le décrochage scolaire.
- Les troubles de la vision peuvent être multiples et sont difficiles à repérer chez les enfants, alors qu’une paire de lunettes peut énormément les aider dans leurs apprentissages.
- Selon l’association, environ 30 % des élèves qui ont bénéficié de ce dépistage express devaient aller voir un ophtalmo.
L, E, T, U… Aya ne récite pas son alphabet, qu’elle connaît parfaitement, mais tente, un sparadrap sur l’œil, de distinguer les lettres écrites de plus en plus petites à quelques mètres d’elle.
A l’école Jacques Decour, à Nanterre (Hauts-de-Seine), ce mardi matin, elle et ses camarades de CM2 rencontrent Laurence Anjou. Cette orthoptiste est venue vérifier que les élèves n’ont pas de problèmes de vue.
« Est-ce que ça t’arrive d’avoir mal à la tête ? »
Rendez-vous à 9h15 à la bibliothèque. Dans le calme, les élèves arrivent quatre par quatre pour passer tout un tas de tests en cinq minutes top chrono. Le but : voir s’ils n’ont pas de problème musculaire, d’hypermétropie, de myopie, de strabisme ou autre qui freineraient leurs apprentissages. Daoudi est le premier à répondre au rapide interrogatoire. « Est-ce que tu vois bien au tableau ? Sur ton cahier ? Est-ce que ça t’arrive d’avoir mal à la tête ? ».
L’élève de CM2 s’applique ensuite à suivre un objet coloré des yeux sans bouger la tête, à loucher, à regarder un point au loin avec un œil, puis l’autre… « Parfois, ils peuvent avoir 10 sur 10 sur un œil et 1 sur 10 de l’autre, et ils ne s’en doutent même pas ! », explique l’orthoptiste. Daoudi n’a aucune difficulté à lire les lettres au loin. « Nickel, tu n’hésites pas du tout ! », le félicite Laurence Anjou.
Dernière épreuve, celle du photoscreener, un petit appareil bruyant qui semble prendre une photo mais donne en réalité une ébauche de l’acuité visuelle de chaque enfant.
Une vache ou un dalmatien ?
Se succèdent ensuite Shyness, Tessa, Ashana… Ayoub, 10 ans, n’arrive pas à voir sur une carte certaines formes. « Il n’a pas une bonne vision du relief », prévient Laurence Anjou. Elle écrit ensuite sur sa fiche les résultats. « On a dit qu’il était à 4 sur 10 pour l’œil droit », s’applique-t-elle, en faisant attention à ne pas confondre les deux yeux. Pour Aya, également, ce dépistage n’est pas du luxe. L’élève de CM2 a consulté un opthalmologue en CP… « Mais là, elle a seulement 3 sur 10 à l’œil droit et 2 sur 10 à gauche ».
Pendant que l’orthoptiste réalise ce dépistage, trois élèves attendent sagement leur tour en jouant. « Est-ce que vous avez vu le chien ? », interroge Héloïse, coordinatrice du dépistage. « On dirait que c’est une vache ! », s’étonne Aya. « Ah, c’est parce que c’est un dalmatien ! », s’amuse Héloïse.
Ashana, 11 ans, porte des lunettes. Elle a aussi droit au dépistage, pour vérifier que ses verres sont encore à sa vue. « Ma maîtresse avait remarqué que je plissais les yeux tout le temps », explique l’élève.
« 80 % des apprentissages passent par les yeux »
A l’origine de cette intervention, il y a l’association Helen Keller Europe, affiliée à Helen Keller International, qui lutte contre la cécité évitable et la malnutrition dans une vingtaine de pays dans le monde. Le programme Plan Vue, déployé depuis 2018 dans certaines écoles de Nanterre, commence par une sensibilisation en classe. « On explique qu’une partie des personnes deviennent aveugles à cause d’une carence en vitamine A, qu’on trouve dans les légumes à peau orange, les patates douces, les carottes, explique Margaux Marchal, responsable du projet Plan Vue en Ile-de-France. Environ 80 % des apprentissages passent par les yeux, donc un élève qui ne voit pas bien va avoir du mal à apprendre à écrire… C’est déjà assez compliqué comme ça ! »
Contrairement à une carie ou des acouphènes – qui dérangent –, quand la vision se trouble, le cerveau compense. Pas évident donc de se douter qu’un enfant en train d’observer les avions dans le ciel n’a en réalité qu’un seul œil qui bosse…
« Les parents ont le réflexe d’emmener leur enfant chez le pédiatre, mais pas chez l’ophtalmo, alors que ça devrait être systématique à 3 ans, souligne Laurence Anjou. Avec cette opération, on survole. Mais si ces exercices montrent des voyants rouges, l’ophtalmo peut compléter le diagnostic. Quand un enfant a un œil paresseux, par exemple, c’est réversible avant 8 ans. Si c’est repéré à temps, il peut retrouver une acuité visuelle de 10 sur 10 sur cet oeil… »
« Environ 30 % des élèves de CM2 ont besoin d’une consultation »
En une heure, les problèmes de vue de deux élèves sur douze ont sauté aux yeux de l’énergique professionnelle. « On est dans la moyenne, environ 30 % des élèves de CM2 que nous avons suivis ces trois dernières années ont eu besoin d’une consultation », assure Margaux Marchal. Ce rapide coup d’œil n’est qu’une première étape. « Si un enfant a besoin d’un rendez-vous, on propose aux parents de le programmer chez certains ophtalmos partenaires à La Défense, sans reste à charge et rapidement, reprend-elle. En rappelant que certains Français peuvent attendre jusqu’à un an et demi avant d’obtenir un rendez-vous.
L’association s’occupe également d’équiper l’enfant de deux paires de lunettes, sans que les familles ne déboursent un centime. Si le 100 % santé, qui propose un panier de lunettes sans reste à charge depuis le 1er janvier 2020 a modifié la donne, il ne comprend que 20 montures pour enfant… et 60% des opticiens ne proposent même pas cette offre.
L’association proposera ce dépistage deux fois par semaine jusqu’aux vacances de Noël dans treize établissements de Nanterre, dont deux collèges, tous placés en réseau d'éducation prioritaire (REP). L’ambition étant d’améliorer l’accès aux soins dans les quartiers prioritaires de la ville. Et de faire en sorte que tous les enfants qui en ont besoin portent des lunettes avant février. Un coup de pouce non négligeable pour cette génération adepte d’écrans… « Le taux d’orientation vers un ophtalmologue des 5e est passé de 27 % en 2019 à 49 % en 2020, avertit Margaux Marchal. On travaille avec des ophtalmos pour voir si c’est lié au temps passé devant les écrans pendant le confinement ou si c’est logique, car la myopie se développe au début de l’adolescence. »