Coronavirus : Dépression, burn-out, anxiété… Les consultations chez les psychologues en hausse de 27 % depuis octobre
INFO « 20 MINUTES » Selon une étude de Doctolib que révèle « 20 Minutes », les demandes de consultations chez les psychologues de ville ont augmenté de 27 % entre octobre 2020 et mars 2021 par rapport à l’année précédente
- Derrière les chiffres de Doctolib se lit la détresse des Français, épuisés par des mois de confinements, de couvre-feu, parfois des deuils difficiles à faire, une anxiété omniprésente et un manque de perspectives.
- De nouveaux patients osent demander l’aide d’un psychologue. Signe que les campagnes sur la santé mentale encouragent certains à sauter le pas.
- Par ailleurs, plusieurs dispositifs visent à faciliter l’accès des Français à ces consultations remboursées, afin de dépasser le frein financier.
« Et si tu allais voir quelqu’un ? » Cette périphrase dit combien, encore aujourd’hui, on a du mal à mettre des mots sur les maux psychologiques et le besoin d’être aidé. Mais les choses changent-elles avec la crise sanitaire, qui a mis un coup de projecteur sur la santé mentale ? La détresse des Français s’entend en tout cas beaucoup dans l’intimité des cabinets de psychologues libéraux, qui voient leurs agendas se remplir depuis quelques mois.
Une explosion des consultations en ville ?
Les chiffres de la plateforme de prise de rendez-vous Doctolib (qui compte 7.100 de ces praticiens), que révèle en exclusivité 20 Minutes, prouvent en effet que davantage de Français ont consulté. Entre octobre 2020 et mars 2021, l’activité des psychologues a augmenté de 27 % par rapport à la même période l’an dernier. « Il y a une hausse assez flagrante », confirme Vanessa Lalo, psychologue clinicienne libérale. « Depuis début 2021, c’est pire, renchérit Pascal Olivier, psychologue clinicien à Clermont-Ferrand et secrétaire général adjoint du Syndicat national des psychologues. Il n’y a pas de chiffres nationaux, mais les remontées montrent qu’il y a de plus en plus de gens qui développent des troubles. Et pour ceux qui en souffraient déjà, c’est amplifié. » Pas de nouveaux maux donc, mais de l’anxiété, de la dépression, des troubles du sommeil et de l’alimentation, des addictions qui débordent.
Même son de cloche du côté de Caroline Delannoy, elle aussi psychologue clinicienne libérale : « La majorité d’entre nous avons des listes d’attente et recevons jusqu’à 10 appels par jour. Ceux spécialisés dans la gestion du stress, de l’anxiété, du psychotraumatisme, dans l’accompagnement d’enfants et adolescents sont les plus sollicités. »
Pourquoi cette explosion ? « La lassitude qu’on lit dans toutes les études, on la gère dans nos cabinets, résume Vanessa Lalo. Même des gens qui allaient bien commencent à craquer. Et ceux qui souffrent de dépression n’ont pas l’entourage pour les soutenir. » Pas de projet non plus pour s’imaginer un avenir plus rose, de sport pour lâcher les tensions, d’activités culturelles pour rêver… « Beaucoup de Français ont aussi du mal à faire leur deuil quand ils n’ont pas pu enterrer un proche », ajoute Pascal Olivier. « La pandémie, avec toutes ses conséquences sur notre vie et les préoccupations par rapport à notre santé, peut réactiver des traumatismes plus ou moins forts, pas tout à fait cicatrisés », ajoute Caroline Delannoy.
De nouveaux patients
Certains font appel à un psychologue pour la première fois. En effet, selon l’étude de Doctolib, 75 % des praticiens expliquent avoir constaté une augmentation de leur charge de travail ces derniers mois, essentiellement liée à l’arrivée de nouveaux patients. « Je reçois beaucoup de personnes qui n’auraient pas demandé d’aide avant, assure Vanessa Lalo. Notamment des commerçants, des entrepreneurs, des indépendants, qui s’en sortent par eux-mêmes, qui s’enfermaient dans le travail quand ça n’allait pas. On les ramasse à la petite cuillère. »
Caroline Delannoy observe aussi un « vrai changement. J’ai des demandes de personnes qui disent "Je commence à ne pas me sentir bien". Elles se sentent déculpabilisées. Avant, certaines pensaient "si je me sens mal, c’est de ma faute". » Mais à côté de cette prise en charge précoce, certains nouveaux patients arrivent dans un état délétère. « On voit aussi beaucoup de personnes au bord du désespoir, en burn-out parental, avec des idées suicidaires », alerte Caroline Delannoy.
Une déstigmatisation ?
Depuis la crise du Covid-19, la parole gouvernementale a mis en lumière la santé mentale des Français. Et le bouche-à-oreille a déstigmatisé ce pan de la santé, qui reste pourtant victime de caricatures. « Les entreprises investissent dans la santé mentale de leurs collaborateurs, c’est un encouragement de plus, ajoute Caroline Delannoy. Un soutien psy proposé dans sa boîte devient aussi naturel que faire du yoga… »
« Consulter un psychologue se démocratise un peu, renchérit Pascal Olivier. Il doit y avoir une conjugaison d’effets : on en parle plus dans les médias, il y a peut-être aussi un effet de la série En thérapie, qui peut sortir des représentations habituelles. » Mais le regard des autres, pas toujours encourageant, et l’aspect financier freinent certains. L’étude de Doctolib montre que selon 35 % des psychologues, le prix de la consultation est l’obstacle principal pour les patients. « Je ne m’attendais pas à un nombre important de demandes de consultations gratuites, dévoile Vanessa Lalo. Ce n’est pas normal d’avoir une France à deux vitesses : quand on est riche, on peut se soigner, sinon on reste en dépression… »
Des améliorations dans l’accès
Au niveau du gouvernement, cette question semble identifiée. La preuve : les choses bougent sur trois plans. D’une part, l’Assurance maladie teste depuis deux ans un remboursement des consultations dans quatre départements (Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Landes, Morbihan). Un schéma encouragé par la Cour des comptes, qui recommandait en février de le « généraliser dès que possible ». Problème : « le prix de ces séances, 22 euros sans dépassement d’honoraire, c’est la moitié du tarif habituel, entre 50 et 60 euros, et ce n’est pas viable pour un libéral qui doit payer des charges », critique Pascal Olivier. Par ailleurs, il faut qu’un généraliste adresse ce patient au psychologue. « Or les études montrent que ça ralentit le parcours, car beaucoup hésitent à dire à leur médecin de famille qu’ils vont mal. » Et les généralistes, dans les déserts médicaux ou mobilisés dans la lutte contre le Covid-19, ont déjà beaucoup à faire…
Deuxième nouveauté : depuis le 1er février 2021, les étudiants peuvent accéder à un chèque psy, qui couvre trois séances de 45 minutes remboursées, à condition qu’elles soient prescrites par un médecin.
Enfin, troisième avancée : le 22 mars, les fédérations de mutuelles, assurances santé et institutions de prévoyance ont annoncé la prise en charge de consultations de psychologues, jusqu’à quatre par an, sur prescription médicale et « dans la limite de 60 euros par séance ». Un tarif plus raisonnable, selon le syndicat. « Mais certaines mutuelles remboursent déjà quelques séances par an », assure Vanessa Lalo. Et sans passer par la case médecin traitant. « La santé mentale devient de plus en plus une priorité, rassure néanmoins Pascal Olivier. Le syndicat n’a jamais été autant sollicité par les attachés parlementaires et les cabinets ministériels. »