Coronavirus : Comment la France pourrait s'inspirer d'Israël pour améliorer sa campagne vaccinale ?
INTERNATIONAL Israël est souvent cité en exemple sur la campagne vaccinale contre le Covid-19, car c'est le pays qui a déjà vacciné 1 million de ses citoyens
- Israël espère vacciner 2 millions de personnes (sur 9 millions) d'ici la fin janvier.
- Un succès scruté à l'étranger qui s'appuie sur une anticipation pour vacciner au plus vite, une logistique efficace et une communication forte.
- Est-ce que la France, très critiquée pour sa lenteur, pourrait s'en inspirer ? Dans une certaine mesure seulement, puisque les deux pays sont très différents.
Les critiques n’arrêtent pas de pleuvoir sur le gouvernement pour sa très lente campagne de vaccination. Et certains regards se tournent à l’international. Si nos voisins allemands, qui ont déjà vacciné plus de 230.000 personnes font également les frais de remontrances de certains, il est un pays qui dénote pour sa rapidité : Israël.
Comment Israël mène sa politique vaccinale ?
En effet, depuis le 19 décembre, les premières doses du vaccin Pfizer-BioNTech sont administrées aux citoyens israéliens dans 300 centres de vaccinations. Celles de Moderna arrivent ce jeudi même. Le pays espère donc avoir vacciné 2 millions de citoyens d’ici à la fin janvier.
« Le succès de la campagne repose sur trois piliers : anticipation, fluidité de la logistique et communication, synthétise Frédérique Schillo, historienne spécialiste d’Israël qui réside à Jérusalem. Les vaccins ont été préachetés avant la fin des phases cliniques, dès juin pour Moderna. Ensuite, on voit que la logistique est particulièrement efficace, via les quatre caisses de Sécurité sociale. Ce qui est intéressant, c’est que ces deux aspects sont liés. Connaissant l’efficacité de la logistique de ce petit pays, les laboratoires Pfizer et Moderna ont fait en sorte qu’Israël soit servi parmi les premiers. Il pouvait être un pilote, voire une vitrine du succès. »
Comment fonctionne cette logistique ? Les citoyens prioritaires, à savoir les plus de 60 ans, personnes à risque, enseignants, soignants et travailleurs de l’aéroport sont contactés en fonction de leur numéro de Sécurité sociale par texto pour aller se faire vacciner. Libre à eux de venir ou pas, puisque la vaccination n’est pas obligatoire. Sur le SMS, heure et lieu de vaccination pour éviter attente et clusters. Non seulement les médecins, mais tous les professionnels de santé peuvent vacciner. « C’est un mélange entre la solidité du système travailliste [qui a construit le système de Sécurité sociale] et la modernité de la start-up nation : tout est digitalisé, résume Frédérique Schillo. Grâce au dossier médical partagé, toutes les informations sont accessibles à chaque médecin sur Internet. Le suivi médical se fait également en ligne. Les vaccinodromes fonctionnent sept jours sur sept, même pendant Shabbat. Israël est rompu aux crises… et au sursaut national. Quand d’autres proclament la guerre au coronavirus, Israël la fait, et on sait qu’Israël sait faire la guerre. »
Enfin, troisième axe, la communication. « Elle est massive, positive, très claire sur l’efficacité, les modalités du vaccin », reprend l’historienne. Avec un exemple venu du haut : le premier Israélien à s’être fait vacciner n’est autre que le Premier ministre. Suivi de près par d’autres politiques, des célébrités… « Il y a un dernier élément dans ce succès, que les Français avaient sans doute négligé, ajoute-t-elle. C’est que les pays sont comparés les uns vis-à-vis des autres. Or, pour ce petit pays, apparaître comme le champion du monde de la vaccination, c’est une fierté. » Il y a donc un bouche-à-oreille qui fonctionne : c’est rapide, fluide et on participe à l’« effort national »…
Une réussite que met beaucoup en avant le Premier ministre. « Tout devient événement : pour la livraison des premiers vaccins Pfizer, Benjamin Netanyahou a été sur le tarmac pour accueillir les premières doses, raconte l’historienne. Par ailleurs, des campagnes médiatiques de l’État passent dans les journaux, à la télévision, avant le journal de 20h où le responsable du comité corona présente, graphiques à l’appui, pourquoi ce vaccin a été si rapide et répond aux questions. »
Rappelons que ce pays, qui comptabilise 460.000 cas et 3.500 décès depuis mars, vit son troisième confinement strict. Et que le 23 mars 2021, Benjamin Netanyahu joue sa réélection. Il aurait donc tout intérêt à pouvoir présenter la campagne vaccinale comme un succès. « Aujourd’hui, tout le monde reconnaît qu’il a joué son rôle, analyse Frédérique Schillo. Personne n’oublie pour autant qu’il réussit cette campagne parce qu’il bénéficie de l’héritage travailliste, qui a mis au point cette Sécurité sociale. On va très vite reparler que sa politique libérale qui a cassé les hôpitaux. Avant cette crise, Israël figurait en bas du classement du nombre de lits… » Bien sûr, cette campagne n’est pas parfaite. « Les Palestiniens ont plus de difficultés à accéder à la vaccination », souligne Anne Sénéquier, médecin et co-directrice de l’Observatoire de la santé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Qu’est-ce qui différencie la France et Israël ?
Il existe des spécificités qui rendent plus facile cette vaccination dans ce petit pays. « Neuf millions de personnes sur des territoires restreints, très urbanisés, la population est donc facilement accessible, reprend Anne Sénéquier. Le gouvernement israélien n’a pas hésité à utiliser la logistique militaire qui est à la fois bien rodée et bien acceptée puisque la majorité des hommes et des femmes sont passés par le service militaire. »
Autre différence fondamentale : la défiance. « La méfiance est bien moindre en Israël qu’en France », assure Anne Sénéquier. « Quand Netanyahou s’est fait vacciner, il y avait un quart des Israéliens qui ne voulaient pas se faire vacciner, nuance l’historienne. Et parmi ceux qui y étaient favorables, 40 % des femmes ne voulaient pas se faire vacciner tout de suite. »
La France peut-elle pour autant s’inspirer d’Israël ?
Aucun doute, pour Frédérique Schillo, la France pourrait regarder du côté d’Israël pour dépoussiérer sa communication avec des spots publicitaires pédagogiques pour expliquer l’importance de ce vaccin. Côté logistique, notre pays semble faire une récente volte-face. Pendant longtemps, le gouvernement refusait d’ouvrir d’immense vaccinodromes, rappelant le mauvais souvenir de la campagne contre le H1N1 où ces lieux sont restés vides. Mais le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a assuré mercredi que la France allait se doter de 100 centres de vaccination en ville, et en comptera 500 d’ici deux semaines. « Israël, comme la grande majorité du monde, a fait venir la population vers le vaccin, souligne Anne Sénéquier. En France, on fait venir le vaccin aux personnes vulnérables. On est en train de construire un entre-deux, c’est intéressant. » Le gouvernement pourrait aussi autoriser à vacciner d’autres soignants : infirmiers, pharmaciens, qui d’ailleurs le demandent.
Pour Anne Sénéquier, la France pourrait également s’inspirer du pragmatisme israélien. En fin de journée, s’il reste des doses (cinq par flacon), il existe une liste d’attente pour les personnes volontaires, mais pas prioritaires. Et chacun peut également s’y rendre sans rendez-vous. « C’est pertinent, cela permet d’élargir la vaccination et d’éviter le gâchis », assure Anne Sénéquier. Et Frédérique Schillo de sourire : « On a tous entendu ici cette blague du livreur de pizza qui passait devant le centre de vaccination et qui a pu se faire vacciner… »