Coronavirus : Le (presque) déconfinement du 15 décembre peut-il fonctionner ?
EPIDEMIE Malgré une légère hausse des cas et un plateau depuis quelques jours, le déconfinement a été maintenu le 15 décembre
- L’objectif des 5.000 cas par jour ne sera pas atteint pour le 15 décembre, mais le gouvernement a tout de même décidé ce jeudi de maintenir le déconfinement à cette date-là.
- Stagnation du nombre de cas, froid hivernal et fêtes de famille comme potentielles superclusters... Ce déconfinement sera celui de tous les risques.
- A-t-il malgré tout la moindre chance de déjouer les pronostics pessimistes et de fonctionner ?
Exposé de manière brute sur la table, le pari semble audacieux, voire risqué. Alors que les cas commencent légèrement à réaugmenter dans le pays après une baisse importante puis une phase de plateau, la France va lâcher un peu de lest sur les mesures sanitaires en entamant un déconfinement le 15 décembre. C’est ce qu’a annoncé le gouvernement ce jeudi lors du point presse hebdomadaire, alors que l’objectif des 5.000 cas pour mardi prochain, chiffre initial pour le déconfinement, sera loin d’être atteint, et que les cas ne baissent plus. « Ce jeudi soir près de 14.000 diagnostics de Covid-19 ont été rapportés alors qu’il n’y en avait que 12.000 jeudi dernier », annonçait ainsi Olivier Véran.
Impossible n’est pas français paraît-il, alors ce déconfinement qui partira sur de (très) mauvaises bases épidémiques peut-il tout de même réussir ? 20 Minutes vous répond en trois questions.
Ce déconfinement peut-il nous amener droit à une troisième vague et un reconfinement ?
« C’est effectivement un risque », estime Pascal Crépey, épidémiologiste et biostatisticien à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Il faut dire que la situation peut s’appréhender comme un triple cocktail explosif : une libre circulation des personnes alors que celle du virus ne baisse déjà plus, le froid hivernal et des réunions familiales et amicales lors des fêtes de Noël et de Nouvel an.
On y va point par point. Le premier vire à l’évidence : plus les Français sont libres de circuler, plus le virus peut le faire à travers eux, plus les contaminations augmentent. C’est même tout le principe du confinement : abaisser le nombre de contaminations en diminuant les interactions.
Ces derniers jours, le gouvernement a justifié la mauvaise passe actuelle par le froid hivernal, comparant la situation française à celle des autres pays d’Europe, tous subissant une seconde vague particulièrement rude ces derniers jours, « en raison du froid ». Le froid nous rend non seulement plus fragile, mais surtout dope nos comportements à risque : moins d’aération, plus de lieux clos, moins de rencontres dehors. Tout ce qu’aime le coronavirus pour se répandre. Olivier Véran a étayé ce jeudi l’impact du froid en France, en comparant la Bretagne, au climat plutôt clément pour un mois de décembre et à la situation sanitaire plutôt bonne, à la Bourgogne-Franche-Comté, qui connaît un hiver rude et qui vient de reprendre les évacuations sanitaires cette semaine. Pascal Crépey : « La situation est beaucoup plus compliquée à gérer et à maîtriser par temps froid, et ça ne va pas aller en s’améliorant dans les mois à venir. »
Enfin dernier point, et peut-être le plus redouté, les fêtes. Pour voir l’impact désastreux qu’elles peuvent avoir, petit tour en Amérique du Nord, qui commence à mesurer les conséquences de Thanksgiving, fête outre-Atlantique qui entraîne de nombreux rassemblements familiaux. Au Canada, « l’Action de Grâce » a eu lieu le 12 octobre. Deux semaines plus tard, le nombre de contaminations passe de 180.000 à plus de 220.000 cas. Deux mois plus tard, le Canada compte désormais 423.000 cas de Covid.
Pour les Etats-Unis, le jour sacré au lieu le 26 novembre. A cette date, le pays comptait 12.883.000 cas de Covid-19. Deux semaines plus tard, jeudi 10 décembre, il en compte 15.600.000. Soit plus de 20 % de plus en quinze jours. Les décès ont également battu le record hebdomadaire et augmenté de 44 % par rapport à la semaine précédente. Et encore, les effets du pic de Thanksgiving ne devraient que réellement débuter maintenant, lors de la troisième semaine post-fête.
Dans ces conditions, fallait-il vraiment déconfiner ?
Tout cela n’incite pas à l’optimisme, mais y avait-il vraiment le choix ? Pascal Crépey : « Ce qui compte, c’est moins les mesures énoncées par le gouvernement que leurs applications et leur respect par la population. » Autrement dit, rien ne sert de ne pas autoriser Noël si c’est pour avoir le désaveu et la fraude massive de la population. A ce titre, les mesures annoncées ce jeudi semblent un succès : selon un sondage exclusif Ifop-Fiducial pour CNEWS et Sud Radio publié ce vendredi, 69 % des Français ont l’intention d’accepter les consignes pour le 31 décembre.
L’épidémiologiste poursuit : « Le coronavirus ne sera pas fini au 1er janvier 2021, il faut donc garder l’adhésion de la population. Et penser aux conséquences psychiques ». Ne pas sacrifier Noël pour sauver un peu le moral moribond des Français.
Pour Pascal Crépey, « Noël est évidemment un risque majeur de reprise épidémique, mais c’est un risque qu’on accepte tous collectivement de prendre. A la population de s’adapter et de tout faire pour être prudente et être ultra-vigilante lors des fêtes mais aussi en dehors, pour atténuer le virus ailleurs. »
Peut-on s’en sortir ?
« Il y a certes un risque de reconfinement en janvier, mais si on aboutit à ce scénario, ce sera un immense échec collectif », estime Pascal Crépey, pour qui « la France a toutes les cartes en mains pour réussir à ne pas subir une nouvelle flambée épidémique » : masque, test, population avertie et renseignée, application StopAnticovid, etc.
D’autant plus qu’il ne s’agira pas d’un déconfinement total, loin de là. Fermeture des bars, des restaurants, des théâtres, des cinémas, des musées et surtout couvre-feu de 20 heures à six heures du matin (excepté le jour de Noël). Couvre-feu qui avait démontré son utilité sur les villes où il avait été appliqué avant le confinement, ayant connu une baisse des cas plus rapides que celles n’ayant pas eu de restrictions horaires.
L’épidémiologiste poursuit : « Le virus n’est pas magique, il ne tombe pas du ciel et ne circule pas tout seul, il se transmet de personne à personne, si chacun fait attention à limiter ses contacts, il n’y a pas de raison objective que la situation empire ».
Et tant pis si toute l’Europe connaît un rebond épidémique avec le froid ou si l’effet Thanksgiving inquiète pour Noël. Pascal Crépey : « Il est temps d’arrêter de justifier notre situation en la comparant aux autres pays et de tenter de faire mieux qu’eux. » A nous de jouer donc.