Coronavirus : L’isolement des malades et cas contacts doit être réorganisée, comment faire ?

SANTE PUBLIQUE Le Conseil scientifique a tiré la sonnette d’alarme sur l’inefficacité du système actuel d’isolement des malades, trop long et donc peu suivi

Rachel Garrat-Valcarcel
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Un test PCR en France.
Un test PCR en France. — Michel Euler/AP/SIPA
  • Le nombre de nouveaux cas augmente tous les jours où presque en France, pourtant l’isolement des malades a du mal à être respecté.
  • Impossible de le rendre obligatoire, mais il est possible qu'il soit mieux suivi, en réduisant la durée de l’isolement, par exemple.
  • Pour le chercheur en psychologie sociale interrogé par 20 Minutes, cela doit aussi passer par une prise de conscience des jeunes, qui ont du mal à s’isoler alors que la maladie est peu létale chez eux et chez elles.

Après les masques et les tests, c’est le nouveau maillon faible de la lutte contre le coronavirus en France : l’isolement des personnes contaminées et des « cas contacts », les personnes qui les ont croisées.

Le Conseil scientifique a dressé mercredi un « constat d’échec » du dispositif de quarantaine, qui dure actuellement quatorze jours. « Aujourd’hui peu de gens s’isolent » et cela « fragilise notre capacité à maîtriser les chaînes de contamination » du coronavirus, a regretté Laëtitia Atlani, anthropologue et membre du Conseil scientifique, au cours d’une conférence de presse en ligne.

S'isoler, c’est « coûteux sur le plan psychologique et social »

Pourquoi ça ne marche pas ? Parce que s’isoler seul, c’est « coûteux sur le plan psychologique et social pour les personnes », dit à 20 Minutes Jocelyn Raude, enseignant chercheur en psychologie sociale à l’Ecole des hautes études de santé publique. Or, à quatorze jours de quarantaine, le coût devient « extrêmement élevé », dit-il. Et donc, la consigne est moins bien suivie. Cela n’a d’ailleurs rien de très nouveau.

« Pendant la crise d’Ebola, se souvient Jocelyn Raude, quand on avait des mesures d’isolement qui s’avéraient trop coercitives, même si elles sont fondées sur le plan scientifique (ce qui n’est d’ailleurs pas forcément le cas pour les quatorze jours), on avait des phénomènes de dissimulation des cas ou de malades, parce que c’est trop coûteux socialement pour les individus. »

« Parfois, le mieux est l’ennemi du bien », dit encore le chercheur pour désigner ce dilemme vieux comme la santé publique : « Où est-ce qu’on met le curseur entre l’efficacité d’une mesure et son acceptabilité sociale ? » Ce curseur est d’autant plus difficile à placer qu’il diffère d’un pays à l’autre, les différences culturelles jouant à plein.

Une impression de discrimination

« La France a un fond culturel très égalitaire et on supporte assez mal tout ce qui est perçu comme une forme de discrimination. Il y a deux titres d’approches en santé publique : les stratégies ciblées, sur les groupes à risque, et les stratégies universelles, sur l’ensemble d’une population et en général cette approche passe assez bien en France. Dans d’autres pays on privilégie les approches plus ciblées. Le confinement français est un bon exemple. »

L’isolement, par définition solitaire, des personnes positives ou qui pourraient l’être, apparaît alors comme une sorte de discrimination pour certains ou certaines. Au printemps, on se souvient par exemple que la simple rumeur d’une poursuite du confinement uniquement pour les personnes à risques, c’est-à-dire les plus âgées, avait suscité une levée de boucliers et avait été rapidement écartée. Dans ce cadre, la probable annonce d’une réduction de la quarantaine à sept jours apparaît comme une bonne nouvelle pour Jocelyn Raude : « On réduit quand même sensiblement les effets sur le plan professionnel et personnel ».

Organisation

Pour rendre cet isolement encore plus efficace, encore faudrait-il permettre aux personnes concernées d’être ravitaillées en vivres, voire en médicaments, sans avoir à se rendre dans la rue ou dans des magasins, bien sûr. Serait-il possible de livrer les isolés ? Certaines mairies livrent déjà des repas, en temps normal, à des personnes âgées. Reste à savoir si étendre ce type de fonctionnement est crédible. Plus globalement la question de la logistique se pose.

Jocelyn Raude rapproche cela de la stratégie sur les tests. « Ça fonctionne bien, jusqu’à ce qu’on atteigne une taille critique, et à ce moment-là on voit que le système s’essouffle ou s’effondre. Les délais s’allongent en l’occurrence, et donc on perd l’efficacité du dispositif et c’est tout à fait ce qui pourrait arriver avec un " système d’isolement " qui serait victime de son succès. Sans doute qu’au début, ou quand il y a des ressources disponibles ça fonctionne assez bien mais à partir d’un certain seuil on appréhende les limites du système ou finalement c’est un peu chaotique. »

Dernier défi : convaincre les jeunes de se soumettre à cet isolement, si jamais ils ou elles sont positives ou cas contact. « La plupart des sujets jeunes ont bien compris que la maladie était très faiblement létale pour eux. Alors l’heuristique de la peur, qui est l’un des principaux moteurs du changement de comportement, recule ou ralentit chez les jeunes. Lorsqu’il s’agit de prendre des mesures très contraignantes quand leur propre santé n’est pas en jeu, mais plutôt la santé des autres, on tombe sur des considérations altruistes qui n’ont pas été beaucoup mobilisées jusqu’à présent. Parce qu’on vit dans une société de plus en plus recroquevillée sur un terrain individuel, cela demande de réactiver des notions de solidarité un peu mises à mal ces dernières années. »