Coronavirus : Pour certains, les troubles du sommeil perdurent malgré le déconfinement
PSY Le confinement a provoqué des insomnies chez beaucoup de Français, mais le déconfinement n’a pas sonné la fin des tourments
- Les troubles du sommeil ont beaucoup augmenté pendant le confinement.
- Mais pour certains, ces difficultés perdurent malgré le déconfinement.
- Conséquences du confinement, horloge biologique déréglée, anxiété liée au coronavirus ou à un environnement extérieur dangereux… Trois spécialistes du sommeil détaillent les raisons de ces problèmes persistants.
« Au départ, le confinement, c’était comme un jeu, avoue Grazziella, 58 ans. Et puis très vite, c’est devenu très anxiogène. Au fil du temps, le dérèglement du sommeil s’est installé. Pas d’endormissement avant 4h du matin. Et les nuits blanches se cumulaient. » Cette internaute, qui a répondu à notre appel à témoignages, a retrouvé son emploi, mais pas les bonnes nuits. « J’espère reprendre le contrôle de mon sommeil avec la reprise générale. Car je reste pour le moment complètement à côté de la plaque, très fatiguée alors que j’ai passé presque deux mois confinée chez moi. »
Pour certains Français, qui ont découvert les insomnies ou vu exploser leurs problèmes de sommeil, le déconfinement n’a pas sonné leurs retrouvailles avec le marchand de sable. Au point même que la consommation de somnifères a augmenté lors de la première semaine après la levée du confinement, de 6,9 % par rapport au niveau attendu, estimé sur la base de la même période en 2018 et 2019.
Les conséquences du confinement
« On a vu de jeunes actifs, qui n’étaient pas sujets aux troubles du sommeil, venir consulter lors du déconfinement », explique Céline Martinot, médecin du sommeil et coordinatrice du Réseau Morphée. Impossible de dire si ces troubles sont liés au confinement, au coronavirus toujours présent, aux inquiétudes pour l’avenir… ou plus simplement au fait que les patients ont peu consulté pendant cette période.
Pierre Philip, responsable de la clinique du sommeil du CHU de Bordeaux , a lancé le 20 avril 2020 une application gratuite nommée Kanopée , qui aide chacun à évaluer, grâce à un compagnon virtuel, ses difficultés. « Une personne sur deux qui a utilisé notre application avait une plainte médicale avérée, explique-t-il. En temps normal, les études épidémiologiques dévoilent qu’entre 10 et 15 % des Français souffrent d’insomnies. Avec le confinement, les données à l’internationale situaient cette proportion entre 30 et 50 %. Il y a donc eu une augmentation massive, ce qu’on retrouve d’ailleurs pour les autres épidémies. Et encore aujourd’hui, environ 1.000 personnes utilisent chaque jour Kanopée, témoin de la persistance de ce trouble. »
Retrouver le bon rythme
Pourquoi ? D’abord parce que les troubles du sommeil mettent beaucoup de temps à disparaître. « Surtout si on ne met pas en place un traitement, poursuit Pierre Philip. Or, il y a une saturation du réseau médical actuellement. » Certains payent les mauvaises habitudes adoptées pendant les deux mois d’enfermement. Ce qu’expérimente Josiane, 64 ans. « Depuis le déconfinement, j’ai le sommeil plus léger et suis plus facilement réveillée par les bruits extérieurs. J’ai plus de mal à m’endormir. Il faut dire que la parenthèse du confinement m’a fait perdre mes repères temporels. »
« Le déconfinement est progressif et à double vitesse, souligne Céline Martinot. Il y a encore beaucoup de personnes en télétravail ou en chômage partiel. » Qui, parfois, décalent le réveil… ou l’éteignent tout simplement. « Plus on fait des insomnies, plus on risque d’en souffrir, reprend-elle. En prenant de mauvais réflexes comme se coucher plus tôt ou se réveiller plus tard. » Un cercle vicieux douloureux quand il faut retourner à l’école à 8h30. Patrick Lemoine, psychiatre spécialiste du sommeil insiste sur l’importance de connaître son cycle de sommeil. « Se lever trop tard déprime, se lever trop tôt angoisse, résume-t-il. Voilà pourquoi il est important de savoir si on est du matin, chronorigide ou chronoflexible. » Et de ne pas trop décaler ce cycle, même pendant les vacances, les week-ends… ou des périodes aussi exceptionnelles que celle que nous venons de vivre.
Anxiété décuplée
La seconde explication de ces réveils nocturnes est d’ordre psychologique. Beaucoup de Français ont traversé cette période la peur au ventre, pour eux, pour leurs proches, pour leur entreprise… Et certains se remettent progressivement de deuils. « Les troubles du sommeil, comme les comportements addictifs, sont des marqueurs précoces du stress psycho-social », insiste Pierre Philip. « Quand l’anxiété n’est pas prise en charge, elle a tendance à s’aggraver, ajoute Céline Martinot. Or, le climat est resté très anxiogène. La population fait face à beaucoup d’incertitudes par rapport au Covid, mais également à la situation économique. »
Pour certains, les problèmes n’ont pas perduré, mais sont apparus au moment du déconfinement. Une décompensation au moment où tout devrait aller mieux parce qu’on relâche ses défenses. Ou parce que le monde extérieur n’a jamais paru aussi anxiogène, avec ces masques qui cachent les sourires et les checks de coudes qui remplacent les embrassades. « J’ai observé beaucoup de patients, notamment des enfants, terrorisés à l’idée de remettre un pied dehors, explique Patrick Lemoine. Pour certains, ce confinement était rassurant. Le sommeil, c’est le moment de la plus extrême fragilité. Pour dormir, il faut se sentir en totale sécurité, or certains ont très mal vécu cette réexposition au monde et ses dangers. »
Bruit et lumière
Pour d’autres, le vrai problème, c’est le retour de la pollution sonore. « Avec le confinement, j’ai pu apprécier le calme absolu, je dormais très bien, or depuis le déconfinement, les nuisances sonores ont repris de plus belle, j’ai du mal à m’y réhabituer, en particulier le soir avec la reprise des livreurs de repas motorisés ou les gens qui parlent fort », explique Leslie, 30 ans, qui prend des somnifères.
Par ailleurs, les problèmes d’endormissement peuvent être liés à la saison. Lors du débat sur l’adoption définitive de l’heure d’été ou d’hiver, plusieurs médecins ont insisté sur le fait que cette dernière était meilleure pour notre sommeil. « En général, on dort une heure de moins l’été que l’hiver, reprend Patrick Lemoine. D’autant qu’on est en ce moment au solstice, donc au moment où la nuit est la plus courte. Nous sommes la seule espèce animale à avoir des problèmes de sommeil car nous avons vécu trois divorces avec le soleil : quand on a inventé le feu, les ampoules électriques, et enfin les écrans. »
Comment faire pour retrouver des nuits apaisées ?
Tout d’abord, il faut différencier petite insomnie conjoncturelle et difficultés d’endormissement persistantes. « Le thermomètre, c’est la souffrance pendant l’éveil, synthétise le psychiatre. Si dans la journée vous êtes triste, anxieux, il faut consulter. Si une personne a de petits problèmes de sommeil, elle peut être aidée par des tisanes, du yoga, de la méditation, de la mélatonine. » Mais pour lui, le meilleur remède, c’est de se lever plus tôt. Etonnant ? « Les gens qui ne dorment pas bien, on les fait dormir moins, car la qualité est plus importante que la quantité. »
« Il faut vraiment faire attention aux synchronisateurs : exposition lumineuse suffisante, exercice physique le matin en évitant le soir car ça réveille, éviter les écrans et autres stimulations anxieuses le soir », conseille Céline Martinot, spécialiste du sommeil. Et il faut traiter les deux problèmes : rythme et angoisse. « Souvent, les échecs sont dus à l’oubli d’une partie du problème, assure-t-elle. Or, une horloge biologique, c’est comme un ordinateur, si vous la déprogrammez, elle ne peut plus fonctionner comme avant. »