Coronavirus : « Nous créons les conditions favorables à l’apparition de nouveaux virus », prévient le scientifique Jean-Michel Claverie

INTERVIEW Selon le scientifique Jean-Michel Claverie, nous « créons les conditions pour l’apparition de nouveaux virus comme le Covid-19 »

Adrien Max
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Greenpeace a accusé mercredi le groupe américain de produits de grande consommation Procter & Gamble de se fournir en huile de palme auprès d'exploitants agricoles responsables de la déforestation alarmante en Indonésie.
Greenpeace a accusé mercredi le groupe américain de produits de grande consommation Procter & Gamble de se fournir en huile de palme auprès d'exploitants agricoles responsables de la déforestation alarmante en Indonésie. — Bay Ismoyo AFP
  • Pour Jean-Michel Claverie, la diffusion du Covid-19 peut venir du laboratoire P4 de Wuhan, comme du marché aux animaux de la ville, il est en tout cas d’origine naturelle.
  • Selon lui, il y a peu de chance que le virus soit immunisant.
  • Il considère que nous créons des conditions favorables à l’apparition de nouveaux virus à cause de nos modes de vie.

Entre deux fakes news à débusquer, Jean Michel Claverie, mondialement connu pour ses recherches sur les virus géants et professeur de biomédecine à Aix- Marseille Université, se confie à 20 Minutes sur la pandémie mondiale de Covid-19. Il n’est pas forcément optimiste sur la situation, et prédit l’apparition de nouveaux virus comme le Covid-19.

Le scientifique Jean-Michel Claverie (en confinement).
Le scientifique Jean-Michel Claverie (en confinement). - Jean-Michel Claverie

Que pensez-vous des accusations faites à la Chine concernant une éventuelle fuite du Covid-19 du centre P4 de Wuhan ?

Nous faisons exactement le même genre de travail, mais avec des virus moins dangereux qui viennent du permafrost. Il y a des tas de virus que nous ne connaissons pas. Ce centre de virologie mondial s’intéresse justement à prédire les futures pandémies de virus issus d’animaux du coin comme la chauve-souris ou le pangolin. Des chercheurs vont dans la forêt avoisinante, ils prennent le sang de certains animaux et vont cultiver ce virus. Il est donc présent naturellement. Ils sont spécialisés dans les coronavirus et leur activité scientifique à ce propos est bonne.

C’est déjà arrivé dans des labos P4 que quelqu’un qui travaille sur un virus s’infecte avec. Ça arrive tous les jours. Mais c’est vrai qu’il y a cette coïncidence avec le début de cette épidémie qui démarre juste à côté d’un institut justement spécialisé dans ce virus. Il y a peut-être eu une bêtise qui n’a pas été dite tout de suite et qui a finalement été mise sur le dos du marché d’animaux sauvages. Ce ne serait pas inadmissible. Néanmoins, ce qui est sûr, c’est qu’il est d’origine naturelle.

Justement quelle particularité a ce Covid-19 par rapport aux autres virus ?

Nous sommes justement en train de regarder les caractéristiques de ses génomes. Je me suis associé avec l’institut de recherche du Rockfeller de New York pour regarder les différences qu’a ce coronavirus en comparaison avec ceux proches de lui. Qu’est ce qui le rendrait plus agressif par exemple, pourquoi son temps d’incubation est long, quelle est sa contagiosité. D’ailleurs on se rend compte qu’elle serait peut-être plus forte qu’on ne le pensait. Une personne malade pourrait contaminer huit à neuf personnes saines, alors qu’on pensait plutôt autour de trois personnes. Ce qui est embêtant, c’est que ça a un impact sur l’immunité collective. Avec cette contagiosité il faudrait que 85 % de la population ait été contaminée. Si c’est le cas, on est mal barré.


Est-on sûr que le Covid-19 est immunisant ?

Il n’est pas certains qu’il y ait une véritable immunité. En réalité il n’y a pas tellement de maladies immunisantes, il doit y en avoir environ huit. Regardez pour le Sras, on nous avait promis un vaccin, on ne l’a toujours pas.

Et concernant d’éventuelles conséquences neurologiques ou gastriques ?

Dans toutes les maladies, à la fin les gens ne réagissent pas de la même manière. A la fin d’une grippe certains ont des courbatures, d’autres pas. Dans toutes les maladies il y a des variations. On a par exemple entendu que les personnes âgées avaient des pertes d’équilibre, qu’il pourrait s’agir d’un symptôme. Mais il y a tellement peu de cas qu’il ne faut pas insister là-dessus.

Pensez-vous comme Didier Raoult que ce virus peut être saisonnier ?

Très franchement je pense qu’il s’avance beaucoup. On constate que des gens sont atteints dans beaucoup de latitude. Il y en a par exemple en Australie ou c’est l’été. Ce coronavirus n’est pas sensible à la chaleur. Mais on ne sait pas ce qui fait ce côté saisonnier, ce n’est pas juste le climat qui influe sur le virus. Le virus du Sras, on ne l’a plus jamais revu ensuite, il a disparu et cela reste un mystère. Jusqu’à ce qu’un nouveau virus apparaisse. Ce n’est pas encore une science exacte.


Pensez-vous que l’apparition de nouveaux virus comme le Covid-19 va se multiplier ?

Je le pense. Je le vois en lien avec l’écologie et pourtant je ne suis pas très écolo. On est de plus en plus en contact avec la vie sauvage. On ne cesse de repousser la biodiversité et on s’entasse de plus en plus. Dans la nature il y a des dizaines, des milliers, de coronavirus qui se divisent dans leurs hôtes et il y a parfois quelques erreurs et ces virus obtiennent la capacité d’infecter un humain. Mais il ne se passe rien s’il n’y a pas d’humain. Au contraire un seul animal peut infecter l’humain, et ce jour-là un humain a pris le virus du pangolin. C’est un jeu de coïncidence en réseau un peu comme la loterie. Mais l’humain vit de plus en plus près des forêts et de plus en plus dans des mégapoles, ces conditions sont favorables pour des épidémies de ce type. Avec la déforestation, le changement climatique et le fait que nous sommes de plus en plus nombreux, et donc de plus en plus serré, le risque que le virus se répande est plus important. Regardez New York, c’est l’endroit le plus touché.