Coronavirus : « On n’a pas la place pour accueillir la seconde vague... » Une journée à l'hôpital Paul d'Egine
REPORTAGE Alors que le nombre de morts dues au coronavirus est reparti à la hausse en France, « 20 Minutes » a passé la journée à l’hôpital Paul d’Egine de Champigny-sur-Marne
- Lundi, la direction générale de la Santé a indiqué que le nombre de morts dus au coronavirus en France était en forte hausse (605 en 24 heures en milieu hospitalier).
- L‘hôpital privé Paul d’Egine de Champigny-sur-Marne se mobilise depuis trois semaines pour accueillir les malades du Covid-19, y compris les plus graves.
- « 20 Minutes » a passé la journée avec ces soignants qui font preuve d’humour pour tenir face à une crise sanitaire dont ils ne voient pas le bout.
A l’hôpital Paul d’Egine de Champigny-sur-Marne,
Flirtant avec le plafond, Cathy lève le pouce aussi haut que possible. Et lance un tonitruant « Au revoir Madame R. ! » Encadrée par deux ambulanciers à l’autre bout du couloir, la patiente sur un brancard n’a pas la force de souffler autre chose qu’un « Merci » fatigué. Mais il vient du fond du cœur. « C’est tellement bien de voir des patients sortir et rentrer chez eux », justifie l’infirmière. « Tu m’étonnes, répond sa collègue Gwen. Si on pouvait, on les mettrait dehors à coups de pied aux fesses, non ? » Et les deux jeunes femmes de partir dans un immense éclat de rire.
Au quatrième étage de l’hôpital Paul d’Egine de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), la bonne humeur reste encore le meilleur remède pour résister au coronavirus. Dans une autre vie, les deux jeunes femmes étaient infirmières dans le service de chirurgie viscérale de cet hôpital privé du groupe Ramsay. C’était il y a un mois. C’était il y a un siècle. Aujourd’hui, leur service n’existe plus. Les chambres sont occupées par des malades du Covid-19. Et elles ont appris à vivre avec. A enfiler deux paires de sur-chaussures sur leurs baskets blanches. A protéger leur chignon d’une charlotte. Et à envoyer des textos à travers le sac congélation qui abrite en permanence leur smartphone. Pour éviter la propagation du virus.
L’espoir de voir deux lits inoccupés quelques heures
« Franchement, on est extrêmement fatiguées. Mais vous ne trouverez personne ici pour se plaindre. Tant qu’il y aura des malades… », lance Cathy sans avoir besoin de terminer sa phrase. Alors, cela risque de durer. Dimanche, la Direction générale de la Santé a indiqué que le nombre de morts dus au coronavirus en France était en baisse mais le chiffre est reparti fortement à la hausse ce lundi soir (605 décès en milieu hospitalier en 24h). A Paul d’Egine, personne ne sera vraiment surpris.
« La semaine dernière, on a refusé des transferts car on était plein, note Artus de Saint-Pern, le directeur général. Et c’est vrai que depuis deux jours, nous parvenons à avoir un ou deux lits inoccupés pendant quelques heures en journée avant que d’autres patients n’arrivent… » Une réflexion qui ne vaut que pour les chambres abritant les cas les moins graves. Les deux services de réanimation de huit lits chacun affichent, de leur côté, complet en quasi-permanence.
Des patients soignés pour un cancer ont été contaminés à l’hôpital
Ils ont été créés de toutes pièces. Crise sanitaire oblige : l’hôpital a déprogrammé toutes les opérations non vitales. Du personnel est arrivé de Lille, Biarritz ou de La Rochelle. Soixante-deux chambres ont été réservées aux patients les moins atteints. Et certaines infirmières ont été envoyées à l’extérieur pour apprendre le travail de réanimation. « En 24h, on a considéré qu’elles étaient formées ! », explique le directeur.
Seuls les services d’urgences, de dialyse et d’oncologie sont restés. Non sans drames... « Certains patients soignés pour un cancer sont morts du Covid-19, déplore ainsi Artus de Saint-Pern. Ce sont des victimes collatérales qui ont été contaminées dans nos murs. En ce moment, on est inquiets pour le service de dialyse où cinq malades sur quarante sont atteints… A terme, ils pourraient tous l’attraper… »
Les stocks de médicaments s’amenuisent
Et malheureusement, les inquiétudes s’additionnent. Ainsi, au premier étage, celle de Florence porte sur ce qui était auparavant son bloc opératoire. Aujourd’hui, une bâche a été agrafée du sol au plafond pour délimiter le bureau des soignants ! Vue directe sur les malades les plus graves pour la plupart en surpoids. Alignés à côté des respirateurs. Tous plongés dans un coma artificiel. Il faut les retourner toutes les douze ou quatorze heures, la position sur le ventre améliorant leur respiration.
« Mais tous ne survivront pas, assume Florence, l’une des infirmières. Et ce qui me fait peur, c’est qu’on n’a pas la place pour accueillir les autres malades qui vont arriver. La seconde vague… » Nathalie, elle, profite de la pause-café pour s’interroger sur la façon de se procurer des tablettes numériques. « A l’hôpital de Massy, ils en ont pour maintenir un contact entre les patients et leurs familles, explique-t-elle. Je n’ai pas supporté de voir deux malades mourir ce week-end sans avoir reçu un appel de leurs proches... »
La perspective d’une fête une fois que tout sera terminé
L’autre urgence concerne les médicaments. « Il doit nous rester deux ou trois jours de stock de curare et d’hypnovel (produits anesthésiants), confesse Artus de Saint-Pern. Au-delà, je ne sais pas comment on va faire… » Mais à chaque jour suffit sa peine. Et en ce lundi, le directeur préfère retenir les cartons de visières qu’une entreprise voisine a conçues grâce à une imprimante 3D et envoyées aux soignants.
« Il y a un tel élan de solidarité, c’est incroyable, résume Gwen. Nous recevons sans cesse des pâtisseries, des pizzas, des viennoiseries. » De quoi envisager sereinement une grande fête quand tout sera terminé. Le directeur l’a promis. « Oh oui, un grand barbecue », propose Sabrina l’aide-soignante. A cette évocation, Nicolas l’urgentiste avise sa combinaison informe héritée d’une entreprise de travaux publics. « Je me demande si je ne pourrais pas la porter en boîte de nuit », se marre-t-il. Avant de s’interrompre. Une nouvelle patiente masquée vient de se présenter dans la tente montée spécialement sur le parking pour trier les nouveaux arrivants. « On doit y aller », reprend le médecin. Oui. Vivement la fête…