Charge mentale : « Certains enfants n’arrivent pas à rentrer dans une case et s’épuisent à essayer de le faire »

INTERVIEW A l’occasion de la parution, ce mercredi, de l’essai La charge mentale des enfants, son autrice, Aline Nativel Id Hammou, nous explique de quoi il retourne

Propos recueillis par Oihana Gabriel
— 
Illustration d'une enfant très sollicitée.
Illustration d'une enfant très sollicitée. — Pixabay
  • Un livre publié ce mercredi s’intéresse à la charge mentale des enfants.
  • Dans cet ouvrage, la psychologue Aline Nativel Id Hammou alerte sur un certain nombre d’enfants épuisés par les surstimulations, les exigences élevées des parents et des enseignants, les injonctions contradictoires.
  • Les symptômes sont variés et pas évidents à repérer, et les risques se révèlent importants pour des êtres en construction.

La lessive, c’est bon. Racheter des couches, OK. Appeler mamie pour lui souhaiter la bonne année, done. Préparer le goûter… Depuis quelques années, le concept de charge mentale, en particulier des femmes, a été vulgarisé et exploré sous toutes ses coutures. Mais il n’est pas réservé à un genre, et, apparemment, pas forcément aux parents… Car les enfants pourraient également être concernés, si l’on en croit Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, qui voit un certain nombre d’enfants épuisés et surstimulés pousser sa porte. Curieux, non ?

L’autrice, qui publie ce mercredi La charge mentale des enfants*, un essai ponctué par quelques exercices pratiques à faire en famille, explique pourquoi le sujet n’a rien de drôle.

La charge mentale des enfants… Cela existe donc ? On a un peu l’impression que ce terme de « charge mentale » est servi à toutes les sauces. N’est-ce pas un peu le dévoyer ?

Le titre peut faire sourire ou porter à débat, mais je constate une montée des angoisses des enfants depuis quatre ou cinq ans. C’est une expression en vogue qui résume un épuisement global parce qu’ils subissent trop de stimulations, de sollicitations. Beaucoup d’enfants ont un planning de ministre avec des activités du lundi au dimanche…

Certains ne peuvent pas s’autoriser à être ce qu’ils veulent. Ils n’arrivent pas à rentrer dans une case. Et ils s’épuisent à essayer de le faire. En réalisant une tâche, ils pensent à la suivante. Et sans plaisir.

Quels sont les symptômes d’un enfant qui en souffre ?

Il va devenir un robot, et risque de s’éteindre, de se perdre. Un peu comme une fleur qui se fane. Les symptômes sont très variés. L’enfant risque de régresser : certains se remettent à faire pipi au lit, d’autres développent des troubles de l’apprentissage, deviennent moins sociables. Ou ont des retards de croissance, des problèmes de poids (boulimique ou anorexique), des comportements addictifs, des troubles anxieux généralisés, des phobies - jusqu’à la dépression, je n’ai pas peur des mots.

Je vois même un boom des consultations d’enfants avec des idées suicidaires, un sujet ultra-tabou…

Mais comment différencier un enfant stressé ou capricieux d’un enfant en proie à une trop grande charge mentale ?

C’est l’accumulation des symptômes sur une durée longue, avec un changement de comportement entre six mois et un an, qui permet de poser un diagnostic. La fatigue physique, ça revient tout le temps. Je reçois des enfants qui vont s’affaler sur le tapis, qui souffrent de maux de tête. Il faut différencier un enfant qui a tempérament anxieux d’un autre qui est conjoncturellement angoissé par son environnement. Par exemple, il est normal que l’enfant connaisse des échecs. Mais la question est : comment est vécu l’échec au sein de la famille ?

Pourquoi est-ce particulièrement difficile de repérer ce problème chez un enfant ?

Il y a plusieurs raisons. D’abord, nous avons une image édulcorée de l’enfance, qu’on associe au bonheur, à l’apprentissage… Ce qui crée une incompréhension chez les parents : pourquoi mon enfant serait-il stressé ? Par ailleurs, beaucoup d’enfants dissimulent leur malaise. C’est déjà rare qu’un adulte assume souffrir d’une surcharge mentale, alors pour que l’enfant réussisse à dire « je ne suis pas bien », c’est encore plus compliqué. Surtout que la plupart veulent faire plaisir à leurs parents. La peur primaire, c’est de perdre l’amour de papa, de maman, ou, pire, des deux. Ils ont donc beaucoup de difficultés à critiquer une figure à laquelle ils sont attachés. C’est pour ça que cela prend beaucoup de temps. J’utilise beaucoup de médias : les animaux, le dessin, pour les aider à s’exprimer.

Enfin, ce n’est pas évident à reconnaître parce que ça renvoie à la responsabilité des adultes. Je dis tout le temps à mes patients : « c’est un travail d’équipe, votre enfant va bouger dans ses lignes, il faut que vous bougiez aussi ».

Vous soulignez que votre but n’est pas de culpabiliser les parents, et critiquez au passage l’éducation bienveillante. Mais ce genre de livre ne vient-il pas attiser les questionnements et renforcer les injonctions des parents ?

C’était ma première appréhension. Cette culpabilité des parents, je la rencontre tout le temps dans mon cabinet. L’éducation positive, c’est super, mais c’est très difficile à appliquer du lundi du dimanche. Les parents sont très demandeurs d’astuces, de conseils, mais ces méthodes sont très généralistes. L’une chasse la suivante et elles ne conviennent pas à tous les enfants. Et cela renforce l’idée qu’il faut être dans telle case : « mais pourquoi les contes thérapeutiques ne fonctionnent-ils pas pour endormir mon enfant ? ».

On fait face dans les médias, dans les livres, dans les blogs, à travers l’essor du coaching parental, à une large palette d’offres sur la parentalité. Laquelle renforce le sentiment d’échec des parents et leur manque de confiance. D’autant que ce n’est pas toujours adapté. J’ai par exemple reçu une offre pour apprendre à ma fille de 2 ans à faire de la programmation…

Cette charge mentale des enfants est-elle vraiment courante ? Ou concerne-t-elle uniquement une petite partie des enfants, d’un milieu social élevé ?

Bien sûr, la catégorie socioprofessionnelle joue. Mais j’exerce dans deux villes très différentes, Puteaux et Nanterre (Hauts-de-Seine). Et il me semble que même des parents avec des revenus faibles sont dans cette recherche d’adaptation : ils vont chercher une aide aux devoirs, solliciter davantage les aînés, faire très attention aux comportements de leurs enfants…

Comment les parents peuvent-ils modifier leur comportement quand leurs enfants semblent épuisés par ces exigences ?

Le premier conseil, c’est de faire le point avec le pédiatre sur l’état de santé global. S’il y a des symptômes, c’est important que l’enfant soit arrêté quelques jours, pour se reposer. Ensuite, le parent devrait travailler sur le fait que son enfant n’est pas son double ou une poupée de chiffon qu’il peut façonner. Il faut donc l’écouter : « qu’est-ce que toi, tu veux ? », « qu’est-ce que moi, je veux ? », « comment fait-on pour trouver un compromis et être bien ? ».

Le parent doit aussi accepter de se tromper… Et qu’il le dise à son enfant. Ce qui renvoie à l’idée que les adultes ne sont pas infaillibles. Que maman aussi fait des bêtises. Ce n’est pas grave, je l’aime quand même et elle m’aime quand même. Intuitivement, on connaît ses enfants. L’important reste de se faire confiance et d’essayer de s’adapter à la personne que vous avez en face.

* La charge mentale des enfants*, Aline Nativel Id Hammou, Larousse, 8 janvier 2020, 14,95 €.