Transparence, écoute... Les gynécos accouchent d'un « label bientraitance » pour les maternités
VIOLENCES OBSTETRICALES Trois ans après la vague de critiques dénonçant les violences obstétricales, la société savante des gynéco-obstétriciens a mis au point un label pour les maternités qui misent sur la transparence, l’écoute, l’autonomie des patientes
- Trois ans après la libération de la parole de certaines patientes dévoilant les violences obstétricales, la société savante des gynécos obstétriciens lance un label pour améliorer la bientraitance dans les maternités.
- Un label CNGOF, lancé en septembre, obtenu pour le moment par une dizaine de maternités, répond à douze exigences.
- Avec ce label, les soignants devront proposer aux patientes de faire leurs retours sur une plateforme, Maternys, ce qui permettra aux hôpitaux de continuer à progresser.
Les gynécologues aimeraient qu’on parle davantage de bientraitance et non de maltraitance obstétricale. Après le choc et les batailles rangées il y a trois ans, place aux actions. « La libération de la parole des femmes nous a éclairés, parfois durement, sur des manques profonds dans nos maternités », avoue Israël Nisand, président du Collège national des gynéco-obstétriciens français (CNGOF). La société savante n’avait pas vu venir la vague de critiques, mais tente depuis de répondre aux demandes des patientes. Notamment en lançant un label, accompagné d’une plateforme sur laquelle les premières concernées pourront faire remonter leurs ressentis et critiques.
Renouer le dialogue
Mais avant d’accoucher de ce nouveau dispositif, il a fallu renouer le dialogue. Ce qui n’avait rien d’évident, quand la souffrance de patientes exaspérées restait inaudible pour des professionnels de santé blessés. En septembre 2017, le CNGOF a mis en place une Commission de la promotion de la bientraitance en gynécologie-obstétrique (Probité), chargée de retrouver un terrain d’entente et des solutions concrètes avec des associations de patientes. « Cela frictionne, mais nous avons toujours réussi à maintenir le dialogue », reconnaît Amina Yamgnane, la présidente de cette commission. Trois priorités des usagères ressortent de ces échanges : mieux se préoccuper de la dépression post-partum, qui touche autour de 12 % des jeunes mères. Mettre un terme à l’impunité des professionnels de santé délinquants. « C’est dans la to do list », promet Amina Yamgnane. Enfin, assurer une meilleure continuité entre la ville et l’hôpital.
Un label pour assurer la bientraitance
Ce premier travail d’écoute a permis d’aider à la conception d’un label CNGOF qui vise à améliorer la prise en charge globale des femmes enceintes. Depuis son lancement en septembre, une dizaine de maternités l’ont obtenu, mais une soixantaine ont fait la demande. Et la liste de ces structures labellisées sera affichée sur le site du CNGOF et revue chaque année en fonction de leurs performances.
Douze critères doivent être remplis pour obtenir ce sésame, notamment la transparence sur les pratiques (et donc d’avoir un taux d’épisiotomie, de césarienne, de déclenchement peu éloigné des taux nationaux), la mise en place systématique d’un entretien prénatal précoce, d’un débrief après l’accouchement quand il y a eu une intervention en urgence, d’un projet de naissance…
« Seulement 20 % des patientes se voient proposer un entretien prénatal précoce, et encore je pense que c’est surévalué, je souhaite que ce chiffre atteigne 80 % », avance le président de la société savante. Autre critère : la mise en place d’une formation du personnel à la bientraitance, mais également un accompagnement psychologique pour des soignants en difficulté.
Une plateforme pour recueillir l’avis des patientes
Plus original, les médecins pratiquant dans ces maternités labellisées devront systématiquement, via une ordonnance, proposer à leurs patientes de s’inscrire sur une plateforme, Maternys. « Car l’information est un soin en soi », prévient Israël Nisand. A quoi cette plateforme va-t-elle servir ? A informer et créer un partenariat entre soignant et patiente. En effet, elles pourront découvrir sur cette plateforme des vidéos pédagogiques sur les différents stades de la grossesse, l’accouchement, le post-partum. Un petit questionnaire viendra vérifier que les explications ont été comprises. Mais ce sera surtout un outil pour mesurer la pertinence des soins et la bienveillance des équipes. En effet, les usagères seront interrogées sur leur prise en charge trois jours, puis trois mois après leur accouchement. Car le ressenti peut être très différent quand on est bourrée d’hormones et épuisée, et quand on a pris du recul.
« Pas un Gault & Millau des maternités ! »
Le but de cette opération transparence n’est pas d’afficher les mauvais élèves (les data resteront confidentielles), mais d’encourager les professionnels à suivre les recommandations, à améliorer leurs statistiques et à mieux écouter leurs patientes. « Nous n’allons pas faire un Gault & Millau des maternités ! » promet Israël Nisand. Qui ne cache pas que certains professionnels se montrent assez réticents…
Si un label pour les maternités « amis des bébés » existe déjà, le CNGOF semble peu convaincu par celui-ci. « Aujourd’hui, trente maternités ont obtenu ce label qui ne met l’accent que sur les enfants, critique Israël Nisand. Or, certaines ont des pratiques hors des clous. Ce qui est trompeur pour les femmes qui choisissent des structures où tout est fait pour le bébé, mais avec un taux de césarienne trop élevé. »
Pour lui, la démarche du CNGOF est plus ambitieuse. « Nous sommes la première spécialité à rechercher la qualité des soins et à la mesurer non auprès des médecins, qui sont globalement satisfaits de leur travail, mais des patientes », insiste Israël Nisand. Pour le CNGOF, ce processus de labellisation semble inéluctable. « Certains médecins nous disent qu’ils vont regarder de près si notre labellisation marche, pour faire de même. Car il n’y a pas que l’obstétrique qui est concerné par la bientraitance, cette exigence, venue avec la vague #metoo concerne tous les soins. »
Une question de moyens
Avec, comme souvent quand il s’agit d’innovation, un problème de moyens. Ce label et cette plateforme devraient coûter environ 5 euros par patiente, à la charge de l’hôpital. Et le président de faire un appel du pied à Agnès Buzyn et Marlène Schiappa. « Nous avons le pouvoir de concevoir ces outils, pas de les imposer, claironne-t-il. Il me semblerait logique que ces ministères, qui ont formulé des reproches légitimes, fassent en sorte que ce label soit présent dans un maximum de maternités. » L’autre problème évident touche au manque de temps, et donc de moyens humains. Or les maternités ne sont pas épargnées par le manque de professionnels et difficultés de recrutement…
« Les attentes de la population ont beaucoup évolué, constate Loïc Sentilhes, chef de service de gynéco-obstétrique au CHU de Bordeaux. Or, informer sur les soins, recueillir le consentement, cela prend du temps. Nous gérons des urgences tous les jours, 24h sur 24 et elles ne sont pas saisonnières ! »