VIDEO. Quand un père raconte l'IMG: «J’espère que ce livre aidera des couples qui traversent un deuil périnatal»

INTERVIEW Jérémie Szpirglas, livre dans «Pater dolorosa» la manière dont il a vécu l'épreuve de l'interruption médicale de grossesse, tabou encore plus important chez les pères

Propos recueillis par Oihana Gabriel
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Jérémie Szpirglas publie Pater Dolorosa, un témoignage de son expérience de l'interruption médicale de grossesse, sujet douloureux et tabou.
Jérémie Szpirglas publie Pater Dolorosa, un témoignage de son expérience de l'interruption médicale de grossesse, sujet douloureux et tabou. — O. Gabriel / 20 Minutes
  • Ce jeudi paraît un livre, «Pater Dolorosa» dans lequel un homme prend la plume pour raconter la manière dont il a traversé la douloureuse épreuve d'une interruption médicale de grossesse.
  • L'écrivain et journaliste Jérémie Szpirglas raconte à «20 Minutes» pourquoi il a eu besoin de dévoiler ce drame intime et dans cette forme musicale.

La grossesse n’est pas toujours synonyme de bonheur. Voilà comment Jérémie Szpirglas présente en quatrième de couverture son essai-témoignage, Pater Dolorosa*, qui aborde un sujet tabou et douloureux : l'interruption médicale de grossesse. Jérémie et sa compagne ont découvert début juillet 2015 que leur enfant à naître serait porteur de la trisomie 21. Leur aîné comme bouée de sauvetage, une psychologue pour appui, le couple vogue entre doutes et culpabilité de rendez-vous médicaux en services funéraires jusqu’à l’enterrement de leur enfant appelé Lou. Et l’auteur ne tait rien des grandes interrogations et des désagréments, dans ce récit poignant d’un deuil périnatal, pour une fois au masculin.

Qu’avez-vous découvert au travers de votre interruption médicale de grossesse ?

J’ai découvert des choses sur moi-même, et que malgré un épisode de dépression et la peur de replonger, j’avais une force intérieure, sans doute apportée par ma compagne et mon premier enfant. Notre couple était plus solide que je le pensais et est peut-être sorti plus fort de ce tunnel. J’ai découvert aussi combien cette décision de l’interruption médicale de grossesse (IMG) est difficile à prendre. Avant de vivre cette épreuve, je me disais en gros « c’est un brouillon, on peut recommencer ». C’était la moins mauvaise solution. Mais elle laisse des traces. Des regrets, il y en a encore aujourd’hui, trois ans après l’IMG. A chaque fois, quand je croise une personne handicapée dans la rue, je me pose la question : à quoi ressemblerait Lou ? Après coup, quand on en a parlé avec des proches, on a constaté que nous connaissions des personnes porteuses de la trisomie 21 ou qui ont vécu un deuil périnatal. Dès qu’on commence à en parler, on découvre qu’il y en a beaucoup.

En effet, il y a 5.000 IMG par an précisément, comme vous le découvrez au cours de vos recherches, est-ce que vous espériez lever ce tabou ?

Sur le coup, j’ai surtout eu besoin d’écrire. Mais évidemment, il faut en parler. J’ai eu un très lourd sentiment de culpabilité, si j’avais pu en parler plus, peut-être que j’aurais davantage assumé… A la différence d’une fausse couche, le fait d’avoir à prendre la décision d’arrêter la grossesse rend les choses beaucoup plus difficiles. Encore davantage dans le cas de la trisomie 21, car les gens peuvent vivre parfois bien et longtemps aujourd’hui.

Un tabou encore plus important pour les hommes. Est-ce que la société doit donner plus de place aux hommes sur les sujets de parentalité ?

Bien sûr. On ne lit que des témoignages de femmes sur la maternité. J’espère que ce livre pourra aider des couples qui traversent la même épreuve, le deuil périnatal. On a d’ailleurs cherché beaucoup de récits de l’intérieur, ne serait-ce que pour se projeter dans les étapes. Et puis c’est rassurant de voir que certains couples s’en sortent. Ce que je voulais faire ce n’est surtout pas accaparer ou confisquer la parole des femmes, mais rééquilibrer les choses, offrir mon témoignage de père. Pas en direction des pères, mais des couples. Car la parentalité est une expérience de couple. D’ailleurs je pense que la place des hommes évolue d’abord par l’implication au quotidien, peut-être un jour par la parole. Mais il y a encore beaucoup de choses à changer. Par exemple, mettre des tables à langer uniquement dans les toilettes des femmes, ça n’aide pas les hommes à s’impliquer !

Vous parlez aussi de l’accompagnement médical…

Les soignants ont été pour nous plutôt professionnels, même si je pense qu’ils peuvent améliorer certaines attitudes. Pour prendre un exemple, quand nous avons de nouveau attendu un enfant après l’IMG, nous avons fait un test qu’on appelle Dépistage prénatal non-invasif (DPNI) de la trisomie 21, une simple prise de sang qui nous a valu quelques angoisses. Et au centre de dépistage anténatal de Port-Royal, où nous avions été pris en charge, on nous a expliqué que les médecins nous préviendraient uniquement en cas de mauvaise nouvelle. C’est pas possible pour un couple qui a vécu une IMG ! Pareil, certains soignants n’ont pas voulu nous communiquer le résultat de l’amniocentèse alors que c’était très important pour nous de savoir s’il y avait un risque pour d’autres futurs enfants.

Pourquoi c’était important pour vous d’enterrer Lou ?

Au départ, j’avoue que j’étais un peu réticent. Mais ma compagne psychologue y tenait et les professionnels de santé nous y ont encouragés. Et en effet, je pense qu’il est nécessaire de se faire mal pour faire son deuil. Nous voulions aussi lui donner un prénom et l’inscrire sur le livret de famille, car c’était lui donner son identité comme notre 2e enfant. C’est important pour nous et pour nos enfants d’affirmer son existence pour vivre avec.

Vous ne vous arrêtez pas à l’IMG mais poursuivez le récit de la vie d’après, ses nouveaux espoirs et ses craintes, pourquoi ?

Pour moi, la reconstruction n’est pas finie. Je voulais aussi raconter la période où nous n’arrivions pas à avoir un autre enfant. Après plusieurs fausses couches, enfin, nous avons eu un troisième enfant, Orphée. Un prénom pas choisi au hasard… Certains parents disent un « bébé victoire », même si je n’aime pas trop cette comparaison guerrière. Mais avant que cet enfant n’arrive, j’avais toujours peur de nous perdre. Sa naissance a levé un poids phénoménal. D’ailleurs le livre a failli s’appeler « Le bout du tunnel ».

Pourquoi ce titre, alors, Pater Dolorosa ?

Je suis assez musicien et la figure de la parentalité qui perd un enfant fait raisonner les « stabat mater dolorosa ». D’ailleurs, le texte est écrit comme une partition à trois voix, avec un texte et des exposants, comme pour faire chanter une ligne ou donner des inflexions à la lecture. On a très peu de littérature sous forme de polyphonie, à part en théâtre…

Est-ce que vous avez peur de la réaction du public ?

Bien sûr, je mets mes tripes sur la table ! Ma première crainte, c’est que mon témoignage soit récupéré par des militants anti IVG qui diraient : « regardez comme ils sont malheureux… » Mais je n’ai pas peur de leur jugement, chacun fait ses choix et je ne jugerai jamais ceux qui font le choix de garder un enfant handicapé, au contraire je suis admiratif.

* Pater Dolorosa, Le Passeur, mars 2019, 19,50 €.