Sida: «On pense qu’on a identifié une cible thérapeutique importante pour le VIH»
INTERVIEW Des recherches menées par l'Institut Pasteur pourraient permettre aux patients infectés par le VIH de vivre sans trithérapie. Asier Saez-Cirion, coordinateur de l'étude nous explique l'importance de cette découverte...
- Une équipe de chercheurs de l'Institut Pasteur dévoile ce jeudi une avancée de taille pour imaginer un jour une rémission dans le sida.
- En supprimant des cellules «réservoirs», cette expérience in vitro pourrait aboutir à la fin des trithérapie pour les personnes infectées par le virus.
- Car aujourd'hui, les patients peuvent vivre avec le VIH mais doivent prendre des antirétroviraux à vie.
Pourra-t-on un jour vivre avec le VIH mais sans traitement à prendre chaque jour pour toute sa vie ? C’est un avenir que dessine une découverte de taille. Une équipe de l’Institut Pasteur dévoile en effet ce jeudi les résultats d’une expérience in vitro qui montre que les cellules infectées peuvent être supprimées. Une expérience qui pourrait changer la vie des 130.000 personnes séropositives en France et 36,7 millions de personnes atteintes par l’épidémie dans le monde. Pour comprendre un peu mieux les enjeux et procédés de cette découverte, 20 Minutes a interrogé Asier Saez-Cirion, coordinateur de l’étude à l’ Institut Pasteur.
Aujourd’hui, le traitement contre le VIH est déjà efficace non ?
Les antirétroviraux bloquent efficacement la multiplication du virus, mais pour le moment ils n’arrivent pas à éliminer les cellules infectées. Qui peuvent persister pendant des années et elles constituent ce qu’on appelle un « réservoir », à partir duquel le virus pourrait à nouveau infecter d’autres cellules si on interrompt le traitement. En clair, ce virus reste dormant et c’est pour cette raison que les patients doivent prendre toute leur vie un traitement antirétroviral. Ce réservoir, c’est la barrière pour la guérison.
C’est pour cette raison que vous vous êtes intéressés à ces « cellules réservoirs » ?
Oui, on essaie aujourd’hui de cibler ces réservoirs. On s’est d’abord demandé si ces cellules réservoirs présentaient des caractéristiques particulières. Car le virus n’infecte pas toutes les cellules de la même façon. Nous avons ainsi découvert que le virus infecte davantage les cellules qui ont une activité métabolique très élevée. Cette activité métabolique, c’est la façon dont la cellule va consommer du sucre ou du gras pour produire de l’énergie nécessaire à sa survie.
Est-ce que ça veut dire qu’on va encourager les patients à limiter ou supprimer le sucre de leur assiette ?
Non, pour l’instant on ne peut pas faire un lien entre alimentation et infection. En revanche, ce qui est connu, c’est que l’alimentation a un impact sur la réponse immunitaire.
Dans ce cas, comment supprimer ces cellules réservoirs ?
Ces cellules réservoirs ont besoin d’énergie pour infecter d’autres cellules. On peut donc s’appuyer sur cette vulnérabilité. Par exemple en bloquant la consommation de sucre, on peut supprimer les cellules qui sont déjà infectées. En tout cas in vitro : on a vérifié en laboratoire sur des cellules de patients sous antirétroviraux que certains inhibiteurs métaboliques empêchent le virus du VIH de se multiplier. Et détruisent ces réservoirs. On pense qu’on a identifié une cible thérapeutique importante.
Qu’est ce que cela pourrait changer pour le traitement du VIH ?
Demain, on pourrait supprimer les cellules infectées. Soit pour totalement éradiquer le virus, mais c’est très compliqué. Soit au moins pour réduire le niveau des cellules réservoirs à un niveau tellement faible que l’organisme pourrait les contrôler par lui-même, sans médicament. Il faudra quelques années pour pouvoir tester ces molécules inhibitrices dans des essais cliniques.
Quelle est la prochaine étape de vos recherches ?
Aujourd’hui, on teste différents inhibiteurs pour trouver des combinaisons optimales. Mais il faut faire attention car si on s’attaque à la cellule, cela pourrait avoir un impact délétère sur l’organisme. Les inhibiteurs qu’on est en train d’explorer sont également testés dans la lutte contre le cancer.
Est-ce que cela veut dire qu’on pourra un jour guérir du VIH ?
Je ne sais pas si on va pouvoir guérir complètement. Malheureusement le nombre de cellules infectées est très important et elles sont très distribuées dans l’organisme. Mais ce dont on est persuadé, c’est qu’on va pouvoir obtenir une rémission du VIH. Ce qui veut dire que des patients qui auront un nombre très faible de cellules infectées dans l’organisme pourront se défendre contre le virus même après la fin du traitement. Aujourd’hui, une personne infectée par le VIH qui reçoit un traitement rétroviral efficace peut mener une vie normale, ne transmet pas le virus à ses partenaires sexuels, mais il doit suivre un traitement à vie. Notre but, c’est de trouver un raccourci pour en finir avec cette épidémie.
Est-ce que ce traitement à vie est difficile à supporter ?
Cela dépend des patients. La nouvelle génération d’antirétroviraux a peu d’effets secondaires. Mais au-delà de ces effets physiques, il y a toujours la stigmatisation et la discrimination. Il faut travailler pour aborder ce double effet, biologique mais aussi sociétal. Avec cette avancée, on peut imaginer qu’on va réduire la dépendance à une molécule, et donc le sentiment de se sentir malade toute la vie. Et aider à normaliser la situation de ces personnes. D’autant qu’il peut y avoir des oublis, ce n’est pas évident de prendre un médicament tous les jours toute sa vie. D’autres recherches très prometteuses avancent sur la recherche d’antirétroviraux qui pourraient durer quelques semaines ou même des mois. A court terme, on peut imaginer qu’avec une prise de médicaments par mois ou tous les trois mois, cela suffirait.