Bioéthique: A quoi servent les tests génétiques préconceptionnels, dont l'accès pourrait être élargi?
PREVENTION Le Comité d'éthique a rendu ce matin un avis favorable pour l'extention à tous les Français en âge de procréer de ces tests censés éviter les maladies graves et incurables...
- Après six mois d’Etats généraux de la bioéthique, le comité d’éthique a rendu ce mardi un rapport réunissant les divers avis et propositions sur quantité de questions de médecine et de société.
- Notamment sur les tests génétiques qui se multiplient.
- Plusieurs pays européens ont ainsi autorisé l’accès pour tous aux tests génétiques préconceptionnels : à quoi servent-ils et quels sont les enjeux ? « 20 Minutes » répond à trois questions.
« Jusqu’où la loi doit-elle aller dans la gestion de l’intime ? », c’est sur cette interrogation vaste que Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique a conclu la conférence de ce mardi, pendant laquelle il a dévoilé les divers avis sur des questions à la sociétales et individuelles. PMA, fin de vie, congélation d’ovocytes, tests génétiques, le comité s’est positionné sur neuf grands thèmes, avant la révision de la loi de bioéthique sur laquelle les députés doivent se pencher début 2019. Parmi les grandes décisions qui pourraient impacter la vie des Français figure la possibilité d’élargir les recours aux tests préconceptionnels. Et le comité a rendu son verdict : c’est oui.
Qui a le droit aujourd’hui de faire ces tests ?
La recherche sur les tests ADN a bondi ces dernières années. Elle s’est notamment intéressée à un dépistage très en amont, avant même la procréation. Comme son nom l’indique, on parle ici de dépistage préconceptionnel, donc d’un test génétique bien avant la grossesse. Dépistage dont aujourd’hui tout le monde ne bénéficie pas… En effet, en France, la loi autorise uniquement les parents d’un enfant atteint d’une maladie grave et incurable à effectuer ce test préconceptionnel quand il désire un deuxième enfant. Or, « aujourd’hui environ 1.000 enfants naissent chaque année avec une de ces maladies dramatiques, souligne Pascal Pujol, généticien au CHU de Montpellier et président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP). Dans le cas de l’amyotrophie, maladie du Téléthon, l’immense majorité de ces enfants meurent avant d’atteindre deux ans. »
Cette maladie fait partie des pathologies graves, incurables et récessives. Deux copies d’un gène défectueux sont nécessaires pour que la maladie se développe. Les parents qui portent un seul gène affecté sont en parfaite santé. Mais deux parents porteurs du même gène défectueux récessif ont un risque sur quatre d’avoir un enfant atteint de cette maladie à chaque grossesse. « Pour ces maladies récessives, 9 fois sur 10, il n’y a pas d’antécédent familial, ajoute Pascal Pujol. C’est la raison pour laquelle le CCNE s’est penché sur cette question. » Dans le cas de la mucoviscidose par exemple, « un Français sur 30 est porteur d’une mutation sur un seul de ses gènes, explique Hervé Chneiweiss, président du comité d'éthique de l'Inserm. Cette ouverture fait partie d’une évolution logique de la médecine moderne, préventive plutôt que curative.» Chypre, l’Espagne, la Belgique, Israël réalisent déjà ce dépistage ultra-précoce. « Ce n’est pas nous généticiens qui avançons, c’est la question qui se pose à la société », résume Pascal Pujol. D’autant que certains Français, qui ont les moyens, se rendent déjà à Barcelone ou ailleurs pour réaliser ces tests aujourd'hui illégaux en France…
Quels seraient les changements si les députés suivent cet avis ?
En clair, n’importe quel couple qui souhaite avoir un enfant dans un avenir proche ou lointain pourrait effectuer ce test dans le but de savoir si le futur bébé risque de naître avec une maladie génétique grave et incurable. L’avis insiste sur l’autonomie du patient : on parle bien de volontariat et non de dépistage systématique. Une simple piqûre au doigt ou prélèvement salivaire suffit pour obtenir ces résultats qui arrivent entre un et deux mois après. « Une des choses sur lesquelles insiste le CCNE, c’est qu’il faut un accompagnement médical pour que les gens comprennent avant et après le test de quoi il s’agit, précise le chercheur de l’Inserm. On ne garantit pas que l’enfant à naître n’a aucune maladie, mais on s'assure qu’il n’aura pas une certaine maladie.»
Concrètement, le CCNE propose également que ce dépistage soit remboursé par la Sécurité sociale et que les parents bénéficient d’un accompagnement psychologique. Et pour le couple dont les résultats sont inquiétants ? Ils pourraient décider de se lancer dans la procréation naturelle, ou se voir proposer une FIV avec un diagnostic préimplantatoire. C’est-à-dire que lors de la FIV, on peut sélectionner les embryons qui ne sont pas porteurs des gènes défectueux pour les réimplanter dans l’utérus.
Est-ce qu’il y a un risque d’une dérive eugéniste ?
Pas question pour autant de décider si votre enfant sera roux aux yeux verts et très musclé… Si certains s’émeuvent d’un risque de dérive eugéniste, les spécialistes de l’éthique se veulent rassurants. « On n’est pas en train de chercher l’enfant parfait ! », promet Hervé Chneiweiss. Reste que la liste de ces maladies graves pour lesquelles on pourra demander un dépistage devrait être très attendue… « La SFMPP a pris position : pour le moment nous estimons qu’il y a trois maladies fréquentes, graves et incurables qui répondent à un diagnostic : l’amyotrophie, la mucoviscidose et la drépanocytose », reprend son président.
« On a souvent brandi ce spectre de l’eugénisme, poursuit Pascal Pujol. Pour éviter que cette prophétie se réalise, il faut trois prérequis : l’autonomie absolue du couple pour l’analyse génétique, en aucun cas obligatoire car l’eugénisme est collectif. Il faudra faire extrêmement attention à la notion de maladie grave et incurable et ne pas déroger à cette définition. Enfin, il faut être sûr au niveau des connaissances que la variation génétique provoque un risque très important pour l’enfant à naître. Il ne faudrait pas que ça dérape avec des sociétés commerciales qui proposeraient des tests sur toutes les maladies peu fiables… »
Et le généticien insiste : cette dérive existe déjà. « Le pire serait que les couples fassent ces tests génétiques sur internet, livrés à eux-mêmes. C’est ce qu’on voit toute la journée dans nos cabinets : des personnes inquiètes de résultats qu’ils ne savent pas interpréter. »