Affaire Bettencourt: Qui est Philippe Courroye?

ENQUÊTE e magistrat est menacé d'une mise en examen...

Reuters
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Le procureur de Nanterre Philippe Courroye a annoncé sur Europe 1 qu'il obéirait ce vendredi à l'ordre de sa hiérarchie d'ouvrir une information judiciaire, ce qui va "entraîner la saisine d'un ou plusieurs juges d'instruction" sur ses enquêtes préliminaires dans l'affaire Bettencourt.
Le procureur de Nanterre Philippe Courroye a annoncé sur Europe 1 qu'il obéirait ce vendredi à l'ordre de sa hiérarchie d'ouvrir une information judiciaire, ce qui va "entraîner la saisine d'un ou plusieurs juges d'instruction" sur ses enquêtes préliminaires dans l'affaire Bettencourt. — Fred Dufour AFP/Archives

Symbole de l'indépendance de la justice quand il était juge d'instruction, Philippe Courroye est devenu aux yeux des syndicats de magistrats l'emblème de l'asservissement du parquet au pouvoir exécutif en devenant procureur de Nanterre.

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Déjà contraint de passer la main fin 2010 dans les enquêtes visant l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt, il est désormais menacé d'une mise en examen pour ses actes de procureur dans ce dossier, ce qui serait une première historique dans l'histoire de la justice française.

Une proche de Sarkozy

L'histoire de ce magistrat de 52 ans qui traverse depuis les années 1990 celle des grandes «affaires» politico-financières pourrait contribuer à une réforme du statut très critiqué du procureur français, nommé par le chef de l'Etat et lié hiérarchiquement au ministère de la Justice.

Philippe Courroye, qui a toujours revendiqué sa promixité personnelle avec Nicolas Sarkozy mais parlait de «fantasme» quand on évoquait sa supposée dévotion au pouvoir, a dénoncé dans un communiqué mercredi «des attaques destinées à salir (son) honneur».

Les syndicats de magistrats, qui ont mis en cause son action dans l'affaire Bettencourt, se disent consternés de voir la justice se poursuivre elle-même et de l'image ainsi donnée du parquet, censé représenter la société.

Jeune juge d'instruction à Lyon, Philippe Courroye se fit connaître en mettant fin à la carrière du maire RPR de la ville Michel Noir et à celle du maire RPR de Grenoble Alain Carignon, qu'il fit condamner dans des affaires de corruption au milieu des années 1990.

Un «juge de fer»

Vu par la presse comme «juge de fer», il incarnait le développement des enquêtes sur les milieux politiques. 

Passé au pôle financier parisien, il a mené à bien au début des années 2000 une enquête retentissante sur des ventes d'armes à l'Angola qui a abouti en 2009 à la condamnation du fils aîné de l'ancien président François Mitterrand, Jean-Christophe. 

Il a fait aussi arrêter par son enquête le chef présumé des clandestins armés corses, Charles Pieri, confondu par des malversations financières.

Dans ces temps de gloire, le juge faisait déjà débat par ses méthodes considérées comme brutales et son usage jugé immodéré des gardes à vue et de la détention provisoire. 

Les collègues magistrats de Philippe Courroye ne tarissaient pourtant par d'éloges sur ce catholique pratiquant, décrit comme un redoutable et rigoureux technicien du droit.

Son impartialité en question

C'est après son passage au parquet et sa nomination comme procureur de Nanterre en mars 2007, contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, que le vent a tourné. 

Un repas partagé avec les époux Chirac chez le milliardaire François Pinault en 2008, dans le Var, suscite les soupçons du Syndicat de la magistrature sur l'impartialité du non-lieu rendu par le juge d'instruction Courroye pour prescription dans le dossier des «frais de bouche» du président en 2003.

Charles Pasqua engage en vain des procédures contre lui en l'accusant d'avoir fomenté avec le camp chiraquien sa mise à l'écart de la présidentielle de 2007 par les «affaires». 

Le repas que le procureur de Nanterre organise chez lui en 2009 avec Jean-Charles Naouri, patron du groupe de distribution Casino qui emploie son épouse et Patrick Hefner, un des chefs de la police financière, provoque le dessaisissement de cette dernière dans des enquêtes visant Casino. 

«Je n'ai aucune option politique»

Les syndicats de magistrats s'inquiètent déjà, mais Philippe Courroye s'indigne et déclare: «Je dîne avec qui je veux».

«Je n'ai aucune option politique et je n'ai jamais appartenu à aucun parti», ajoute-t-il alors. 

Les critiques pleuvent cependant quand les enregistrements clandestins de Liliane Bettencourt montrent, aux yeux de ses détracteurs, qu'il agit comme le pouvoir le souhaite dans ce dossier gênant pour Nicolas Sarkozy dans la mesure où le financement de sa campagne de 2007 est examiné dans ce cadre.

Sa guerre avec Prévost-Desprez

Sa guerre avec la présidente du tribunal de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez, qui écrit un livre pour dénoncer son rôle de frein dans les dossiers sensibles, causera finalement la perte de Philippe Courroye.

C'est en effet dans le but apparent de mettre au jour les liens entre la magistrate et la presse que le procureur a, selon les plaignants, franchi la ligne jaune en lancant des policiers sur la piste de journalistes.

Le prestigieux poste de procureur de Paris que Philippe Courroye convoitait semble désormais loin, et son avenir dans la magistrature incertain.