Sommet politique : Des réunions de douze heures ? « Personne n’a jamais fait ça »

Marathon Mercredi, dans l’après-midi, le président avait invité les patrons des partis représentés au Parlement à venir le rencontrer et à discuter de futurs projets communs. Les participants sont finalement repartis à 3 heures du matin

Nathan Tacchi
Emmanuel Macron adore parler. Longtemps. Pendant des heures. Et même la nuit.
Emmanuel Macron adore parler. Longtemps. Pendant des heures. Et même la nuit. — Ludovic MARIN / POOL / AFP
  • Après douze heures de réunions, certains participants du sommet politique d’Emmanuel Macron ont été surpris de l’endurance du président. « C’est un monstre. »
  • Il est vrai que le président a l’habitude d’organiser de plus longs conseils des ministres que ces prédécesseurs ou à tenir de très longs débats sans éluder de questions.
  • Mais alors Emmanuel Macron aime-t-il « juste » parler ou est-ce aussi une tactique politique ?

Imaginez une réunion 12 heures. C’est long. Très long. Et bien pendant douze heures, Emmanuel Macron a tenu en haleine les gros bras de la politique française actuelle à Saint-Denis mercredi. Jusqu’à trois heures du matin, ils ont discuté guerre en Ukraine, situation internationale, institutions, « cohésion de la Nation » et autres sujets pouvant déboucher à des travaux communs. Mais travailler douze heures et de nuit pour une entrevue à huis clos, ça ne fait pas un peu beaucoup ? Manuel Bompard (LFI), présent à cette réunion, trouvait lui « assez grotesque » de « passer 12 heures pour n’avoir aucune réponse sérieuse, aucune mesure, aucune annonce concrète ». De son côté, Julien Bayou (EELV), « qui n’a pas eu cette ''chance'' » de dialoguer des longues heures avec le président, confirmait à 20 Minutes la fâcheuse tendance du Président à « travailler beaucoup et tard pour rien ». Pour lui, Emmanuel Macron « meuble […] pour ''gagner du temps'' et nous en faire perdre ».

Et c’est vrai qu’Emmanuel Macron a un historique avec les interminables réunions. En 2017, au début de son premier mandat, il se vantait déjà de cette habitude : « je pense que je fais les conseils des ministres les plus longs et les plus collégiaux de la Ve République. Je veux que tout soit débattu », racontait-il. En 2019, alors que la France sortait de la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron organisait le « grand débat national » avec des échanges pouvant durer plus de huit heures. Alors simple amour de la parole ou tactique politique ?

Un attachement à la parole

Sans une once d’hésitation, Alexandre Eyries, enseignant-chercheur HDR en sciences de l’information et de la communication à l’Université Catholique de l’Ouest à Niort confirme à 20 Minutes qu'« Emmanuel Macron est un véritable orateur ». « On peut parler chez lui d’un véritable ministère de la Parole. Il a un très fort attachement personnel au dialogue. »

En somme, Emmanuel Macron aime parler. Mais pas que, selon Alexandre Eyries. « Pour Emmanuel Macron, la vie d’une démocratie, c’est dialoguer, débattre et échanger, quitte à ne pas forcément trouver d’accord. Mais en tout cas, l’intérêt se situe là, dans la parole », raconte-t-il. « Oui, ça, il aime beaucoup parler », nous confirme l’expert en communication politique Philippe Moreau Chevrolet, président de MCBG Conseil.

« C’est une machine de guerre »

Pour ce dernier, sans aucun doute, cette habitude d’organiser de très longues entrevues est aussi un message politique. « Il veut créer des événements et réaliser des performances à chaque fois qu’il intervient dans le débat public. » Mais des entretiens entre présidents et patrons de partis, ça n’a rien d’extraordinaire dans la Ve République.

Non, ce qui fait la caractéristique même de ses « performances », c’est la durée. Dans la nuit de mercredi à jeudi, à l’issue de la rencontre des chefs de files de l’opposition et le président, un participant décrivait au Monde un Emmanuel Macron qui « aurait pu continuer jusqu’à 6 heures du matin. C’est une machine de guerre. » Pendant ces réunions, « il vous épuise », ajoute Philippe Moreau Chevrolet. Il faut dire que d’après des proches du président, le président serait connu pour peu dormir. Comme le racontait en 2020 à Europe 1 son ex-plume Sylvain Fort, Emmanuel Macron a un « rythme biologique qui, en gros, le mène à travailler jusqu’à 1h30, 2 heures du matin, puis à reprendre le collier vers 6h30-7 heures. »

L’art de « l’hypnose »

Cette manie de recevoir longtemps et tard, c’est une redoutable « arme de communication sans prise de risque » selon Philippe Moreau Chevrolet. « Il a un côté hypnotiseur chez Emmanuel Macron. Passer beaucoup de temps avec quelqu’un, c’est aussi une façon quelque part de le domestiquer, de le contrôler. Donc quand il le fait avec ses opposants, c’est qu’il veut séduire, c’est qu’il veut convaincre. Ça fait partie de sa stratégie. » C’est de la communication, c’est une mise en scène.

« Il a quand même plutôt le beau rôle », ajoute Alexandre Eyries. « Il est là dans l’arène, en bras de chemise… Bien sûr qu’il y a une part de mise en scène », ajoute le chercheur Alexandre Eyries, auteur du livre La communication politique en débat : conflictualité, stigmatisation, légitimation ? aux éditions Libertés Numériques.

La Macron Touch

Pour Philippe Moreau Chevrolet, cette façon d’être restera dans les annales. « Personne n’a jamais fait ça ». Serait-ce la Macron Touch ? En tout cas, « je n’avais jamais vu une telle façon de fonctionner dans un modèle démocratique », ajoute le président de MCBG Conseil.

Et cela l’interroge. « On est passé d’un régime qui était celui de la rareté de la parole présidentielle à des marathons de douze heures. Pourquoi ? Peut-être qu’on a besoin se retrouver en tant que pays et qu’on a besoin de ces moments-là. Ou, peut-être au contraire, c’est envahissant et contre-productif. Est-ce un besoin d’autorité qu’on exprime et qu’il y répond ? A l’ère des réseaux sociaux, est-ce une sorte de continuité permanente de l’image et de la parole ? Est-ce que c’est sa façon à lui d’être un président TikTok ou Instagram ? Un jour il faudrait s’interroger sur le sens de ce type de performance politique. »