Réforme des retraites : Dès le premier jour, un Sénat pas si simple à amadouer pour le gouvernement

Négociations Alors qu'une nouvelle grève se profile le 7 mars, le Sénat commençait jeudi le débat en séance sur la réforme des retraites

Rachel Garrat-Valcarcel
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Olivier Dussopt, le ministre du Travail, lors du débat des débats sur la réforme des retraites au Sénat, jeudi.
Olivier Dussopt, le ministre du Travail, lors du débat des débats sur la réforme des retraites au Sénat, jeudi. — CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
  • Jeudi débutait l’examen en séance de la réforme des retraites au Sénat.
  • Sans le dire aussi clairement, la gauche sénatoriale veut, comme à l’Assemblée, ralentir le plus possible les débats pour éviter un vote global sur le texte.
  • La droite, en position de force, n’offrira pas beaucoup plus de répit au gouvernement.

De notre envoyée spéciale au Sénat,

Bien sûr, c’est un autre hémicycle. La décoration, très monarchique, y est encore plus ostentatoire qu’à l’Assemblée nationale. Bien sûr, la moyenne d’âge des sénatrices et sénateurs, plus élevée, tend à rendre les débats plus calmes. Bien sûr, la composition du Sénat, dont la majorité est clairement à droite, n’entretient que peu de suspense sur l’issue des débats. Mais le début de l’examen en séance de la réforme des retraites par la chambre haute, jeudi, n’était pas, loin s’en faut, sans intérêt politique.

Tout le monde a encore en tête les débats parfois chaotiques sur le texte à l’Assemblée nationale, en février. Et on a beaucoup entendu depuis qu’« heureusement », les débats du Sénat seraient plus pondérés, plus policés. En un mot comme en cent : meilleurs. A force de le répéter, on a peut-être oublié qu’il n’y a pas que des techniciens et techniciennes au Sénat, il y a aussi des gens qui font un peu de politique. Le gouvernement a visiblement sous-estimé ce point quand il est arrivé, très sûr de lui, en insistant lourdement sur le contraste entre Assemblée et Sénat.

Vérité au Sénat, obstruction à l’Assemblée

« Je sais qu’ici il n’y a pas de ZAD, mais la République », a lancé sur un air entendu Gabriel Attal, le ministre délégué aux Comptes publics. « Je sais qu’il n’y aura pas d’obstruction ici », a ajouté de son côté Olivier Dussopt, le ministre du Travail. La gauche de l’hémicycle n’a que peu goûté ces références et l’a fait bruyamment savoir. « Ce n’est pas le lieu pour ces remarques ! », a-t-on pu entendre sur les fauteuils socialistes et communistes. « Prévoyez les mots croisés ! », a encore un envoyé un autre, en référence à la grille sortie par Olivier Dussopt lors de l’examen à l’Assemblée. « Revenons au Sénat, revenons au Sénat », a demandé la très expérimentée présidente du groupe communiste, Éliane Assassi. Bref, si on les titille, les sénateurs et sénatrices savent répondre.

« On n’est pas là pour jouer le match retour », a prévenu le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard. Précisément, la question se pose. 4.700 amendements ont été déposés, en bonne partie par les trois groupes de gauche, et cent dix heures de débat sont prévues au palais du Luxembourg. Pour rappel, à l’Assemblée, 2.500 amendements ont pu être examinés en soixante-seize heures. Comprenez qu’aller au bout du texte dans le temps imposé n’a rien d’assuré et pour cause : socialistes, communistes et écologistes, s’ils veulent, contrairement aux insoumis de l’Assemblée, aller jusqu’à l’article 7 sur les 64 ans, veulent empêcher un vote global sur le texte. Il y a deux semaines à l’Assemblée, tout le monde aurait appelé ça sans sourciller de l’obstruction.

Bataille de l’image

Mais là, pas du tout : « On veut prendre le temps d’exposer des arguments de fond sur nos amendements », explique un cadre socialiste. C’est exactement ce que disaient les insoumis avant les débats à l’Assemblée. Bien sur, la suite a été bien plombée par les outrances de plusieurs de leurs députés. Alors quelle différence ? D’abord les socialistes du Sénat, bien moins pro-Nupes que leurs collègues députés, veulent tout faire pour se distinguer des insoumis. Mais surtout et plus globalement, la gauche sénatoriale veut tenter de gagner la bataille de l’image, perdue par la Nupes à l’Assemblée. « Bien sûr, c’est une question de forme, mais en politique ce n’est pas moins important », explicite un socialiste.

Dès jeudi on a d’ailleurs pu réentendre des phrases qu’on a beaucoup entendues au palais Bourbon pendant deux semaines : « N’hésitez pas à retirer vos amendements redondants », a demandé le LR René-Paul Savary à la gauche. Au président du groupe macroniste François Patriat, qui s’inquiétait du nombre d’amendements déposés, la communiste Éliane Assassi a répondu : « Vous voulez quoi ? Aucuns amendement, c’est ça que vous voulez ? » Bref, dans les canons du Sénat, on a quand même assisté à une séance un brin tendue.

Pas de réconfort côté LR

Et pas sûr que le gouvernement puisse se réconforter dans les bras de Les Républicains. Gabriel Attal et Olivier Dussopt ont multiplié les mains tendues et tentatives d’accommodements avec la droite. Elle n’en a que faire. Les élues et élus LR ne se sont pas fait prier pour souligner que ce sont bien eux qui ont entre leurs mains le destin d’une réforme… Qu’ils proposent chaque année au Sénat depuis cinq ans. « La voilà ! La voilà enfin ! Cette proposition sénatoriale reprise par le gouvernement, a ironisé René-Paul Savary. Que de temps perdu, que de temps perdu ! Les faits sont là messieurs les ministres, il n’est jamais trop tard pour bien faire. »



LR n’a pas la majorité absolue, mais rien ne peut se faire sans leur soutien. Mieux encore : LR sera le parti le mieux représenté à la commission mixte paritaire qui, à l’issue de l’examen au Sénat, réunira sept députés et sept sénateurs pour négocier un accord entre les deux chambres. Face aux appels aux compromis de Gabriel Attal, Bruno Retailleau, président du groupe LR, s’est voulu intraitable : « Nous ne sommes pas des girouettes. Notre boussole n’est pas Emmanuel Macron, ce n’est pas le gouvernement. (…) Bien sûr nous allons voter un texte qui sera notre texte. » Le ton est donné et il n’est pas follement plus favorable au gouvernement qu’il y a deux semaines. Au point qu’on se demande si Olivier Dussopt ne va pas vite regretter les insoumis de l’Assemblée.