Emmanuel Macron en Afrique : Cinq ans après Ouagadougou, la nouvelle stratégie française

FC HUMBLE Le président entame une visite en Afrique au programme copieux, la première depuis la fin de Barkhane

Rachel Garrat-Valcarcel
Emmanuel Macron lors de son discours sur la stratégie de la France en Afrique, lundi 27 février, à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors de son discours sur la stratégie de la France en Afrique, lundi 27 février, à l'Elysée. — STEFANO RELLANDINI / POOL / AFP
  • Emmanuel Macron se rend au Gabon, en Angola, en RDC et au Congo-Brazzaville à partir de ce mercredi.
  • C’est la première visite du président sur le continent africain depuis la fin de l’opération Barkhane.
  • L’occasion pour lui de présenter une nouvelle philosophie de relation avec l’Afrique, cinq ans après son discours de Ouagadougou, resté au stade des mots.

L’Elysée a beau souligner qu’il s’agit au moins du 15e voyage en Afrique d’Emmanuel Macron depuis qu’il est président de la République, celui que le président entame ce mercredi au Gabon, en Angola, au Congo-Brazzaville et en République démocratique du Congo a un goût particulier. C’est le premier depuis la fin et le retrait des dernières troupes de l’opération Barkhane, le 9 novembre 2022. « Ce déplacement a donc été conçu comme une illustration de la volonté du président de la République d’aller au bout du changement de posture et au bout du changement de logiciel qu’il avait souhaité engager dès 2017 », explique l’Elysée.

2017. L’accession d’Emmanuel Macron à la présidence et son fameux discours de Ouagadougou, au Burkina Faso, en novembre. Tout à sa disruption originelle, le nouveau président français veut alors s’adresser à la jeunesse du continent lors d’une prise de parole à l’université de la capitale burkinabé, devant des étudiants et étudiantes. Il y a l’annonce, entre autres, de la fin « de la politique africaine de la France », d’un dialogue au niveau continental entre l’Europe et l’Afrique. Vaste projet dont l’Afrique n’a que peu vu la couleur. Il y a eu de vraies suites au sujet de la restitution d’œuvres d’art, actuellement dans des musées français, vers leurs pays d’origine. Mais la fin de Barkhane a plus été dictée par l’impopularité de l’opération elle-même et une rupture avec le Mali que par une vision stratégique.

Humilité

C’est d’ailleurs sur le plan militaire que Jean-Marc Gravellini, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), voit le plus d’inflexions dans le discours présidentiel cinq ans plus tard. Car c’est dès lundi soir, deux jours avant son arrivée à Libreville au Gabon, qu’Emmanuel Macron a livré, depuis l’Elysée, sa nouvelle « vision d’un partenariat avec les pays africains ». « Certains auraient voulu qu’il renverse la table, avec des fermetures de base, mais il y a quand même des choses », note le chercheur. Le chef de l’Etat a annoncé une « diminution visible » de la présence militaire française. Mais qui n’a – attention – « pas vocation à être un retrait ou un désengagement ». Bon. « Ce n’est pas une question de mettre plus ou de mettre moins, expliquait l’Elysée la semaine dernière. La philosophie, c’est de coopérer autrement. »



« Ce que je comprends, c’est que la présence sera maintenue, mais il ne s’agira plus d’implanter comme une enclave française, avec un affichage très fort », analyse Jean-Marc Gravellini. Même si Emmanuel Macron n’a pas été très concret en début de semaine, il a tout de même parlé de bases transformées en académies pour les armées locales, voire de bases conjointes. La France ne veut pas se désengager de la lutte contre le djihadisme, mais elle ne devrait plus être en première ligne… On comprend néanmoins à quel point il est décidément difficile pour Paris de changer de paradigme. La discrétion - Emmanuel Macron a même parlé « d’humilité » - est une idée neuve pour la France en Afrique, sur le plan militaire comme économique.

Naturel, galop

« Il faut bâtir une nouvelle relation équilibrée, réciproque et responsable », a dit le président lundi soir. Ainsi, alors que la Russie étend son influence militaire sur le continent, et la Chine son influence économique, au détriment de Paris, Emmanuel Macron l’a joué au-dessus de la mêlée : « Beaucoup voudraient nous inciter à entrer dans une compétition, que je considère pour ma part comme anachronique. » Est-ce que ça ne ressemblerait pas à la position contrainte d’une France qui a beaucoup perdu de sa superbe en Afrique contre ses concurrents ?

« Ce déplacement n’a pas vocation à faire la course à une influence regrettée », répond l’Elysée, qui veut d’ailleurs battre en brèche cette idée. Pour Jean-Marc Gravellini, il y a pourtant là une nouvelle incohérence dans le discours : « Le président a été très offensif sur le plan économique, en incitant fortement les entreprises françaises à s’intéresser à l’Afrique. » Et s’y intéresser au-delà de la sphère traditionnelle d’influence française, les anciennes colonies, le « pré carré » – qui n’existe pas, d’après le chef de l’État. 

Le président va passer durant son voyage par l’Angola, une ancienne colonie portugaise. La France y est déjà présente, via des formations dans le domaine agricole, et elle espère plus. Mais « tout ça part d’une expression de besoins côté angolais et nous, on essaiera de s’aligner sur les priorités fixées », avançait humblement l’Elysée la semaine dernière.

La France saura-t-elle tenir cette position d’humilité ? C’est toute la question. En 2017, lors du discours de Ouagadougou, Emmanuel Macron avait ruiné son effet « nouveauté » en quelques secondes. Il avait ironisé sur la panne de climatisation dans l’amphithéâtre quand le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, s’était levé et était sorti de la salle : « Il est parti réparer la climatisation », avait-il lancé. Le « bon mot » est resté. Le naturel arrogant de la France menace toujours de revenir au galop.