Italie : « Maligne », « leadeuse », « normalisée »… Et si Giorgia Meloni était partie pour durer ?
Reportage Arrivée au pouvoir en septembre 2022, Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres, connaît un début de mandat sans accroc. Au point qu’en Italie, certains espèrent - ou craignent - un règne au long cours, une rareté dans le pays
- Loin de l’agitation politique actuelle en France, sur fond de réforme des retraites, l’Italie vit des jours exceptionnellement calmes avec le début de règne de Giorgia Meloni.
- Une accalmie qui pourrait se confirmer aux élections régionales, qui débutent ce dimanche. Il s’agira du premier scrutin depuis l’arrivée au pouvoir de la dirigeante d’extrême droite.
- 20 Minutes s’est rendu à Turin, où la population imagine une Giorgia Meloni bien partie pour tenir le pouvoir pendant plusieurs années. Une situation presque incongrue dans ce pays où le politique est éphémère.
De notre envoyé spécial à Turin,
« Vous voyez, les intempéries françaises ne passent pas les Alpes », sourit Catia devant le ciel turinois inondé de bleu. Il n’a pas plu depuis des semaines dans la ville, et les prévisions annoncent un soleil pétard pour les jours à venir. Une différence météorologique que l’on pourrait calquer sur les chefs d’Etat des deux Nations voisines. D’un côté la soupe à la grisaille pour Emmanuel Macron, bousculé avec sa très impopulaire réforme des retraites. De l’autre, pas de nuage à l’horizon pour Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres en Italie.
La cheffe d’extrême droite vient de boucler ses 100 premiers jours et sa lune de miel avec la Botte semble jouer les prolongations, selon Nando Pagnoncelli, directeur de l’institut de sondage Ipsos en Italie. Le gouvernement Meloni est crédité de 46 % d’opinions favorables, alors qu’elle n’avait été élue qu’avec 23 % des suffrages. A la radio, les informations répètent en boucle les bons résultats économiques - chômage et dette en baisse. Dans ce contexte, les régionales qui arrivent, première élection depuis sa prise de pouvoir en septembre 2022, ont des allures de formalité. Le vote débute en plus ce dimanche par les régions de la Lombardie et du Latium (Rome et ses environs), deux bastions de droite. La story de Meloni pourrait donc en ressortir grandie, au point que le pays se met à croire en un peu de stabilité politique, une pensée presque incongrue ici.
Des politiques bien éphémères
L’électeur italien a en effet le vote volage et se lasse bien vite. La vie politique y est l’une des plus mouvementés d’Europe - les Britanniques restant de très solides concurrents. Comptez sept chefs du Conseil, huit gouvernements et trois législatures sur les dix dernières années. Au-delà des simples chiffres, le pays semble raffoler des étoiles filantes, ces politiques portés au firmament puis brûlés bien vite. Mario Draghi, le précédent président de Conseil, en est un bon exemple. L’ancien président de la BCE avait été placé à la tête du pays en 2020, bénéficiant du soutien de la quasi-totalité des partis politiques, avec la lourde tâche de sauver l’Italie en pleine pandémie de coronavirus. Il démissionnera moins de deux ans plus tard à la suite d’une énième crise gouvernementale. Matteo Salvini, leader de La Ligue, illustre aussi bien l’essoreuse qu’est devenue la politique italienne : il y a encore quelques années, il faisait la pluie et le beau temps. Le voilà désormais réduit à être la cinquième roue du carrosse gouvernemental. Vice-président certes, mais dont les lignes idéologiques ne sont aucunement suivies.
Du même bord politique que ce trublion, Giorgia Meloni semble, elle, faite d’un autre bois, suffisamment consistant pour résister aux passions italiennes. « Salvini est un con, elle non. C’est une maligne », regrette Allesandro, 47 ans, dont le cœur qui bat à gauche toute voit peu de raison de s’enflammer dans les mois à venir : « Elle s’est lissée, adaptée, elle se ''normalise'' pour durer. » Un constat partagé par tous les électeurs de gauche croisés - et ils sont nombreux à Turin. Pour eux, Meloni a passé ses 100 premiers jours au pouvoir à faire oublier des années à multiplier les déclarations tapageuses.
Meloni et le principe de réalité
Son mantra actuel se résume à une phrase qu’elle répète à l’envie : « L’important est de tenir compte de la réalité ». L’euroscepticisme revendiqué pendant ses campagnes ? Un lointain souvenir, alors que l’Italie compte bien sur les précieux euros du plan de relance des Vingt-Sept. Le soutien à la Russie, si cher à ses deux alliés pour accéder au pouvoir, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi ? Aux oubliettes, l’Italie de Meloni soutient l’aide à l’Ukraine, afin de ne froisser ni Bruxelles ni l’Otan. Le budget ? Il est sur les mêmes bases que son prédécesseur libéral Draghi, avec d’ailleurs le même ministre de l’Economie. « C’est ce qui explique son succès, confirme Nando Pagnoncelli. Elle a rassuré les électeurs de tout bords en se montrant finalement très modérée. »
Reste évidemment le risque que ce lissage ne déplaise à ses électeurs. Mais même en Italie, où on change de président du Conseil plus vite qu’on ne boit son espresso, certains veulent croire en l’éloge de la patience. « Elle n’est là que depuis cent jours ! Si elle avait changé le pays en si peu de temps, ce ne serait pas la cheffe des ministres mais la Vierge Marie », s’emballe Massima, chauffeur de taxi. Lui-même a voté pour Meloni, dans l’espoir qu’elle inverse « l’ubérisation du pays. J’ai payé 60.000 euros ma licence de taxi, ce n’est pas pour voir n’importe qui pouvoir prétendre faire mon métier ».
S’il est plutôt satisfait pour l’instant de la présidente - « les résultats économiques sont bons » –, il se fait peu d’illusion sur son avenir à long terme. Le quinquagénaire le sait, rien ne dure longtemps au pays. « Cela se passera bien aux régionales, car ce sont des élections proches de sa nomination et elle a encore le vent en poupe. Si elle est douée, elle tiendra peut-être deux ans, deux ans et demi. Plus, c’est très compliqué ici ». Depuis 1987, seul Silvio Berlusconi, par deux fois (2001-2006 et 2008-2011), a réussi à dépasser les trois ans.
La fin du RSA italien, une mesure porteuse
Un fatalisme auquel n’adhère pas Cinzia, gérante d’entreprise de métallurgie. L’équation est simple pour celle qui se définit comme « une optimisme de nature ». A partir du moment où elle a voté Meloni, elle est bien décidée à croire à son succès pour les années à venir. Mais outre cette méthode Couet, il y a la lassitude de voir le pouvoir changer sans cesse de mains et d’alliances. Dans une décennie déjà marquée par le Covid-19, l’inflation et la guerre en Ukraine, « un peu de stabilité ferait du bien à l’Italie ». Elle cite également une mesure très à droite de Giorgia Meloni - une des rares de son programme réellement mise en place. Le revenu de citoyenneté, équivalent du RSA français, a été revu à la baisse en 2023, et sera supprimé en 2024.
« C’est une décision à laquelle j’adhère totalement, et je ne suis pas la seule », clame la gérante. On parle d’une femme biberonnée à l’huile de coude, dont le père de 73 ans travaille encore – par volonté et par plaisir. Une rémunération « sans bosser » est donc contraire à toutes ses valeurs, dans un pays où chaque dépense sociale est scrutée de près.
La femme providentielle ?
Même sens de la (dé) mesure chez Alonso, 59 ans. Le sourire carnassier et le regard fier de celui qui a travaillé toute sa vie – dès 14 ans dans son cas – pour enfin décrocher le bonheur lors de ses vieux jours. S’il profite de sa retraite pour skier dans les Alpes françaises, ses yeux ne s’embrasent que pour sa nation : « L’Italie a tout pour devenir le plus grand pays du monde. On a la plus belle culture, les plus belles plages, le plus beau patrimoine. Si on n’est pas numéro 1, c’est la faute à l’assistanat et au manque d’un leader ». Ou d'une leadeuse, que l’Italie pourrait bien avoir enfin trouvée, selon lui. « On a besoin d’une personne forte pour remettre le pays à l’endroit. »
Ca tombe bien, il voit Meloni rester longtemps. « Au moins cinq ans », ne serait-ce qu’en raison d’une opposition inexistante. En Italie, le pouvoir s’acquiert par des jeux d’alliances, et les partis de gauche sont pour le moment incapables de créer une coalition, minés par de profonds désaccords internes. « Les autres nous ont tous déçus en ne faisant rien. On peut toujours critiquer Meloni en disant qu’elle n’a pas fait grand-chose, mais dans la politique italienne, réaliser ne serait-ce qu’une action, c’est déjà faire mieux que tout le reste. »
Cet amour du « leader » est l’un des rares espoirs de la gauche pour espérer en finir au plus vite avec la présidente du Conseil. « Il y aura bien quelqu’un d’autre qui séduira en hurlant encore plus fort que Meloni », espère Catia. Sauf que pour la première fois depuis bien longtemps, l’Italie semble prête à laisser les autres politiques aboyer dans le vide pour regarder la caravane Meloni tracer sa route.