Réforme des retraites : « Compétent » mais « anesthésiant », Olivier Dussopt en première ligne

GROS TEMPS Peu charismatique mais très technique, le ministre du Travail mène la bataille de la réforme des retraites, parfois avec difficultés

Rachel Garrat-Valcarcel
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Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 8 février, à l'Assemblée nationale.
Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 8 février, à l'Assemblée nationale. — JULIEN DE ROSA / AFP
  • C’est Olivier Dussopt, le ministre du Travail, qui porte la réforme des retraites pour le gouvernement.
  • Si dans l’Hémicycle, on lui reconnaît de grandes capacités techniques, l’homme est peu charismatique.
  • Il est aussi rattrapé par son passé socialiste et une affaire de favoritisme.

Il prend la marée. Au moment de commencer son discours, en introduction du débat à l’Assemblée, lundi dernier, Olivier Dussopt, le ministre en charge de la réforme des retraites, doit affronter l’immense bronca venue de la gauche. Les pupitres claquent, les députés et députées sont debout, vindicatifs. Dans de tels moments, se tenir à la tribune équivaut à être un marin à la proue de son bateau en pleine tempête, qui doit faire face. Mais Olivier Dussopt devra renoncer, cette fois-là. Après avoir refusé de le faire, la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, est obligée de suspendre la séance pour tenter de calmer les esprits.

Le ministre du Travail a bien fini par le prononcer, son discours, mais a laissé un doute sur sa capacité à « tenir » l’Assemblée par gros temps. « Il était nerveux, pas hyper à l’aise, croit un député socialiste. En général, il essaye d’afficher un flegme technocratique, mais là, on le sentait emmerdé. » Pas de quoi entamer la confiance que lui porte le président de la République. « On a la chance d’avoir un ministre courageux et compétent », déclarait ainsi Emmanuel Macron lors du Conseil des ministres mercredi, lors d’une marque de soutien « personnelle et politique ».

Un « gros bosseur » mais « anesthésiant »

Dans la majorité aussi, on est « impressionné ». Comme Gilles Le Gendre, député Renaissance (RE) de Paris, qui le trouve « absolument au point techniquement. C’est impossible de le coincer. « Il arrive à apporter toutes les précisions nécessaires aux parlementaires. Dans un débat aussi complexe, c’est important », ajoute le député RE de Marseille Lionel Royer-Perreaut. Le député Horizon Paul Christophe est lui ravi du travail fait en amont avec le ministre. Et les socialistes, qui connaissent bien Olivier Dussopt puisqu’il a siégé dans leurs rangs de 2007 à 2017, sont bien obligés de reconnaître ses compétences. « C’est un gros bosseur, c’est sa force. Mais c’est aussi anesthésiant, il tue le débat », analyse un député socialiste qui ne l’a jamais côtoyé sur les bancs de l’Hémicycle.

« Franchement, on comprend à peine ce qu’il dit !, s’offusque presque un cadre des Républicains. Cela révèle bien la faiblesse structurelle de Macron : il est seul dans le désert. » « C’est vrai que ce n’est pas le gars le plus charismatique », euphémise quant à lui un député du MoDem. Mais ça n’inquiète pas plus que ça dans la majorité. « Il est bon dans sa communication empathique, douce, croit un député RE francilien. Il est rarement arrogant, ce n’est pas quelqu’un qui souffle sur les braises. » « Faut-il parler le plus fort pour tenir la baraque ?, se rassure-t-on dans un ministère concerné par la réforme des retraites. Dans un monde de vociférations, ses murmures sont la meilleure des réponses… »

L'arroseur arrosé

« Il est fort, il est fort… Pas tant que ça, tempère un autre député de la Nupes. C’est son verbiage désincarné qui donne l’impression qu’il est fort » Un autre d’ajouter : « Il est fragile sur le point de départ de la réforme, sur l’idée qu’elle est indispensable. Il faut aller le chercher sur le choix idéologique et ses contradictions. » Ses contradictions personnelles, notamment. Car il y a treize ans, alors jeune député PS, Olivier Dussopt s’opposait fortement à la réforme Woerth sur la retraite à 62 ans. Mardi, lors des Questions au gouvernement, le député socialiste Iñaki Echaniz a ainsi fait un joli coup en posant, sans le dire, exactement la même question que l’actuel ministre du Travail avait posé en 2010 lors de la précédente réforme. L’ancien socialiste n’a pas semblé s’en apercevoir avant qu’Echaniz ne précise son coup dans sa réplique. « Je ne peux pas imaginer qu’il n’a pas de remords quand il défend cette réforme, en pensant à ces engagements passés », se demande un cadre socialiste. Mais jusque-là, ça n’a pas l’air de l’affaiblir : « il n’est pas abîmé par son passé », rétorque un député macroniste francilien déjà cité. « La vraie trahison, c’est celle du PS », surenchérit Gilles Le Gendre.

Il y a donc son parcours politique, mais également les affaires. Olivier Dussopt est accusé de favoritisme par le Parquet national financier dans une affaire de marché public dans sa commune d’Annonay, en Ardèche. « Franchement, personne n’en parle », balaye Le Gendre. « Les choses glissent sur lui de manière générale, analyse Arthur Delaporte, député PS du Calvados. Dans un gouvernement normal, dans un pays normal, ça ferait des vagues. Mais ils nous ont habitués à traiter ce type d’affaire sans considération… »



« De toute façon, on ne va pas en changer maintenant », ironise-t-on dans un ministère. Ailleurs au gouvernement, on se demande tout de même ce qui mérite tant d’éloges du président, comme le révélait France Info jeudi matin. Le tableau n’est pas reluisant : la réforme est impopulaire, et même de plus en plus, le mouvement social a fait sortir plus de monde dans la rue que jamais depuis trente ans… Mais le plus probable, c’est que la réforme passe. Par un vote, par un 49.3 ou par ordonnances, le gouvernement a les cartes en main. Qu’Olivier Dussopt soit l’homme de la situation ou pas.