Assemblée : Du consensus et du terrain… La majorité tente de s’organiser face à la nouvelle donne parlementaire
MINOTS MINO•Même avec une majorité relative, la coalition macroniste a quelques cartes en main pour gérer cette situation nouvelle. Mais elle a besoin de s’organiser en conséquenceRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Habituée au confort de la majorité absolue lors du précédent quinquennat, la majorité macroniste va devoir s’adapter dans la nouvelle Assemblée.
- On attend davantage de collaboration avec des élus d’autres groupes, mais avant tout au sein de la majorité elle-même.
- Certains annoncent aussi un retour nécessaire sur le terrain.
Dix-huit voix. A dix-huit voix près, le tout premier texte examiné par la nouvelle Assemblée nationale était rejeté d’emblée, lundi soir. Le projet de loi sanitaire était en effet visé par une motion de rejet préalable de la Nupes, suivie par le RN. Ça aurait fait tache. Alors la cheffe du groupe Renaissance (172 sièges), Aurore Bergé, a tout de suite prévenu, mardi matin, en réunion de groupe : « La séance prévaut sur tout. » Comprendre : la macronie n’a plus les coudées franches. Passés des confortables pantoufles de la majorité absolue aux durs sabots de la majorité relative, les députés et députées Ensemble ! vont devoir – très vite – s’y faire pour éviter les déconvenues.
Partons du constat : avec 250 sièges, la coalition macroniste dans son ensemble forme la plus faible majorité relative de l’Histoire de la Ve République – à 39 sièges de la majorité absolue. Une situation difficile qui rend peu probable le fait que la législature dure bien cinq ans, mais pas totalement noire non plus. « Il y a trois blocs, et le bloc central est largement majoritaire », c’est-à-dire loin devant la Nupes et l’extrême droite, rappelle le député MoDem (48 sièges) Erwan Balanan. « Quand on regarde comment fonctionne l’Assemblée, on s’aperçoit que pour la plupart des textes, on n’est pas obligé d’avoir 289 sièges pour que ça passe. Beaucoup passent ''naturellement'' avec une majorité relative, on va y arriver comme ça sur beaucoup de sujets. » Tant que ni la Nupes, ni LR ni le RN ne s’accordent pas pour voter contre en même temps, le gouvernement est donc a priori tranquille.
Consensus à tous les étages
Cela ne suffira néanmoins pas sur LE grand texte, LES grandes réformes. Le centriste breton le reconnaît : « Il va falloir aller chercher du consensus, mieux écouter les oppositions. » Les macronistes y sont-ils prêts et prêtes ? Aurore Bergé, qui a pris la suite de Christophe Castaner, battu aux législatives, semble vouloir impulser de nouvelles règles. Désormais, par exemple, ses députés et députées ont l’autorisation de signer des amendements avec des collègues d’autres groupes. « Ils ne pouvaient pas le faire jusque-là, même avec nous », souffle, un peu goguenard, un conseiller du Mouvement Démocrate de François Bayrou. « Il y a une vraie volonté d’associer l’ensemble des parlementaires de la majorité », clame la porte-parole du groupe Renaissance, Maud Bregeon.
Donc chez les macronistes, consensus bien ordonné commence par soi-même. « Si on veut se mettre d’accord avec les autres, il faut d’abord qu’on soit soudés dans la majorité, qu’on travaille entre nous en amont », prévient Erwan Balanan. Une vision a priori partagée par Laurent Marcangeli, le président du groupe Horizon (les proches d’Edouard Philippe, 30 sièges), pour qui la cosignature d’amendements avec l’opposition ne semble pas être la priorité : « Si on veut faire les choses de manières sensées, il faut les faire dans ce sens-là. » Pour cela, il faut inventer une coordination entre les trois groupes de la majorité. Une chose rare sous la Ve République, qui n’était plus arrivée depuis la gauche plurielle, de 1997 à 2002.
Entre Corses
« On est en rodage, mais les rapports sont bons entre les trois présidents de groupe », affirme Laurent Marcangeli. Côté MoDem, alors que les relations n’ont pas toujours été simples entre François Bayrou et Edouard Philippe, on veut aussi croire qu’il n’y a « pas de raisons que ça se passe mal ». Au fond, la majorité relative oblige les trois partis à se serrer les coudes : « Si Renaissance n’avait eu besoin que d’un des deux groupes – MoDem ou Horizon – pour avoir la majorité, là, il y aurait pu avoir des bisbilles », croit un collaborateur centriste. Le même espère que les origines corses du président du groupe démocrate, Jean-Paul Mattei, vont mettre de l’huile dans les rouages avec Laurent Marcangeli, député d’Ajaccio.
Mais affronter cette « repolitisation » de l’Assemblée devra se faire sans les piliers d’avant. Si on a beaucoup parlé des défaites de Richard Ferrand et de Christophe Castaner côté Renaissance, le président du groupe MoDem, Patrick Mignola, et celui qui était pressenti pour prendre la tête du groupe Horizon, Pierre-Yves Bournazel, ont aussi été battus. « Beaucoup de nos députés ont été élus en 2017 et ont acquis une vraie expérience du travail parlementaire, notre groupe est un des plus expérimentés », rassure Maud Bregeon. « On sait faire de la politique !, s’offusque Erwan Balanan. Ne vous inquiétez pas, des personnalités vont naturellement émerger. Quand les têtes tombent, forcément, ça crée des interrogations, mais tout cela va se régler. »
Cul des vaches
Au-delà du travail parlementaire au sens strict, les membres de la majorité vont aussi devoir s’organiser pour être plus souvent sur le terrain. « Je vous demande d’être en campagne permanente », a même lancé Emmanuel Macron jeudi dernier à l’Elysée. « C’est sûr que c’est un logiciel que tous n’avaient pas », souffle, ironique, un député Renaissance. Lors de la mandature précédente, on a souvent reproché aux députés macronistes d’être en partie hors-sol. Une des raisons, sans doute, de la perte de 100 sièges. « Le résultat des législatives, c’est le résultat de ce qui se passe sur le terrain. Le cul des vaches, il faut aller le sentir tous les jours », invite le député haut en couleur de Poissy, Karl Olive.
En termes plus mesurés, Erwan Balanan parle de « reconnecter le travail du Parlement avec le reste du monde, en travaillant avec les syndicats, les associations, les citoyens, les corps intermédiaires… Mettre les grands sujets à l’agenda de la Nation, très en amont du débat parlementaire. » Une méthode qui n’est pas sans rappeler le Conseil national de la refondation appelé de ses vœux par le président de la République.
C’est sans doute aussi tout le sens de la refondation de LREM en Renaissance, avec aux manettes le chef des députés macronistes au Parlement européen, Stéphane Séjourné. « Nous devons devenir le parti le plus décentralisé de l’histoire. À l’échelle départementale, les responsables locaux auront des marges de manœuvre budgétaires, des permanences locales », a-t-il par exemple annoncé dans Le Figaro la semaine dernière. Le succès de la majorité présidentielle dans cette mandature minoritaire passe par là. La survie du mouvement au-delà du second et dernier mandat d’Emmanuel Macron aussi, sans aucun doute.