Assemblée nationale : Le discours de politique générale, une somme de défis pour Elisabeth Borne
GRAND ORAL Même si elle ne joue pas sa tête ce mercredi, Elisabeth Borne joue gros sur la forme et sur le fond face à une Assemblée nationale majoritairement hostile
- Ce mercredi, Elisabeth Borne va prononcer sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale.
- Sur le fond comme sur la forme, les enjeux sont importants pour la Première ministre.
- Le fait d’être une femme et de se confronter à des canons très masculins est sans doute aussi un désavantage.
C’est un exercice qui a un peu perdu de son lustre : la déclaration – plus communément appelée discours de politique générale du gouvernement, traditionnellement prononcée par le ou la Première ministre devant l’Assemblée peu après sa prise de fonctions. Surtout depuis que les législatives étaient devenues une confirmation de la présidentielle, soit depuis 2002. En 2017, le discours d’Edouard Philippe avait même été en partie occulté par celui d’Emmanuel Macron, prononcé devant le Congrès (Assemblée et Sénat réunis)… la veille. Ce discours de politique générale n’a donc pas l’importance d’une investiture – ce n’en est pas une –, et ce passage n’est pas obligé. Et si Elisabeth Borne se prêtera bien à cette épreuve ce mercredi, elle ne demandera même pas la confiance des députés et députées.
Oui, mais pour la première fois depuis trente ans, une femme va prononcer un tel discours devant une Assemblée qui lui est majoritairement hostile. De quoi redonner un peu d’intérêt à l’évènement. Elisabeth Borne ne jouera certes pas sa tête, mais « on a plus à perdre qu’à gagner dans le discours de politique générale, croit Michaël Moreau, journaliste et auteur de Les Plumes du pouvoir *. L’enjeu c’est d’asseoir son autorité, sa vision, de dessiner un cap ». Un enjeu d’autant plus clef dans ce contexte incertain d’une Assemblée morcelée et sans majorité évidente. La Première ministre choisira-t-elle d’être purement dans la ligne du programme présidentiel, ou donnera-t-elle des signes d’ouverture ? Ce sera un indicateur important.
Un fil rouge, pas une énumération
Elisabeth Borne a beau être de tous les gouvernements depuis cinq ans, elle reste peu connue. Ce discours, au même titre qu’une première grande interview, par exemple, sera une carte de visite, l’esquisse d’un autoportrait politique, via les sujets abordés et les choix faits. Ce fut le cas pour son prédécesseur. « Il faut éviter les énumérations, avoir un fil rouge, reprend Michaël Moreau. Jean Castex, son fil rouge, c’était sur les territoires. Il faut donner des priorités et prendre le parti de ne pas évoquer tous les sujets, quitte à faire grincer quelques dents. »
Imprimer une marque politique, donc. De là à détonner et voir grand, comme Jacques Chaban-Delmas et son concept très global de « Nouvelle société », en 1969 ? Attention danger : « Il faut imprimer sa marque sans marcher sur les plates-bandes de celui qui est au-dessus », a.k.a. le locataire de l’Elysée. En 1969 toujours, avec son programme vu comme très progressiste pour l’époque, et surtout pour sa majorité conservatrice, Jacques Chaban-Delmas s’était mis mal, dès l’entame de son mandat, avec le président qui l’avait nommé, Georges Pompidou. Gageons plutôt que le discours de cette année sera de ceux – ils ne l’ont pas tous été – écrits en étroite collaboration avec la présidence.
« Il faudra qu’elle emmène les gens avec elle »
La forme sera sans doute toute aussi importante que le fond. Et c’est normal, on ne fait pas une étude de texte, on est dans un Parlement. Et donc on y… « parlemente ». « Un bon discours, c’est un discours qui allie trois choses : le pathos, la capacité à émouvoir ; le logos, la capacité à présenter une argumentation logique ; et l’ethos, la capacité à faire dire au public que l’interlocuteur inspire confiance », décrit Dominik Abbas, le vainqueur du grand concours international d’éloquence 2021 de la Sorbonne. Pour lui, il y a d’ailleurs deux moments-clés : le tout début, qui donne le ton, et la fin, qui laisse une dernière image.
Faire passer une émotion… L’enjeu est de première importance pour une Première ministre au profil moins politique que technique. « Elle pourrait avoir tendance à faire une présentation très technocrate, quasiment un Powerpoint de sa politique. Il faudra qu’elle réponde aux peurs, aux angoisses, qu’elle regagne la confiance, qu’elle emmène les gens avec elle, sinon ce sera juste un discours désincarné », poursuit Dominik Abbas. Elisabeth Borne a certes l’habitude du Palais Bourbon, du chaudron qu’il peut parfois devenir. Mais elle a aussi plusieurs fois été raillée pour des prises de paroles sur un ton très monocorde, mécanique, comme lors des soirées électorales des législatives. Il faudra faire mieux pour capter l’attention des parlementaires – et au-delà – pendant une heure.
Un peu de virilité, mais pas trop
A ce titre, Elisabeth Borne part avec un désavantage supplémentaire : c’est une femme. Pas qu’ici, on pense qu’une femme est moins capable qu’un homme de faire ce type de discours. Mais les canons d’un bon discours sont, jusqu’à présent en tout cas, gravés dans un marbre particulièrement testosteronné. Littéralement, ne serait-ce qu’au sujet de la voix : « Les femmes qui ont la voix trop aiguë passent pour des femmes qui n’ont pas de voix, elles ne sont pas légitimes », constate la comédienne Martine Guillaud, coach en prise de parole. La Première ministre n’est pas dans cette catégorie, mais ce n’est pas le seuil écueil qui pave la route les femmes de pouvoir.
Valérie Pécresse, l’ancienne candidate LR à la présidentielle, a payé pour le savoir. En février, elle est totalement passée à côté de meeting au Zénith, qui devait pourtant être le tournant de sa campagne. La faute à un discours prononcé comme si elle chantait faux. « Elle s’est plantée car elle a voulu changer sa posture, y injecter un peu de masculinité, croit Martine Guillaud. Il faut savoir ce qu’on donne à voir, et voir ou on est bon, connaître ses atouts. » Les femmes politiques sont en réalité confrontées à une double exigence contradictoire : avoir l’air viriles pour être entendues, mais pas trop pour conserver « la proximité, qui plaît chez les femmes politiques ». Ce n’est pas la plus simple des équations qu’Elisabeth Borne aura à résoudre, ce mercredi, au palais Bourbon.
* « Les plumes du pouvoir », de Michael Moreau, ed. Plon, 2020.