Législatives 2022 : Mélenchon à Matignon, le dernier « coup de poker » du leader insoumis ?

REPORTAGE Le patron de La France insoumise était en meeting ce mercredi soir à Paris pour soutenir les candidats de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes)

Thibaut Le Gal
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Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon. — STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
  • Après sa défaite au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon n’a pas vraiment abandonné la politique française.
  • Le patron de La France insoumise a demandé aux Français de l’envoyer à Matignon aux législatives de juin prochain.
  • En réalisant l’union de la gauche, l’ancien sénateur a réussi un joli coup politique, mais un échec pourrait définitivement sceller son avenir politique selon ses détracteurs.

Pour ses adversaires, c’est un peu le méchant des films d’action, celui qui se relève toujours malgré la rafale de coups, et qu’on peine à envoyer définitivement au tapis. Après sa défaite d’un cheveu au premier tour de la présidentielle, la troisième en trois candidatures, ses ennemis espéraient bien en avoir fini de Jean-Luc Mélenchon. Mais sur la scène de la salle Olympe de Gouges à Paris, mercredi soir, le patron de La France insoumise était bien debout, et très en forme.

Journal en main, le tribun a fait rire la salle en ironisant sur des articles et des photos de lui qu’il ne trouve pas à son goût. Puis revient sur le soir du 10 avril dernier. « A la stupeur générale, alors qu’on donnait notre famille morte, inexistante, martyrisée. Soudain que se passe-t-il ? Trois blocs surgissent ! », lance-t-il ce soir au micro, vantant ses 22 % au premier tour de la présidentielle. « Nous sommes désormais en état de faire l’Histoire, et il fallait le comprendre tout de suite, nous pouvons retourner la table. Nous sommes une alternative ! »

« On a perdu la bataille Mélenchon à l’Elysée, on veut amener Mélenchon à Matignon »

En vieux filou de la politique, et malgré l’échec du mois d’avril, le patron de La France insoumise a eu cette sacrée trouvaille pour vite retomber sur ses pattes et retrouver le devant médiatique : « Élisez-moi Premier ministre ». Fort de sa troisième place à la présidentielle, le candidat battu a lancé cette formule aux Français, sans même prendre le temps d’attendre la fin du second tour. « Ca montre qu’on ne lâche pas l’affaire, et qu’on aspire vraiment à gouverner. On a perdu la bataille Mélenchon à l’Elysée, mais on est déterminés à amener Mélenchon à Matignon », lâche Danielle Simonnet, candidate Nupes dans la 15e circonscription de Paris, peu avant le meeting.

Dans les jours qui ont suivi l’élection d’Emmanuel Macron, le leader insoumis et ses camarades ont martelé ce slogan dès qu’ils en avaient l’occasion sur tous les plateaux profitant de l’espace offert par leurs adversaires. « La droite était KO debout, Marine Le Pen étrangement absente, et LREM faisait du surplace en attendant le nouveau gouvernement. Il faut lui reconnaître ce talent d’avoir pris l’échappée quand tout le monde se regardait dans le peloton », assure le sénateur PS Rachid Temal, pourtant avare de louanges sur son ancien camarade socialiste.

Jean-Luc Mélenchon en meeting à Paris.
Jean-Luc Mélenchon en meeting à Paris. - TLG/20minutes

Sur le faux plat, Jean-Luc Mélenchon a en effet réussi un tour de force : faire l’union (derrière lui), ce que beaucoup pensaient impossible après une campagne présidentielle houleuse à gauche. Les anciens rivaux socialistes, écologistes et communistes ont glissé sous le tapis leurs critiques sur la laïcité et une supposée « complaisance » du tribun à l’égard de Vladimir Poutine, tout comme certaines divergences programmatiques, pour toper et faire campagne commune sous la bannière de la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale). « Beaucoup pensaient que la gauche et les écolos étaient irréconciliables. Ceux qui disaient ça sont chez Macron, et on ne s’en plaint pas du tout », avance le patron d’EELV Julien Bayou, ce mercredi soir.

Même chez les adversaires, on reconnaît le coup réalisé par l’insoumis. « Il a mis en place son plan, en leader incontestable de la gauche. Il a eu l’intelligence politique de tendre la main, même à ceux qui l’ont empêché d’être au second tour, sans rancune apparente », souffle Benjamin Cauchy, ancienne figure des gilets jaunes, aujourd’hui candidat Reconquête dans l’Aisne.

« L’hyper-personnalisation peut mobiliser un électorat anti-Mélenchon »

La gauche aura donc une candidature commune dans les 577 circonscriptions les 12 et 19 juin prochains. Avec l’espoir d’obtenir une majorité, pour convaincre Emmanuel Macron de nommer Jean-Luc Mélenchon à Matignon, ou du moins, devenir la première force d’opposition à l’Assemblée nationale. Car les sondages, certes flatteurs, montrent que la gauche est encore loin d’obtenir une majorité de sièges au soir du second tour. Cette perspective obligerait-elle déjà les insoumis à infléchir le discours initial ? « Il y a toujours eu ces deux options sur la table : gouverner ou être un groupe de blocages important contre la politique d’Emmanuel Macron, le saccage social et l’inaction climatique », balaie Danielle Simonnet. Malgré des sondages inespérés il y a encore quelques mois, la stratégie ne fait d’ailleurs pas que des heureux à gauche.

Bien poussées par certains ténors socialistes, des candidatures dissidentes affronteront les investis de la Nupes. D’autres estiment que la figure de Mélenchon pourrait être un repoussoir pour certains électeurs. « Pour éviter la démobilisation de son électorat, il a opté pour l’hyper-personnalisation du scrutin. Ce joli coup de poker peut d’ailleurs faire sourire car les insoumis ont passé leur temps à dénoncer la monarchie présidentielle, ironise Rachid Temal. Mais c’est surtout une arme à double tranchant, car ça peut mobiliser un électorat anti-Mélenchon », ajoute-t-il.

Au sein de Renaissance (ex-La République en marche), on attaque désormais sous cet angle. Plusieurs macronistes ont lancé ce mercredi sur Twitter une opération anti-Nupes, publiant des affiches de Mélenchon déchirée et critiquant le programme porté par l’insoumis, avec ce jeu de mot : « Nous ne sommes pas Dupes ». A droite, d’autres relativisent les bons sondages actuels. « Ce cartel des gauches crée une dynamique, c’est sûr. Mais ce qui est vrai au niveau national autour de la tête d’affiche Mélenchon n’est pas forcément vrai au niveau local, dans les circo où les candidats insoumis sont de parfaits inconnus », confie Philippe Gosselin, député Les Républicains de la Manche.

Au micro, ce mercredi soir, l’intéressé est resté fidèle à lui-même, très confiant pour la suite. « Le peuple français a compris l’appel qui a été lancé [pour les législatives], que c’est bien un troisième tour. Ce n’est pas un abus de langage », dit-il, avant de taper un peu sur les journalistes. «Ils écrivent tous la même chose, Mélenchon se rêêêve de Matignon, c’est pour mieux dire " il n’y croit pas lui-même, il est trop intelligent pour le croire" ». Et si le pari était réellement perdu ? Alors qu'il avait annoncé auprès de 20 Minutes que 2022 serait sa dernière candidature à la présidentielle, beaucoup pensent déjà que l’insoumis sera bel et bien là dans cinq ans. Pour un énième épisode de la saga Mélenchon.