Burkini dans les piscines municipales : Laurent Wauquiez peut-il vraiment « couper toute subvention » à Grenoble ?

FAKE OFF Le président de la région Auvergne Rhône-Alpes menace la ville de Grenoble de ne plus verser de subvention si le port du burkini devait être autorisé dans les piscine municipales, une mesure qui ne peut être appliquée qu'en cas d'entorse à la loi

Maïwenn Furic
Laurent Wauquiez  a annoncé la couleur sur Twitter, il ne subventionnera plus Grenoble si le burkini est autorisé dans les piscines municipales
Laurent Wauquiez a annoncé la couleur sur Twitter, il ne subventionnera plus Grenoble si le burkini est autorisé dans les piscines municipales — ROMAIN DOUCELIN/SIPA
  • Le maire de Grenoble, Eric Piolle, souhaite autoriser le burkini dans les piscines municipales. Une mesure à laquelle Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’oppose catégoriquement.
  • Si le nouveau règlement entre en vigueur, ce dernier a menacé de « couper toute subvention » à la ville de Grenoble pour ne pas financer de « soumission à l’islamisme ».
  • Sur quel principe légal peut s’appuyer le président de région pour prendre une telle décision ? La ville de Grenoble a-t-elle son mot à dire face à une telle décision ? 20 Minutes a contacté des spécialistes du droit afin d’y répondre.

Nouveau bras de fer en Auvergne-Rhône-Alpes. Alors que le maire de Grenoble, Eric Piolle, souhaite autoriser le port du burkini dans les piscines municipales, le président de région, Laurent Wauquiez, s’y oppose. Sur son compte Twitter, ce dernier a déclaré : « M. Piolle projette d’autoriser le burkini dans les piscines municipales. Je mets le maire en garde : dans ce cas, la Région coupera toute subvention à la ville de Grenoble. »


La majorité du maire de Grenoble va présenter ce nouveau règlement intérieur pour ses piscines au conseil municipal du 16 mai prochain. Le texte a pour objectif de favoriser l’égalité d’accès au service public. Eric Piolle a réagi auprès de 20 Minutes : « Vous pourrez venir avec un maillot couvrant pour se protéger du soleil. Vous pourrez venir avec un maillot couvrant pour d’autres raisons. C’est l’égalité d’accès au service public. » Il a également noté que si le texte est adopté, il entrerait en vigueur dès le 1er juin, pour l’ouverture des bassins pour l’été.

Le président de région pourrait-il vraiment « couper toute subvention » à Grenoble si le nouveau règlement venait à être adopté ? 20 Minutes fait le point.

FAKE OFF

« Une subvention n’est pas un droit », tient à préciser Christophe Mondou, maître de conférences en droit des collectivités territoriales et droit public à l’université de Lille. Pour qu’une subvention soit allouée, que ce soit à une association ou à une mairie, les deux parties doivent signer une convention d’objectif et de moyen. Le règlement doit être respecté. « Dans le cas où il y aurait un non-respect du règlement, ou une pratique illégale, alors le contrat pourrait être rompu », poursuit-il.

Mais si c’est le cas, la subvention supprimée concerne un point bien précis. « Il n’est pas possible de toutes les couper, comme le dit Laurent Wauquiez. On ne supprime pas les subventions allouées à l’eau, aux cantines, aux écoles… pour un litige au niveau des piscines », explique Pierrick Gardien, avocat en droit public au barreau de Lyon.

Une atteinte à la laïcité dans les services publics ?

Eric Piolle n’entrerait pas dans l’illégalité en autorisant notamment le burkini dans ses piscines. Rien qui ne puisse donc permettre la suppression de la seule subvention attribuée aux piscines municipales. « Sauf si le président de région estime que cela enfreint la charte de la laïcité et ne respecte donc pas l’accord signé entre les deux parties », juge l’avocat.

Cette charte a été adoptée par la région Auvergne-Rhône-Alpes le 17 mars dernier. Lors de son entrée en vigueur, Laurent Wauquiez expliquait : « Pas un seul centime d’argent public ne doit être versé à ceux qui ne respectent pas les règles ! » Au sujet de créneaux dédiés aux femmes dans les piscines et du port du burkini, il avait annoncé que cela « n’a pas sa place dans des équipements de service public ».

Pierrick Gardien explique qu’aujourd’hui aucune décision ne dit que le port du burkini est contraire à la laïcité. « Quand il n’y a pas de décision du Conseil d’Etat, chacun peut prendre une position différente. Il a le droit de s’appuyer sur la charte pour justifier sa décision », ajoute-t-il. « Est-ce que cela va tenir ? Nous ne pouvons pas en être sûrs. »

« Tout est possible mais pas forcément légal », souligne Régis Constant, avocat en droit public général et droit des collectivités et de l’intercommunalité, au barreau de Marseille. « La mairie de Grenoble peut saisir le tribunal administratif si elle estime que les motifs sur lesquels s’appuie Laurent Wauquiez ne sont pas suffisants. » Ce serait alors au juge de trancher.

Quid des futures demandes de subvention ?

Il peut également y avoir le cas du non-renouvellement de la subvention. Puisque chaque dossier est examiné selon le projet proposé, un refus doit être expliqué. « La région peut modifier son orientation, ses objectifs. Elle peut par exemple faire le choix de se tourner vers le sport en compétition et donc de subventionner les clubs de natation », explique Christophe Mondou. A noter que dans ce cas, toutes les collectivités doivent être traitées de la même manière. « La région ne peut pas traiter différemment Lyon et Grenoble », assure-t-il.

Mais suite à une telle déclaration publique, Laurent Wauquiez s’expose à de nombreuses contestations. « Il aurait pu refuser discrètement les prochaines subventions. Mais à présent, dès qu’il y aura un refus, il pourrait y avoir un recours. Avec une question pour les collectivités : " Est-ce que vous avez vraiment examiné ma demande ou est-ce une sanction pour une décision qui ne vous a pas plu ? " », estime Régis Constant. Quoi qu’il en soit, pour les spécialistes en droit, ce n’est rien de plus qu’un « coup de communication politique », peut-être pour « rallier des électeurs des extrêmes ».

Laurent Wauquiez n’est pas novice en la matière

Eric Piolle a déploré auprès de 20 Minutes l’absence de réponse d’Emmanuel Macron à sa demande d’étude du règlement des piscines. « Il serait préférable que le sujet soit abordé au niveau national plutôt que chaque municipalité le fasse de son côté. » Et selon lui « ce n’est pas une question de laïcité. Dans les piscines, comme dans la rue, il n’y a pas de question de laïcité. On a le même statut légal et juridique ».

Laurent Wauquiez est coutumier de ce genre de menaces, qu’il met parfois à exécution. En décembre 2021, il a supprimé les aides apportées à l'Institut d'études politiques de Grenoble par la région. Une différence cependant, il ne s’agissait pas de subventions mais surtout de bourses et d’aides pour la vie sociale et les projets étudiants.

Cette décision faisait suite à la mise à pied de l'enseignant Klaus Kinzler. Ce dernier avait remis en cause le terme « islamophobie » et comparé l’école à « un camp de rééducation » dans lequel les professeurs dénonceraient le système « universaliste, démocratique et laïque » de notre société. Le président de région avait alors dénoncé une « une dérive idéologique et communautariste ».