Présidentielle 2022 : Terrorisme, « gilets jaunes », affaire Benalla… Que retenir des cinq années de Macronie place Beauvau ?
SECURITE Le profil des trois ministres qui se sont succédé au ministère de l’Intérieur illustre l’intérêt croissant de l’exécutif pour les questions régaliennes
- Gérard Collomb, Christophe Castaner, Gérald Darmanin… Trois ministres sont passés par la place Beauvau depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017.
- Parmi les sujets qu’ils ont eus à gérer, la sortie de l’Etat d’urgence, la menace terroriste, le mouvement des « gilets jaunes » ou encore le Beauvau de la sécurité.
- Mais les défis que devra relever celui qui remplacera (peut-être) Gérald Darmanin sont encore nombreux.
EDIT : « Après en avoir parlé avec le président de la République, j’ai décidé (…) d’être candidat au mois de juin prochain. » L’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé ce jeudi matin être candidat aux élections législatives dans la 10e circonscription du Nord, qui comprend une partie de la ville de Tourcoing, dont il a été maire. L’occasion de se replonger dans le bilan du dernier locataire de la place Beauvau.
En cinq ans, trois ministres de l’Intérieur se sont succédé place Beauvau. Gérard Collomb, Christophe Castaner et Gérald Darmanin. Un baron local lyonnais, d’abord, ex-PS, récompensé par le président pour son soutien tout au long de la campagne. Un proche d’Emmanuel Macron, ensuite, un peu maladroit et néophyte en matière de sécurité. Enfin, un ex-LR, souvent comparé à Nicolas Sarkozy et adepte des petites phrases. Des nominations qui reflètent l’importance croissante portée par le chef de l’Etat au régalien : accusé un temps d’avoir délaissé les questions de sécurité, Emmanuel Macron entend désormais chouchouter des forces de l’ordre qui ne ratent jamais l’occasion de lui rappeler leur mobilisation à l’occasion des manifestations des « gilets jaunes », en 2019.
Gérard Collomb, un ministre à la crédibilité discutée
En 2017, lorsque Emmanuel Macron est élu, l’une des principales préoccupations des Français reste le terrorisme. Deux ans après les attentats qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis, Gérard Collomb est chargé de porter un nouveau texte de loi visant à sortir le pays de l’Etat d’urgence. Mais du fait de sa faible implication dans plusieurs dossiers, Gérard Collomb ne bénéficie pas d’une forte considération de la part du monde policier. « Il avait comme point de référence la police municipale de Lyon. La police nationale, ce n’est pas la même chose, pas le même métier même si les deux forces sont complémentaires », explique le secrétaire général du syndicat Alliance, Fabien Vanhemelryck. Et d’insister : « Je ne suis pas sûr qu’il avait les ambitions qu’il fallait pour mener à bien la mission qu’on lui avait confiée. Il n’a pas laissé un souvenir impérissable. »
La crédibilité de l’ancien maire de Lyon en prend un coup lorsqu’il bute sur chaque mot ou presque au moment de répondre aux questions de la commission des lois sur l’affaire Benalla, ce jeune chargé de mission filmé en train d’interpeller et de frapper des manifestants lors de la manifestation du 1er mai 2018. Face aux députés, il passe pour un ministre qui ne sait rien ou, du moins, à qui on cache des choses alors même que le gouvernement Macron connaît une crise sans précédent. Finalement, il présente sa démission du gouvernement à Emmanuel Macron le 1er octobre 2018.
Christophe Castaner dans la tourmente des « gilets jaunes »
Pour le remplacer, Macron choisit un tandem : Christophe Castaner et Laurent Nuñez. Le premier est l’un de ses proches, le second un expert des questions de sécurité, ancien directeur de la DGSI. Rapidement, l’exécutif est confronté à la mobilisation de milliers de personnes chaque samedi qui occupent les ronds points du pays, vêtus de chasubles jaune fluo. Aux cris de colère d’une partie des Français qui se sentent mis de côté, succèdent rapidement les violences hebdomadaires des casseurs. La période est compliquée : les uns reprochent au ministre les blessures causées aux manifestants par les forces de l’ordre, les autres, les violences des casseurs.
L’érosion du mouvement des « gilets jaunes » ne marque pas pour autant la fin des ennuis pour Christophe Castaner. Quelques mois après avoir signé un protocole d’accord avec les trois principaux syndicats de police sur une revalorisation des salaires, le locataire de la Beauvau se met à dos les mêmes organisations. Son tort ? Avoir annoncé l’abandon de la clé d'« étranglement » puis la suspension de policiers en cas de « soupçon avéré » de racisme. Les policiers se mobilisent chaque semaine, obligeant le ministre à démissionner. « On ne peut pas soutenir les policiers et avoir des phrases assassines envers eux comme il a eu. Il était un peu ambigu, un jour il soutenait et le lendemain il lâchait. Son idéologie l’emportait parfois sur son rôle de ministre », estime Fabien Vanhemelryck.
Un ministre qui plaît aux syndicats de police
Le style de son successeur, Gérald Darmanin, séduit davantage en interne. En externe, beaucoup moins : son image est marquée dès son arrivée place Beauvau par l’enquête pour viol dont il fait l’objet (un non-lieu a été requis par le parquet en janvier 2022). Sa nomination signe néanmoins un changement de paradigme dans la politique sécuritaire du gouvernement. Place à l’action, aux déplacements médiatiques sur le terrain, aux communiqués saluant la moindre saisie de drogue. C’est le retour de la politique du chiffre, chère à son mentor, Nicolas Sarkozy. Le ministre veut « stopper l’ensauvagement d’une certaine partie de la société », porte un projet de loi contre le séparatisme avec Marlène Schiappa, se vante de demander aux bouchers de Tourcoing – la ville dont il a été maire – leur avis sur les questions de délinquance.
Les syndicats de police apprécient sa présence commentée à leur manifestation visant à dénoncer un supposé laxisme de la justice. Au fil de ses décisions, le ministre les brosse dans le sens du poil : voitures neuves, nouveaux uniformes, annonce la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie, de forces d’appui rapide des CRS, doublement de la présence policière dans les rues, mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle pour sanctionner les fumeurs de shit, organisation d’un Beauvau de la sécurité…
Le budget du ministère de l’Intérieur augmente aussi considérablement : 3,5 milliards d’euros supplémentaires en cinq ans, 15 milliards promis pour les cinq années à venir pour moderniser police et gendarmerie. « On ne peut pas dire que les choses n’ont pas bougé depuis les 20 derniers mois », salue également Grégory Joron, secrétaire général d’Unité SGP-Police.
Les blues de la police judiciaire
Si le ministre semble faire l’unanimité auprès des flics en bleu, les huiles de la police judiciaire, elles, se méfient. En cause : l’annonce d’une réforme prévoyant la création de directions départementales de la police nationale (DDPN) qui regrouperait sous un commandement unique la sécurité publique, le renseignement territorial (les anciens « RG »), la police aux frontières et la police judiciaire.
« C’est une décision aussi importante que celle prise par Clemenceau… Mais dans le sens inverse », s’étrangle un commissaire. Et d’insister : « C’est une vision politique erronée. On veut mettre toutes les billes dans la police du quotidien. » En bref, les limiers de la police judiciaire, qui seront placés sous la coupe du préfet, craignent légitimement pour l’indépendance de leurs enquêtes.
Maintenant qu’il a annoncé sa volonté de se présenter aux élections législatives dans le Nord, Gérald Darmanin restera-t-il place Beauvau ? Le bruit court en tout cas qu’il pourrait conserver son portefeuille. Mais d’autres noms circulent pour lui succéder, comme celui du maire de Nice, Christian Estrosi. Au moment du départ de Christophe Castaner, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education, avait manifesté son intérêt pour ce poste. « Il faut de la constance dans ce genre de ministère, ça ne peut qu’être payant », plaide Grégory Joron. Qui prévient d’ores et déjà le prochain locataire de la place Beauvau : « Il faudra qu’il comprenne comment fonctionner avec les syndicats de police car c’est particulier, il faut mieux dialoguer avec nous qu’être en opposition. »