Marseille : Clientélisme, dépenses illégales et subventions opaques... Le rapport accablant de l'agence française anticorruption

CORRUPTION Dans un rapport présenté ce vendredi lors du conseil municipal, l'agence française anticorruption pointe « une insuffisante culture de la probité » au sein de la ville de Marseille

Mathilde Ceilles
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Illustration de la mairie de Marseille
Illustration de la mairie de Marseille — SOPA Images/SIPA
  • Un rapport de l’agence française anticorruption, présenté en introduction du conseil municipal de Marseille ce vendredi, pointe de nombreuses dérives dans la gestion de la ville.
  • Ce rapport pointe notamment des dépenses abusives, voire illégales de certains élus.
  • Il déplore également un manque de transparence dans l’attribution de subventions et autres logements sociaux.

Les exemples sont accablants, notamment pour l’ancienne majorité dirigée par Jean-Claude Gaudin, et à la tête de la ville pendant un quart de siècle. Dans un rapport sur le fonctionnement de la mairie de Marseille, résultat de plusieurs mois d’enquête démarrée à l’élection de Michèle Rubirola​ en 2020 et que 20 Minutes s’est procuré, l’agence française anticorruption (Afa) pointe, preuves à l’appui, « une insuffisante culture de la probité au sein des services » de la ville de Marseille, touchée notamment par « la pratique courante des recrutements familiaux » et « le nombre important de fonctionnaires ayant fait l’objet de plaintes pénales pour des faits d’atteintes à la probité. » 20 Minutes fait le point sur les principales révélations de ce rapport.

Des attributions de subventions et de logements sociaux opaques

Selon ce rapport, « le processus de délivrance des autorisations d’urbanisme présente de graves zones de risques d’atteinte à la probité non maîtrisées en l’absence de toute procédure écrite encadrant l’activité du service. » « L’équipe de contrôle a par exemple détecté des conflits d’intérêts non traités chez certains responsables ou anciens responsables du service », écrit l’agence.

Le rapport souligne ainsi les procédures d’attribution de logements sociaux jusqu’en 2015, date à laquelle cette compétence a été transférée vers la métropole. « Il n’existe, ni en mairie centrale ni en mairie de secteur, de barème de cotation prescrit par la loi Elan tenant compte par exemple de la composition du foyer du demandeur ou de l’ancienneté de la demande », déplore le rapport. En revanche, l’ordre de priorité des demandes était déterminé à l’issue de réunions en présence d’élus ou de collaborateurs du maire.

Quant aux subventions, le rapport pointe l’absence de « procédure interne permettant d’encadrer le processus, d’instruction, d’attribution et de contrôle de [leurs] exécutions ». Et même, s’agissant notamment des subventions délivrées par le service des sports, « les critères d’attribution ne sont pas formalisés. »

Des dépenses abusives voire illégales

A de nombreuses reprises, l’Afa pointe des dépenses abusives voire illégales réalisées par les agents et les élus municipaux. Le rapport s’émeut de pratiques contestables du maire des 13 et 14e arrondissements de l’époque, le frontiste Stéphane Ravier et de son cabinet, relevant « d’un possible détournement de fonds publics ».

« La mairie de secteur [du 13 et 14, ndlr] a fourni au maire et à sept agents de la mairie entre 2015 et 2018 des cartes Total permettant l’approvisionnement en carburant, le péage, le stationnement dans certains parkings et les lavages des véhicules, écrit le rapport. La carte attribuée au maire permettait les achats dans les boutiques Total. Les cartes ont été utilisées pour des véhicules personnels alors que la mairie de secteur dispose d’une flotte de véhicules de services. Il apparaît également que des pleins de carburant ont été faits en dehors du territoire communal, et pendant les périodes de vacances. »

A la mairie du 4e et 5e arrondissement, détenue à l’époque par Bruno Gilles, un proche de Jean-Claude Gaudin, les dépenses en « cadeaux divers » représentaient 171.000 euros en 2019, dont 11.888,92 euros de vin et 9.245,98 euros de chocolat, au motif, selon la justification de la mairie de l’époque, que « la distribution de cadeaux auprès des acteurs de son secteur est une des compétences de la mairie ».

Dans cette mairie, 23 personnes étaient rattachées au cabinet du maire, alors que le conseil municipal avait limité le nombre de collaborateurs de cabinet à un par mairie d’arrondissement. « Il ressort de l’examen des fiches de postes transmises que les missions sont très succinctement décrites ou que leur description ne correspond pas à leur intitulé, poursuit le rapport. Le fait que certains de ces emplois comportent des missions à caractère politique conduit à un dépassement du nombre de collaborateurs de cabinet autorisé par la loi. »

A la mairie centrale, la rémunération de directeur de cabinet de Jean-Claude Gaudin, ainsi que de son directeur de cabinet adjoint « se sont élevés, en 2019, à respectivement 115.433,04 et 99.931,56 euros, largement au-dessus du plafond défini par la loi, égale à 64.783,91 », écrit l’Afa. Par ailleurs, alors que la loi prévoit l’attribution d’un véhicule de fonction à un seul collaborateur du cabinet, « quatre membres du cabinet de l’ancien maire bénéficiaient d’un véhicule de fonction, dont le directeur de cabinet et son adjoint. »

Pas de code de déontologie des élus et des agents

L’Afa note enfin que « la commune ne dispose pas d’une charte de déontologie ni pour les élus, ni pour les agents ». Ainsi, ce vendredi, lors du conseil municipal, un rapport sera soumis au vote afin de répondre à cette recommandation de l’agence. « Nous nous engageons à mettre en place dans ce rapport des formations pour les élus sur le sujet de la déontologie », promet Olivia Fortin, adjointe au maire de Marseille en charge de la modernisation, du fonctionnement, de la transparence et de la qualité des services municipaux.

« Bien sûr on a noté des dysfonctionnements, reconnaît l’adjointe au maire. On ne cherche pas à les nier. On cherche à s’outiller pour changer les choses. Et c’est difficile de demander à des gens de respecter des règles qu’ils ne connaissent pas. »