Gouvernement Castex : Emmanuel Macron « assume qu’il ne recherche plus du tout les faveurs de l’électorat socialiste » en 2022
INTERVIEW Avec un gouvernement peuplé d’anciennes figures sarkozystes, le président de la République chasse plus que jamais sur les terres des Républicains, selon Luc Rouban, chercheur au Cevipof et directeur de recherches au CNRS
- Le gouvernement Castex, annoncé lundi soir, fait la part belle aux anciens membres de la Sarkozie.
- La confirmation, selon Luc Rouban, qu’Emmanuel Macron « se situe largement au centre-droit de la vie politique française ».
- Le signe, aussi, que le président veut continuer à prendre les Républicains en tenaille dans l’optique de 2022.
Un premier Ministre ancien secrétaire général adjoint de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Un ministre de l’intérieur qui parle de l’ancien chef de l’État comme d’un mentor. Une ministre de la Culture qui l’a longuement servi. Un ministre de la Justice qui l’a toujours défendu dans ses interventions publiques. Nicolas Sarkozy est partout dans le nouveau gouvernement de Jean Castex, signe qu’Emmanuel Macron ne se cache plus de rien.
Selon Luc Rouban, chercheur au Cevipof et directeur de recherches au CNRS, le président de la République veut continuer à prendre les Républicains en tenaille pour être le candidat des électeurs de droite en 2022.
La présence massive d’anciens piliers de la Sarkozie dans le gouvernement de Jean Castex entérine-t-elle le basculement à droite d’Emmanuel Macron à deux ans de la présidentielle ?
Je ne sais pas si c’est un virage à droite ou une confirmation que Macron se situe largement au centre-droit de la vie politique française. Avec ce remaniement, il assume définitivement qu’il ne recherche plus du tout les faveurs de l’électorat socialiste qui l’avait en partie élu en 2017, parce qu’il ne voulait pas d’une finale entre Fillon et Le Pen, et qu’il avait envie de prendre un risque qui pouvait être séduisant.
Il faut y voir une certaine logique. Toutes nos études récentes montrent que le centre de gravité de la vie politique s’est déplacé à droite. A peine 30 % des Français enquêtés se reconnaissent dans la gauche aujourd’hui.
Pourtant, la crise sanitaire a montré une forte envie de changement de paradigme économique chez les Français…
La crise sanitaire a en effet fait apparaître une forte demande de retour de l’Etat, en matière de protection des frontières bien sûr, mais aussi une forte volonté de protectionnisme économique, qui a pratiquement doublé entre mars et avril, y compris chez les supporteurs macronistes. Quand Jean Castex se présente comme un gaulliste social, ce n’est pas un hasard. Il y a une certaine réminiscence de cet aspect économique du gaullisme chez les Français. Et ça, les conseillers du président de la République l’ont certainement bien compris. Mais cela ne veut pas dire que ça correspondra à la politique du gouvernement. Les profils choisis laissent tout de même flotter l’idée que les grands projets néolibéraux du Macronisme ne sont pas mis de côté, loin de là. Le président n’a pas renoncé à la réforme des retraites, par exemple.
Il n’a pas souhaité verdir sa fin de quinquennat, malgré le succès des Verts aux élections municipales. Que faut-il en déduire ?
Ce n’est pas un motif de préoccupation pour l’Elysée. Je veux bien qu’on dise que l’environnement, ce n’est ni de droite ni de gauche, comme la santé, mais l’écologie politique est fortement ancrée à gauche. Les élections municipales vont permettre aux écologistes de se transformer en gestionnaires à l’échelle locale, mais il reste un antagonisme indépassable entre les intérêts écologistes – préserver la planète, instaurer la décroissance - et le capitalisme libéral défendu par le macronisme. Ce n’est pas pour rien que le ministère de l’Economie est aussi celui de la relance. Dans le logiciel macronien, il est difficile que l’écologie obtienne autre chose qu’une place honorifique. D’ailleurs, la nouvelle ministre de l’Ecologie est plutôt vert pâle.
Cela veut-il dire qu’Emmanuel Macron ne craint pas d’être débordé sur sa gauche ?
Dans la perspective de 2022, la gauche n’est pas un problème pour Macron. Elle est trop divisée et ne pèse pas assez. Pareil pour l’écologie, qui va se heurter à un moment à un problème de chômage de masse et de crise économique durable. En revanche, les Républicains, c’est ce qui l’inquiète. On a beaucoup parlé du succès des écologistes dans les grandes villes, mais le vrai vainqueur des municipales, c’est LR, qui a remporté la moitié des villes moyennes. C’est donc dans son intérêt de continuer à siphonner le réservoir des Républicains et à empêcher l’émergence d’un opposant crédible à droite.
Edouard Philippe aurait pu être celui-là, parce qu’il était populaire et qu’il a montré ses capacités dans des circonstances difficiles, mais ce sera difficile pour lui d’exister depuis Le Havre. Et puis les barons de LR ne verraient pas d’un bon œil qu’il retoque à la porte du parti qu’il a trahi.
Un nouveau face-à-face avec le Rassemblement National en 2022 correspond donc à sa stratégie profonde ?
C’est en tout cas le duel que cherche à installer Emmanuel Macron, parce que c’est en quelque sorte une partie gagnée d’avance en période de grande incertitude économique. Face à lui, Marine Le Pen aura toujours du mal à convaincre de sa dimension internationale et de ses capacités de gestionnaire. Il va donc maintenir la pression sur la droite dans ce sens, en jouant un peu sur la nostalgie du gaullisme, avec des personnalités attachantes comme Roselyne Bachelot ou Dupond-Moretti, qui ne lui feront pas d’ombre en 2022.
Le seul risque potentiel de cette stratégie, c’est de favoriser l’abstention, notamment celle des électeurs de gauche qui ne se feront pas avoir une deuxième fois. Or, à force de dire qu’une victoire de Marine Le Pen est impossible, avec une forte abstention, ça le devient de moins en moins.