Commission européenne : Pourquoi le rejet de Sylvie Goulard est un camouflet pour Emmanuel Macron

EUROPE La candidature française de Sylvie Goulard au poste de commissaire européen a été rejetée par les eurodéputés, un coup dur pour le président Macron

T.L.G.
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Sylvie Goulard réfléchit à son avenir.
Sylvie Goulard réfléchit à son avenir. — Virginia Mayo/AP/SIPA

Ses explications n’auront pas suffi. La candidature de Sylvie Goulard à la future Commission européenne a été rejetée par le Parlement européen jeudi à une large majorité. L’ancienne ministre d’Emmanuel Macron a été recalée (82 voix contre, 29 pour, une abstention) par les eurodéputés des commissions qui l’avaient auditionnée pour la seconde fois.

Visée par deux enquêtes, l’ex-députée européenne a pris « acte de la décision du Parlement européen », sur Twitter. 20 Minutes revient sur cette décision, un coup dur pour le chef de l’Etat français, avec Olivier Costa, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des institutions européennes.


Est-ce une première ?

« Depuis que le Parlement européen s’est arrogé la possibilité de retoquer des candidatures, avec le traité de Maastricht, il arrive souvent que des noms de commissaires soient rejetés, ou des portefeuilles modifiés par les eurodéputés car ils estiment que le profil n’est pas le bon », indique Olivier Costa. La Française est d’ailleurs la troisième personne recalée pour cette mandature par les députés européens après le conservateur Hongrois Laszlo Trocsanyi (PPE) et la socialiste roumaine Rovana Plumb. « Mais ce qui est ici inédit, reprend le chercheur, c’est qu’elle est la candidate d’un grand parti, soutenue par un « grand Etat », pour un poste très important, et que tous les parlementaires sauf Renew Europe [la formation libérale à laquelle appartient La République en marche] l’ont écarté. Il ne s’agit pas d’ajustements à la marge, mais d’un véritable coup de semonce ». C’est d’ailleurs la première fois qu’un candidat présenté par la France pour un poste de commissaire est recalé par le Parlement.

Pourquoi les eurodéputés ont-ils voté contre cette candidature ?

Sylvie Goulard a été recalée pour des raisons éthiques. Deux enquêtes sont en effet en cours, l’une par la justice française, l’autre par l’office anti-fraude de l’UE (Olaf), sur sa participation à un système d’emploi fictif présumé pour son parti, le MoDem. Cette affaire avait notamment entraîné son départ du gouvernement français à l’été 2017. Des interrogations ont également été émises sur les activités ayant justifié d’importantes rémunérations obtenues entre 2013 et 2016 de l’institut Berggruen, fondé par le milliardaire germano-américain Nicolas Berggruen, alors qu’elle était députée européenne.

« I’m clean [je suis propre] », avait répondu l’intéressée. Mais ses explications, lors des deux auditions, n’ont pas convaincu. « Le Parlement européen s’intéresse particulièrement aux questions de probité, sous l’influence des Scandinaves notamment. Un tiers des auditions porte sur ce domaine-là », explique Olivier Costa. « Sylvie Goulard a été maladroite lors des auditions, indiquant notamment qu’elle ne démissionnerait pas automatiquement si elle était mise en examen ».

Est-ce un coup dur pour Emmanuel Macron ?

Le président français a dit « ne pas comprendre » les raisons du rejet de la candidature, évoquant d’un ton agacé « ce qui s’est joué de ressentiment, peut-être de petitesse » dans le vote des eurodéputés.


Selon le chef de l’Etat, la présidente élue de la Commission, Ursula Von der Leyen, l’aurait pourtant assuré avoir obtenu l’accord des groupes PPE (centre-droit), PSE (social-démocrate) et Renaissance (centriste et libéral) sur le nom de Sylvie Goulard.

« Il y a visiblement eu un règlement de compte. Le PPE a fait payer à Emmanuel Macron le rejet de l’Allemand Manfred Weber à la tête de la Commission, qui s’était senti humilié. Le président français a ainsi surestimé le poids des libéraux, comme force pivot indispensable, au sein du Parlement », avance Olivier Costa. « C’est un coup dur pour lui car il avait réussi à obtenir un énorme portefeuille pour la France. Il perd un levier important dans les institutions européennes, et cela s’ajoute à l’échec de Nathalie Loiseau à prendre la tête du groupe des Libéraux ».

« France ridiculisée » pour Jean-Luc Mélenchon. « Humiliation » pour Bruno Retailleau. « Arrogance » pour Yannick Jadot. En France, ses adversaires n’ont pas manqué d’égratigner le président français.




Que va-t-il se passer maintenant ?

Emmanuel Macron doit désigner un nouveau candidat mais ressort affaibli de la séquence. « Cela va laisser des traces. Quel que soit le candidat, le portefeuille sera probablement redécoupé », juge Olivier Costa. Les groupes politiques ont en effet jugé que les attributions confiées à Sylvie Goulard étaient trop nombreuses. Le Parlement européen doit voter l’investiture de la nouvelle commission le 24 octobre.