La France insoumise : D’où vient la passion de Jean-Luc Mélenchon pour l’Amérique latine ?
POLITIQUE Le député insoumis, de retour ce mardi d'une tournée en Amérique latine de près de deux mois, s'est beaucoup inspiré des révolutions démocratiques sur le continent au début des années 2000
- Jean-Luc Mélenchon a entamé le 12 juillet un périple en Amérique du Sud pour se « ressourcer » et « tirer des leçons utiles » du regain de la gauche sur ce continent.
- Le patron de LFI a notamment rencontré l’ancien président brésilien Lula, actuellement en prison.
- Le député insoumis s’est inspiré des révolutions démocratiques du continent.
Il a traversé l’Atlantique pour se « ressourcer » après une année difficile. Jean-Luc Mélenchon rentre ce mardi d’un périple en Amérique latine, entamé le 12 juillet pour « tirer des leçons utiles » du regain de la gauche sur ce continent. Pendant deux mois, le patron de La France insoumise a multiplié les conférences et les rencontres avec des responsables politiques au Mexique, en Uruguay, en Argentine, avant de conclure son voyage en rendant visite à Lula, l'ancien président brésilien incarcéré depuis avril 2018.
« Les Amériques sont la seule région du monde où se tentent des ruptures avec le néolibéralisme de notre époque », explique-t-il sur son blog, revenant sur son « engagement dans cette région du monde » qu’il « pratique » depuis longtemps. Car l’Amérique latine est une source d’inspiration constante dans le parcours politique de l’ancien socialiste.
« Cet intérêt est aussi générationnel »
« En tant qu’élu local à Massy [en Essonne], il a été très impliqué dans l’accueil des réfugiés chiliens, après le coup d'Etat de 1973. Ce travail humanitaire est ensuite devenu politique car il a apporté son soutien à des organisations chiliennes de gauche, comme le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), contraintes à l’exil », rappelle Raquel Garrido, ex-porte-parole de LFI, née à Valparaiso au Chili. « Cet intérêt est aussi générationnel. A l’époque, la gauche internationaliste a un intérêt pour l’Amérique du sud, qui connaît des vagues de coups d’Etat et de répression », ajoute l’avocate et chroniqueuse.
Le tribun, dont deux grands-parents sont espagnols, s’enthousiasme pour les soubresauts politiques mais aussi l’histoire et la culture de l’autre continent, de l’indépendantiste Simón Bolívar à l’écrivain Gabriel García Márquez. « Il a beaucoup lu, notamment sur les figures de conquistadors, tout ça facilité par sa maîtrise de l’espagnol. N’aimant pas le monde anglo-saxon, Mélenchon a toujours tenu à ce que son refus de l’anglais ne soit pas un franco-franchouillisme, mais un acte politique », précise Garrido.
L’arrivée au pouvoir de Chavez, le basculement
L’intérêt politique de Jean-Luc Mélenchon pour les pays d’Amérique du sud va s’intensifier au début du millénaire. « L’Amérique latine va connaître un virage à gauche à partir de la victoire de Chavez au Vénézuéla en 1998. Il y a ensuite comme un effet domino avec l’arrivée au pouvoir de Lula au Brésil et Kirchner en Argentine en 2003, Morales en Bolivie en 2006, Correa en Equateur en 2007, et Mujica en Uruguay en 2010 », rappelle Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Iris, spécialiste de l’Amérique latine.
Ces victoires vont inspirer le mouvement espagnol Podemos et Jean-Luc Mélenchon. « Pendant des décennies, on avait le sentiment que le système politique en Europe était figé. L’alternance droite-gauche gelait les énergies populaires, résume l’eurodéputé insoumis Manuel Bompard. Les processus de révolution citoyenne en Amérique latine ont été une source d’inspiration, par exemple dans la méthode. Il était intéressant de comprendre comment, dans des pays où la misère est plus forte qu’en Europe, les dirigeants interrogeaient d’abord le système démocratique, en lançant des assemblées constituantes, avant de répondre aux difficultés sociales ».
« Ces processus issus de la Révolution française ont été une sorte de pont pour Jean-Luc Mélenchon. On observait ça avec beaucoup d’intérêt, d’autant qu’en Europe, les mouvements socialistes pédalaient dans la semoule… Ça nous a confortés dans l’idée de quitter le PS pour créer un mouvement centré sur la souveraineté populaire », ajoute Raquel Garrido, qui fonde le parti de Gauche avec Mélenchon en 2008.
Alliance bolivarienne et défense du régime vénézuélien
C’est la figure de Hugo Chàvez, que Jean-Luc Mélenchon rencontre à plusieurs reprises, qui inspire le plus l’insoumis. A la mort du militaire, en 2013, il fond d'ailleurs en larmes. « Chavez a été la pointe avancée d’un processus large dans l’Amérique latine qui a ouvert un nouveau cycle pour notre siècle, celui de la victoire des révolutions citoyennes », dit-il alors, les yeux rougis.
Son attachement à l’Amérique latine lui colle aussi à la peau de manière négative. Sa défense des régimes vénézuélien ou cubain, ou la présence de l’alliance bolivarienne dans le programme présidentiel du candidat en 2017, ont été des angles d’attaque pour ses adversaires politiques, qui lui reprochent de ne pas condamner «les dérives autoritaires». En février dernier, il soutient le président vénézuélien Maduro, accusé par plusieurs pays européens dont la France, de réprimer violemment les manifestations d’opposants. Il se démarque ainsi de Manon Aubry, sa tête de liste aux européennes, plus nuancée sur le sujet.
Manuel Bompard balaie les critiques: « Il s’agit du mépris et de la caricature d’une partie de la classe politique et médiatique, incapable de réfléchir sur les processus qui ont lieu là-bas. On n’a jamais dit que tout était parfait, qu’il s’agissait de modèles transposables en France, mais quand des présidents réduisent la pauvreté, c’est que tout n’est pas à jeter ».
Après une débâcle électorale aux européennes et des critiques en interne, Jean-Luc Mélenchon s’est donc ressourcé en Amérique latine, notamment auprès de Lula. Emprisonné, l’ancien président brésilien se dit victime d’un complot pour l’empêcher de revenir au pouvoir. A deux semaines de son propre procès, l’insoumis a dressé un drôle de parallèle pour envoyer un message politique : « Nous sommes déterminés à ne plus nous laisser faire, chacun dans notre pays, à nous unir […] pour nous entraider […] dans les procès politiques que nous subissons ». Le chef de file de LFI doit être jugé les 19 et 20 septembre en correctionnelle, avec cinq de ses proches, après une perquisition mouvementée au siège de son parti en octobre 2018.