Mode islamique: La polémique ravive les clivages de la gauche sur la laïcité

DÉBATS La gauche se divise historiquement entre les partisans d’une « laïcité combative » et ceux se réclamant d’une ligne plus ouverte…

Thibaut Le Gal
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Manuel Valls s'en prend à la «minorité agissante des groupes salafistes».
Manuel Valls s'en prend à la «minorité agissante des groupes salafistes». — LIONEL BONAVENTURE / AFP

Revoilà le voile. Après s’être déchirée sur la déchéance de nationalité, la gauche se divise à nouveau sur la question du voile islamique. La décision de plusieurs grandes marques de prêt-à-porter (Dolce et Gabbana, Marks and Spencer et bientôt H & M et Uniqlo) de se lancer sur le marché de la mode islamique, de la vente du hidjab au burkini, a mis le feu aux poudres. Après les propos polémiques de la ministre du droit des Femmes Laurence Rossignol, le Premier ministre Manuel Valls a alimenté le débat lundi lors d’un colloque : « Ce que représente le voile pour les femmes, non ce n’est pas un phénomène de mode, non, ce n’est pas une couleur qu’on porte, non, c’est un asservissement de la femme ».

Des courants différents à gauche depuis 1905

Comme à chaque fois, ces polémiques mettent en lumière les différentes conceptions de la laïcité existant au sein de la gauche. D’un côté, les partisans d’une « laïcité combative », de Manuel Valls à la philosophe Elisabeth Badinter, de l’autre, ceux se réclamant d’une ligne plus ouverte, de Christophe Caresche à Benoît Hamon. Des clivages historiques, rappelle l’historien Ismail Ferhat. « Dès 1905, on distingue un courant libéral, qui souhaite séparer Etat et culte pour que chacun vive librement sa religion, d’autres courants davantage anticléricaux », assure le maître de conférences à l’université de Picardie, auteur d’une note sur le sujet pour la Fondation Jean-Jaurès. « D’autres forces de gauche seront ensuite plus nuancées sur la laïcité. Les communistes, qui voulaient attirer les travailleurs chrétiens (immigrés italiens, portugais ou espagnols) ou les écologistes qui avaient des composantes chrétiennes au sein de leur parti ».

L’affaire du foulard fait « éclater les positions »

Jusqu’aux années 1980, la gauche s’interroge sur son rapport à l’Église catholique et à l’école privée. « Cette question est réglée en 1984 avecle retrait de la loi Savary. La gauche comprend alors que ce sujet est trop coûteux électoralement. La question de la laïcité ressurgit en 1989 face à l’islam », poursuit l’historien. Cette année-là, « l’affaire du foulard » relance le débat lorsque des collégiennes sont exclues d’un collège parce qu’elles refusaient d’enlever leur foulard en classe. « Jusqu’ici à gauche, parler de l’islam, c’était parler d’un électorat populaire. L’affaire de Creil a gêné idéologiquement les partis et fait éclater les positions », rappelle Ismail Ferhat.

Depuis, les polémiques autour de la laïcité se cristallisent d’abord autour de l’islam, à l’image de la passe d’armes entre Manuel Valls et le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco en janvier.

« On voit ressurgir une vieille tradition de militantisme laïc au sein du PS et de la gauche, qui transcende les clivages idéologiques traditionnels », poursuit le spécialiste. Un exemple, au sein de l’extrême gauche. « Un parti comme Lutte Ouvrière est très hostile au foulard à l’école, alors que le NPA a été l’un des premiers à théoriser le nouveau prolétariat issu des banlieues. Le parti d’Olivier Besancenot a d’ailleurs été le premier à présenter une femme voilée en 2010 ».

Un sujet explosif, car électoralement risqué

Ces débats devraient continuer d’agiter la gauche dans les prochains mois, car ils cachent une réelle crainte électorale. « En 2012, le vote musulman s’était avéré très élevé à gauche [Selon une enquête de l’Ifop, 86 % des Français de confession musulmane auraient voté pour François Hollande au second tour] », rappelle l’historien. « Une partie de cet électorat s’est tournée vers la droite ou le centre-droit aux municipales de 2014, notamment une classe moyenne en Seine-Saint-Denis, séduite par le discours autour des valeurs familiales », explique Ismail Ferhat.

De l’autre côté, Manuel Valls estime dangereux « d’abandonner » la laïcité aux mains du Front national. « Bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire », a rappelé Manuel Valls lundi, en évoquant la présidentielle. « Certains au PS savent qu’il reste un fort courant d’électeurs qui sont attachés à cette culture laïque, notamment dans le sud-ouest de la France. Ils craignent le basculement des fonctionnaires, un vivier électoral historique, vers le FN », note Ismail Ferhat.

Une enquête du CNRS expliquait en effet qu’une « grande partie des fonctionnaires souffrent du décalage entre les discours sur la République et la laïcité et les pratiques du terrain où les demandes communautaires se multiplient ».