Mayotte : Entre coupures régulières et fuites d'eau, l'île meurt de soif
Soif A partir de lundi, la plupart des communes du 101e département français subiront des coupures de quarante-huit heures toutes les vingt-quatre heures
- A Mayotte, la crise de l’eau s’intensifie. A partir de lundi, la plupart des communes de l’île subiront des coupures de quarante-huit heures toutes les vingt-quatre heures, a annoncé la préfecture.
- Les infrastructures sont insuffisantes pour alimenter en eau courante les habitants du 101e département de France.
- La situation est aggravée par la sécheresse exceptionnelle que subit l’île, un épisode météorologique qui pourrait se produire de plus en plus souvent à cause du changement climatique.
Les robinets sont vides à Mayotte. Le 101e département français est dans un tel état de déshydratation que les coupures se multiplient. A partir de lundi, la plupart des communes de l’île subiront des coupures de quarante-huit heures toutes les vingt-quatre heures, a annoncé la préfecture. Une souffrance de plus pour un territoire où les habitants se voient régulièrement délivrer l’eau courante au compte-gouttes. Sur le réseau social X (anciennement Twitter), les internautes font part de leur désespoir sous le #MayotteASoif.
« Nous sommes le samedi 26 août 2023. Chez moi, il n’y a plus d’eau depuis vendredi 16 heures. Nous aurons à nouveau accès à l’eau courante (mais plus potable, soyons réalistes) aujourd’hui à 16 heures », témoigne ainsi Abby. Les habitants sont inquiets, notamment face aux risques sanitaires que ces coupures entraînent. Car là où l’eau ne coule plus, les bactéries prolifèrent. La situation hydrique de l’île est un problème récurrent mais la gravité exceptionnelle de ces nouvelles restrictions s’analyse à l’aune de plusieurs facteurs.
Une sécheresse exceptionnelle
La saison des pluies 2022-2023 a été « déficitaire » et s’avère même être « la plus sèche depuis 1997 », explique Météo-France. Légèrement en dessous de la moyenne côté précipitations, la saison sèche n’a malheureusement pas apporté d’accalmie dans le département. L’épisode de sécheresse a des effets dévastateurs à Mayotte, dont 80 % de l’approvisionnement en eau vient des retenues collinaires et des rivières. Or, « le déficit pluviométrique » de la saison des pluies est 24 % par rapport à la normale, note l’agence météorologique.
« Sur la moitié nord de la Grande Terre, zone où se constituent principalement les réserves en eau brute du département, le déficit est encore plus marqué, de l’ordre de 35 %. Cet épisode de sécheresse a considérablement raccourci la période de recharge des réservoirs d’eau naturels et artificiels de Mayotte », décrypte Météo-France. La crise de l’eau ne semble pas sur le point de marquer de pas car « le mois de septembre s’annonce dans les normales habituelles pour le territoire, n’apportant donc pas de précipitations particulièrement notables ».
La lame de fond du réchauffement climatique
Toutefois, si la sécheresse de la saison des pluies est exceptionnelle, elle pourrait devenir plus banale à l’avenir. En effet, le changement climatique entraîne une hausse des températures, ce qui accélère l’évaporation des eaux de surface, qui alimentent l’île en eau courante. De plus, les précipitations pourraient s’avérer bien plus inégales, avec des années fastes en eau et des années arides. Mayotte va donc devoir améliorer sa capacité de stockage, voire de création d’eau potable, notamment grâce à des usines de dessalement. Or, les infrastructures sont insuffisantes pour le moment. Elles produisent 38.000 m3 d’eau par jour quand les habitants en consomment 40.000 m3 environ.
Des projets sont en cours, comme la création d’une grande usine de dessalement à Ilone, prévue pour 2026 mais dont le calendrier a été accéléré à août 2024 face à l’urgence de la crise. Cette dernière devrait produire 10,000 m3 par jour au début et atteindre 32.000 m3 à son maximum. Toutefois, l’usine de dessalement de Petite-Terre, annoncée en urgence après la crise de l’eau en 2017, devait produire 5.300 m3 par jour mais en produit en réalité moins de 2.000 m3 en moyenne. « Les investissements de l’Etat ne sont pas à la hauteur et surviennent systématiquement au moment d’une crise alors que c’est un problème récurrent et gravissime pour Mayotte », fustige Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme.
« Le territoire le plus abandonné de la République »
L’association dénonce une rupture d’égalité entre les citoyens. « C’est le territoire le plus abandonné de la République. Tous ceux qui vivent sur notre territoire ont les mêmes droits. L’accès à l’eau potable est un droit fondamental, c’est un bien commun, on ne peut pas laisser un département dans cette situation-là ! », martèle Marie-Christine Vergiat qui insiste sur « l’urgence à très court terme ». A Mayotte, un habitant sur trois vit dans un logement qui ne bénéficie pas de l’eau courante. Et, d’après la préfecture, un tiers de l’eau s’échappe à cause de fuites sur le réseau.
Contacté, le cabinet du ministre chargé des Outre-mer assure avoir conscience de l’ampleur de la crise. Philippe Vigier est d’ailleurs attendu samedi à Mayotte, où il doit faire des annonces. De nouvelles mesures sont très attendues alors que les coupures se multiplient et que les problèmes de la distribution d’eau s’amoncellent dans le département. Vendredi dernier, le ministre avait annoncé un investissement de 8 millions d’euros pour un osmoseur. Ce dispositif doit être installé à l’automne sur une plage et devrait permettre de produire 1.000 m3 d’eau par jour. Une goutte d’eau potable dans l’océan de la crise de l’eau à Mayotte.