Christian Cooper, celui qui remplume l’ornithologie en passant par la lutte contre le racisme

portrait L’ancien scénariste Marvel Comics présente une série documentaire sur National Geographic. Il revient pour « 20 Minutes » sur son parcours et « l’incident raciste » de Central Park, qui a eu un écho mondial en 2020

Emilie Jehanno
Christian Cooper observe le lâcher de sept perroquets de Porto Rico, avec Marisel López-Flores, la responsable du programme de réhabilitation du perroquet de Porto Rico.
Christian Cooper observe le lâcher de sept perroquets de Porto Rico, avec Marisel López-Flores, la responsable du programme de réhabilitation du perroquet de Porto Rico. — National Geographic for Disney
  • A 60 ans, l’ornithologue et ancien scénariste Marvel Comics, anime la série documentaire « Christian Cooper et le monde des oiseaux », diffusé à partir du 9 septembre sur National Geographic.
  • Pour 20 Minutes, l’activiste gay pour la justice raciale et les droits des personnes LGBT+ explique comment les oiseaux l’ont inspiré tout au long de sa vie.

Ses jumelles ne le quittent pas. Et c’est avec elles que Christian Cooper prend de la hauteur pour observer les oiseaux, une passion qui le captive depuis ses 10 ans et son oiseau « étincelle », un carouge à épaulettes. Il avait cru découvrir une nouvelle espèce de corbeau, avoue-t-il en riant.

Aujourd’hui, à 60 ans, l’ornithologue et ancien scénariste Marvel Comics, est l’animateur et le producteur associé de la série documentaire « Christian Cooper et le monde des oiseaux ». diffusée à partir du 9 septembre sur National Geographic. En six épisodes, il part à la rencontre de ses dinosaures préférés aux Etats-Unis, mais aussi des humains qui font tout pour les protéger.

« L’incident » raciste de Central Park

En France, son nom vous dira peut-être quelque chose si on évoque la vidéo virale de l’incident raciste de Central Park. Le 25 mai 2020, en plein confinement, le New-Yorkais se promène et observe… les oiseaux dans une partie protégée du parc où les animaux doivent être tenus en laisse. C’est là qu’il croise le chemin d’Amy Cooper, une femme blanche qui promenait son chien, détaché, ce qu’il lui signale. Christian Cooper commence à filmer le conflit et l’on voit la femme appeler la police, crier qu’un Afro-Américain la menace, ce qui n’était pas le cas.

Mais Christian Cooper ne veut pas être résumé à ce qu’il appelle « l’incident », qui a eu un écho mondial, après qu’il a posté la vidéo sur Facebook. « Ce n’était que 2 ou 3 minutes de ma vie, souligne-t-il auprès de 20 Minutes. Beaucoup de personnes me disent, je suis désolé que vous ayez dû vivre ce trauma. Quoi ? Un trauma ? Elle n’a pas le pouvoir de me traumatiser avec quelques mots. » Pour lui, Central Park est surtout associé, depuis trente-cinq ans, aux souvenirs « des merveilleux oiseaux » qu’il y a vus.

C’est « sur les préjugés raciaux qu’il faut porter notre attention »

Son vécu et sa conscience politique du racisme, c’est aussi ce qui l’a décidé à ne pas contribuer à l’enquête relative à cette affaire, un choix qui a pu susciter des désaccords dans la communauté noire. S’il est motivé par un sentiment de compassion pour celle dont la vie a « implosé », il s’explique surtout par la volonté de se concentrer sur ce qui est, pour lui, le cœur de l’affaire.

« Si je l’avais poursuivi en justice, l’attention se serait maintenue sur elle, comme si ce qui s’était passé la concernait. Ce n’est pas le cas », assure-t-il. « Elle est une distraction » et c’est « sur les préjugés raciaux qu’il faut porter notre attention », dit-il en rappelant que ce même jour de mai 2020, George Floyd est mort étouffé sous le genou d’un policier blanc, alors que ses collègues se tenaient à côté.

« Les gays ne vont pas cesser d’exister »

De son « incident », il a tiré le comic It’s a Bird (DC, 2020, non traduit), où il imbrique les oiseaux, son histoire, celle des personnes noires tuées par la police et le racisme de la société américaine. George Floyd est associé à une paruline jaune, Amadou Diallo, tué de 41 balles par la police en 1999, à un piranga écarlate, Breonna Taylor, abattue de 9 balles en 2020, à un oiseau bleu. « Je ne veux pas non plus minimiser ce qu’il s’est passé à Central Park, car c’est important dans ce que ça révèle des biais raciaux, à quel point ils sont profondément ancrés aux Etats-Unis et infectent la culture et la société », poursuit celui qui a aussi intégré le premier des personnages LGBT+ dans les comics Marvel.

Après avoir été coprésident de la Gay & Lesbian Alliance Against Defamation (Glaad), qui a dénoncé la couverture homophobe des médias au moment de l’épidémie de sida, il a créé au début des années 1990 la première héroïne lesbienne de Marvel dans Darkhold : Pages From The Book Of Sins, et le premier personnage humain gay de « Star Trek ». « C’était une période très excitante, se souvient-il. Marvel avait la licence Star Trek et toute une série de comics sortaient. Je me suis dit : "C’est un futur utopique. Les gays ne vont pas cesser d’exister, j’en ai donc mis un". »

Un défenseur de l’environnement

Avec beaucoup d’énergie et d’humour, l’activiste gay pour la justice raciale et les droits des personnes LGBT+ se mue en défenseur de l’environnement. Les oiseaux, toujours eux, portent cet engagement. « En cinquante ans, depuis que j’ai commencé à observer les oiseaux dans les années 1970, leur nombre a dramatiquement baissé, s’alarme-t-il, l’Amérique du Nord en a perdu un tiers. »

L’ornithologue reste marqué par le tournage de l’épisode à Hawaï pour ce qu’il montre de l’impact des êtres humains sur leur environnement, mais aussi de l’espoir qu’il en retient.  « Les trois quarts des oiseaux indigènes sont déjà éteints », s’exclame-t-il, en raison de maladies apportées par les moustiques avec l’arrivée des Occidentaux.

« Ceux qui restent sont en hauteur, explique Christian Cooper. Mais que se passe-t-il avec le changement climatique ? Il fait plus chaud et les moustiques grimpent. Les gens qui se battent pour sauver ces oiseaux ne veulent pas les abandonner. Ils sont une véritable source d’inspiration », défend-il avec admiration. « Je pense que c’est l’attitude que nous devons tous adopter : nous n’abandonnerons pas. Nous allons sauver ce qu’il nous reste et ramener une partie de ce que nous avons perdu. »

Toujours quelque chose à apprendre des oiseaux

Dans ses mémoires, Better Living Through Birding : Notes from a Black Man in the Natural World (Randon House, 2023, non traduit. « Mieux vivre grâce à l’ornithologie : Notes d’un homme noir dans le monde naturel »), il se compare au quiscale bronzé « un oiseau qu’on voit souvent et qu’on prend pour acquis », qui lui a appris la confiance en soi. Comment est-ce possible ? Il nous partage sa réflexion. 

En sortie scolaire, des enfants lui font remarquer à quel point cet oiseau est beau, ce qui l’a touché. « En grandissant aux Etats-Unis, le fait d’être noir signifie que vous n’êtes pas dans la norme, que la norme c’est d’être blanc, c’est absurde, remarque-t-il, mais c’est le message que la société vous renvoie, et vous finisssez par avoir une mauvaise estime de vous. » 

Lors d'un voyage en Argentine, beaucoup de personnes le draguent. « Je me suis demandé ce qu’il se passait, raconte-t-il, avec une pointe d’humour. Et c’est parce que j’étais noir, c’est comme si, soudainement, j’étais le quiscale ! » Pour Christian Cooper, il y a toujours quelque chose à apprendre des oiseaux, à tisser des liens dans leur vol : « Cela vous donne de l’énergie et vous rend vivant », clame-t-il. Une passion « étrange » et assumée comme telle qu’il espère transmettre le plus possible.