Climat : Pourquoi ce sommet voulu par Macron sur un nouveau pacte financier mondial est crucial

Nord/Sud Ces jeudi et vendredi, la France réunit à Paris le gratin de la diplomatie internationale pour un sommet, non prévu six mois plus tôt, pour un nouveau pacte financier mondial. D’où sort-il ? Que faut-il en espérer ? Tour d’horizon des enjeux

Fabrice Pouliquen
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Mia Mottley, Première ministre des Barbades, est l'une des voix fortes qui appellent à une remise à plat du système financier international et à l'élaboration d'un nouveau contrat Nord-Sud.
Mia Mottley, Première ministre des Barbades, est l'une des voix fortes qui appellent à une remise à plat du système financier international et à l'élaboration d'un nouveau contrat Nord-Sud. — AHMAD GHARABLI / AFP
  • Les institutions financières internationales, héritées de 1945, ne parviennent plus à assurer le développement économique des pays du Sud, et encore moins à les aider à faire face à la crise climatique. 
  • D'où ces voix qui s'élèvent pour demander une remise à plat du système financier international. En novembre dernier, Emmanuel Macron s'est rangé à cette idée en promettant de convier un sommet mondial sur ce sujet en 2023. 
  • Six mois plus tard, on y est. Paris accueille pendant deux jours le gratin de la diplomatie internationale pour plancher sur un nouveau pacte Nord-Sud. Les enjeux sont cruciaux.

Bretton Woods, juillet 1944… Cette évocation nous ramène bien souvent à de vieux cours d’Histoire ou d’économie. Peut-être même vous a-t-il fallu apprendre par cœur cette date. Il faut dire qu’elle compte dans la construction du monde post-1945, les accords de Bretton-Woods ayant posé les bases d’un nouveau système financier international. La banque mondiale, ou encore le Fonds monétaire internationale (FMI), y ont ainsi vu le jour.

Près de soixante-dix ans plus tard, ce même système est-il à bout de souffle ? Plusieurs voix s’élèvent pour demander un nouveau pacte financier mondial, à commencer par celle de Mia Mottley. La Première ministre des Barbades a mis sur la table une proposition concrète de refonte des institutions pour financer bien mieux la lutte contre le changement climatique dans les pays les plus pauvres. C’est l’initiative Bridgetown, qui a reçu un soutien de poids avec Emmanuel Macron à la COP27 en Egypte, le 20 novembre dernier. Sur Twitter, le président français promettait alors un sommet à Paris sur le sujet.




Un peu plus de six mois plus tard, on y est. La France organise ces jeudi et vendredi un Sommet mondial pour un nouveau pacte financier mondial. 200 participants, dont une quarantaine de chefs d’Etats et de gouvernement, sont annoncés au palais Brongniart. Petit tour d’horizon des enjeux clés.

Pourquoi le système financier international ne marche plus ?

« Financer le développement et assurer la stabilité macroéconomique »… C’était les deux grandes missions conférées au FMI et à la Banque mondiale à leur création, expose Benoît Leguet, directeur général de l’Institut économique pour le climat (I4CE). Deux missions que ces institutions peinent à assurer. Encore plus ces dernières années. « La pandémie, mais aussi les conséquences de la guerre en Ukraine, ont fait dérailler les trajectoires de décollage économique de nombreux pays du sud », explique Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). « Dans certaines régions, comme en Afrique subsaharienne, on atteint des niveaux de pauvreté similaires à ceux enregistrés il y a trente ans, abonde Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France.

Autre fait marquant : les crises de la dette dans lesquelles se retrouvent englués de nombreux pays du Sud. Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire, en dénombre 54 aujourd’hui, dans l’incapacité de pouvoir rembourser leurs prêts passés, dont les intérêts ont flambé avec l’inflation. « Ils se retrouvent alors dans la situation de devoir dépenser plus d’argent à la rembourser qu’ils en investissent pour maintenir à flot leurs services publics » Ou pour lutter contre le dérèglement climatique, une préoccupation hors des radars en 1945, mais qui assomme aujourd’hui ces mêmes Nations. « Il faudra environ 2.000 milliards de dollars par an d’ici à 2030 pour aider les pays du Sud à réduire leurs émissions, s’adapter à ces nouvelles conditions, réparer les pertes et préjudices déjà subis », indique Fanny Petitbon, responsable plaidoyer à Care France, qui s’appuie sur un rapport commandé par la présidence égyptienne de la COP27 à des économistes.

Que peut-on espérer de ce sommet ?

On est encore très loin de ces 2.000 milliards par an. A la COP de Copenhague de 2009, les pays du Nord avaient fait la promesse de réunir 100 milliards de dollars par an à compter de 2020 pour aider les pays du Sud face au changement climatique. « L’objectif devrait être atteint d’ici la fin de l’année, et ce sommet devra être l’occasion de faire un pas de plus en ce sens, lance Fanny Petitbon. Mais il n' y a pas de quoi se réjouir. Nous avons trois ans de retard, et 70 % de ces fonds climats alloués sont sous forme de prêts et participent ainsi aux surendettements de pays, pourtant très peu responsables du réchauffement climatique. »

D’autres avancées concrètes sont attendues sur ces deux jours. Notamment sur l’enjeu de trouver de nouvelles sources de financement. Une taxe carbone sur le transport maritime est la proposition la plus avancée à ce jour. L’Organisation maritime internationale, organe des Nations unies, doit pousser ses Etats membres à se pencher sur le sujet lors d'un congrès en juillet sur le sujet. « Une telle taxe permettrait de dégager entre 30 et 140 milliards d’euros par an, mais encore faut-il que le secteur soit d’accord pour que cet argent serve en grande partie à financer la transition climatique dans les pays du Sud », reprend Fanny Petibon. Ce sommet de cette semaine n’a pas le pouvoir d’imposer ni cette taxe, ni son fléchage. « En revanche, il peut envoyer des messages politiques forts et aboutir à des coalitions de pays prêts à prendre les devants sur le sujet », pointe la responsable plaidoyer de Care France.

D’autres taxes internationales sont régulièrement mises sur la table. Sur les énergies fossiles, le secteur aérien, un impôt mondial sur la fortune que pousse particulièrement Oxfam, ou encore une taxe sur les transactions financières… Faut-il attendre de ce sommet qu’il avance aussi sur ces sujets ? Les ONG ne sont guère optimistes et regrettent un niveau d’ambitions qui flanche plus on s’approche de son ouverture.

Pourquoi ce n’est pas seulement qu’une question d’argent ?

« L’enjeu n’est pas seulement de dépenser plus, mais aussi mieux, insiste Benoît Léguet. Le problème, pour le directeur général d’I4CE, est que la Banque mondiale et les banques multilatérales de développement derrière sont dans une logique de financement de projets sur la transition climatique. « Elles financent une éolienne par-ci, une centrale phovoltaïque par-là... Ce que peuvent très bien faire les institutions financières privées, estime-il. Les banques de développement doivent bien plus avoir une vision d’ensemble, financer des réformes structurelles dans les pays en développement. » Et pour faire les choses bien, il faut partir des besoins de financement de ces Etats, invite Benoît Léguet. C’est l’autre avantage de cette remise à plat du système financier international : elle implique pour ces pays d’élaborer des business plans à long terme, jusqu’à 2050, pour réussir leur transition climatique. Là encore, les banques de développement peuvent aider. » 




Pourquoi ce nouveau pacte est-il aussi un impératif pour les pays du Nord ?

La crise n’est pas qu’économique. Elle se double d’une crise géopolitique, marquée par une forte défiance des pays du Sud à l’égard de ceux du Nord sur fond de promesses non-tenues, notamment celles des 100 milliards, analysent Fanny Petitbon et Sébastien Treyer. Cette cassure se cristallise à chaque COP et s’est accrue ces dernières années. « L’Occident a montré sa capacité à débloquer des montants incroyables pour se relever de la pandémie ou venir en aide à l’Ukraine, quand des pays du Sud sont laissés sans solutions face au risque d’aggravation massive de leurs dettes », explique Sébastien Treyer.

Le risque alors est que ces pays se détournent du système financier international et cherchent des aides ailleurs… Principalement vers la Chine, dont les importantes ressources financières pourraient l’aider à étendre son influence. « Si on regarde les montants alloués à la restructuration des dettes des pays, Pékin en fait aujourd’hui plus que le FMI, reprend Sébastien Treyer. C’est une autre raison de réformer Bretton Woods, et de le faire avec la Chine. » La France a fait le forcing pour que Pékin soit représentée au plus haut niveau à son sommet. Là-dessus, au moins, c’est gagné : LI Qiang, Premier ministre, est annoncé.

2.000 milliards par an, objectif impossible ? 

Cécile Duflot voit une autre raison, pour les pays du Sud, de se pencher sans tarder sur un nouveau pacte financier mondial. « En 2023, il est temps de comprendre qu’on ne va pas gagner de l’argent à financer la transition climatique », commence la directrice d’Oxrfam, en fustigeant cette conception qu’elle estime encore trop fréquente chez les pays du Nord et leurs acteurs financiers. « L’enjeu, c’est au moins de ne pas en perdre, ajoute-t-elle, en rappelant qu’aucun pays n’échappera aux conséquences du changement climatique. « Deux compagnies d’assurance américaines viennent d’annoncer qu’elles ne souscrivent plus de nouveaux contrats pour des biens immobiliers en Californie en raison de leur exposition aux risques d’incendies », illustre-t-elle. 

Et si les montants à réunir – 2.000 milliards par an - semblent astronomiques, Cécile Duflot invite à relativiser. « Les pays riches ont mobilisé 28.000 milliards de dollars dans le cadre de leur réponse au Covid-19 rien qu’en 2020 », souligne-t-elle.