Planification écologique : On va bientôt voir ce que le gouvernement a dans le ventre

Politique Fin juin, avec la publication d’une première ébauche de la Stratégie nationale bas carbone, le gouvernement ouvre une séquence clé du quinquennat en matière de planification écologique. L’occasion de mesurer son ambition réelle sur ce sujet

Fabrice Pouliquen
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Elisabeth Borne lors du lancement des vingt-deux projets liés à l'aménagement écologique qui seront menés sous la bannière « France Green Nation » à Paris le 21 octobre 2022.
Elisabeth Borne lors du lancement des vingt-deux projets liés à l'aménagement écologique qui seront menés sous la bannière « France Green Nation » à Paris le 21 octobre 2022. — Bertrand GUAY / AFP
  • Dans les prochaines semaines, le gouvernement doit présenter, au moins, une première ébauche de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Une pièce maîtresse des politiques climatiques de la France et qui doit notamment redéfinir notre objectif de réduction de gaz à effet de serre pour 2030.
  • Surtout, cette SNBC ouvre une séquence émaillée d’autres stratégies, programmations et plans ayant trait à la planification écologique. Avec, nouveauté, un débat au Parlement cet automne, avec la Loi de programmation énergie-climat.
  • Bref, on arrive à un moment crucial de ce second quinquennat, au cours duquel le gouvernement devra montrer jusqu’où il est prêt à aller sur la transition écologique. « Pas seulement en termes d’objectifs, mais aussi de moyens qu’on se donne pour y arriver », espère Anne Bringault, du Réseau Action Climat.

SNBC, PPE, LPEC, PNACC, SFEC…. Pfiou, ça en fait des sigles… Derrière ces lettres se cachent des stratégies, plans et projet de loi clés de la planification écologique, par lesquels la France se fixe ses objectifs climatiques et, en partie, les moyens d’y arriver.

Et c’est dans les prochaines semaines que ça se joue. Du moins pour la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont le gouvernement devrait publier les premières ébauches fin juin-début juillet. « Pour la PPE, c’est moins sûr », glisse Nicolas Nace, le chargé de campagne Transition énergétique à Greenpeace, soit la première zone de flou qu’il identifie.



La SNBC et la PPE pour commencer

Les deux documents sont en tout cas étroitement liés. La SNBC est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique. Elle fixe les objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050 mais donne aussi, aux secteurs d’activité – bâtiment, l’agriculture, transport –, les budgets carbone à ne pas dépasser pour être sur la bonne trajectoire. « La PPE, version plus détaillée de la SNBC, se concentre uniquement sur la production d’énergie », précise Andrea Rüdinger, coordinateur « transition énergétique » de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Ces deux textes ne sont pas nouveaux, nous en sommes à leur troisième révision. « Là-dessus donc, ce n’est pas le grand soir », confirme Andrea Rüdinger. D’autant que les précédentes versions de la SNBC ont déjà fixé l’objectif à 2050 d’atteindre la neutralité carbone, point d’équilibre à partir duquel la France émettra moins de gaz à effet de serre qu’elle est en capacité d’en retirer via ses puits de carbone (forêts, prairies, océans…). « Ce cap-là ne va pas changer », reprend le chercheur de l’Iddri.

On pourrait, dit de son côté Nicolas Nace. « En mars dernier, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, appelait les pays riches à atteindre la neutralité carbone dès 2040 », rappelle-t-il. Bon, mais si l’objectif 2050 ne devrait pas bouger, celui à 2030, lui, devrait évoluer. C’est l’un des enjeux de cette SNBC 3 que signalent Nicolas Nace et Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau action climat (RAC). « L’objectif, actuellement dans les textes, est une réduction de 40 % de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990, rappelle cette dernière. Mais depuis, l’Union européenne a révisé le sien à la hausse, à moins 55 %. »

Jouer carte sur table

Le plan dévoilé par Elisabeth Borne, le 22 mai dernier, allait dans le sens d’un alignement complet avec les nouveaux objectifs européens. « Là encore, on peut se demander si c’est suffisamment ambitieux, notamment pour un pays qui ne cesse de dire qu’il veut être la première grande Nation à sortir des énergies fossiles », soulève Nicolas Nace.

C’est tout l’importance de ce moment selon Anne Bringualt. « Nous avons déjà toutes les peines du monde à être sur la bonne trajectoire pour atteindre l’objectif des - 40 % en 2030 et, depuis le début du quinquennat, très peu de mesures concrètes permettent ce changement de braquet, pointe-t-elle. Même la loi sur l’accélération des énergies renouvelables, adoptée en février, a déçu les acteurs de ces énergies. » Et sur les transports, premier secteur émetteur en France, « l’impression est que le gouvernement mise sur les conversions croissantes des Français à l’électrique, sans chercher à modifier profondément nos pratiques de mobilités », ajoute Nicolas Nace.

Dans ce contexte, la publication de premières ébauches de la SNBC et de la PPE pousse le gouvernement à montrer les ambitions qu’il porte réellement. Avec une nouveauté de taille, qui nous amène au troisième sigle évoqué en début d’article : la LPEC, ou loi de programmation énergie-climat. « Jusque-là, la SNBC et la PPE étaient adoptées par décret, donc sans un passage au Parlement, explique Andrea Rüdinger. Or, il y avait le souhait des parlementaires de revenir dans les discussions, d’être impliqués dans l’adoption de ces objectifs climatiques. Avec la LPEC, ils ont obtenu gain de cause. »

La LPEC, objet législatif non identifié

Le projet de loi devait être présenté fin juin-début juillet, avant d’attaquer dans la foulée son examen au Parlement. Tout a été décalé à cet automne. Pour autant, la LPEC reste la pièce maîtresse, l’emportant sur la SNBC et la PPE. « Si cet automne, les parlementaires souhaitent être plus ambitieux sur un objectif que le gouvernement va proposer dans quelques semaines, alors il faudra que la SNBC et la PPE soient mises à jour pour s’aligner », explique Anne Bringault. « Mais ça marche aussi dans l’autre sens », alerte Andreas Rüdinger. C’est une première inconnue que note le chercheur de l’Iddri : « il n’y a pas cette règle, comme pour l’Accord de Paris sur le climat par exemple, qui permet aux parties prenantes de modifier les objectifs initiaux seulement à la hausse ».

Autre mystère : « Que va-t-on mettre précisément dans cette LPEC ?, questionne Andrea Rüdinger. Est-ce un texte de loi a minima qui revient sur les objectifs de la SNBC et de la PPE, ou y ajoute-t-on des leviers d’actions pour atteindre ces objectifs ? » Au RAC comme à Greenpeace, on espère clairement la deuxième option. « Se fixer des objectifs ne suffit plus, il faut aussi montrer comment on veut les atteindre, ce qui implique de s’engager sur des mesures concrètes, dans les transports, l’agriculture, les bâtiments… qui permettent réellement de changer de braquet », insiste Anne Bringault.

Un enchaînement de projets de loi clés

Renforcement du malus poids sur les véhicules, moratoire sur les élevages industriels, suppression des niches fiscales aux énergies fossiles et à l’aviation, renforcement des aides MaPrimeRenov pour les ménages les plus modestes… La directrice des programmes du RAC a déjà tout une liste de mesures en tête et ne mise pas seulement sur la LPEC pour les voir débattues: « On surveillera de près aussi a loi industrie verte [qui arrive au Sénat le 19 juin], la loi d’Orientation agricole [annoncée à la rentrée], sans oublier le projet de loi finances [débattue chaque année à l’automne]. On parle aussi peut-être d’une nouvelle loi d’orientation des mobilités »

C’est aussi cet enchaînement de projets de loi en lien direct avec la planification écologique qui font la particularité du moment. « Tous ces textes devront en tout cas être alignés sur l’ambition des objectifs climatiques que nous allons nous fixer », espèrent Anne Brignault et Nicolas Nace.

Trop de chefs, pas assez d’Indiens ?

Si vous avez été attentif, vous avez remarqué que nous n’avons pas mentionné les deux derniers sigles évoqués en début d’article. Le Pnacc est le plan national d’adaptation au changement climatique. Comme la SNBC et la PPE, on en est aussi à la troisième version. Ce plan a fait la une de l’actualité en février, lorsque Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, a évoqué la nécessité pour la France de se préparer à un scénario de réchauffement à +4°C. Le Pnacc, sur lequel planche le ministère de la Transition écologique, aborde justement ces enjeux d’adaptation. « On l’attend plus cet automne », indique Anne Bringault.

SNBC, PPE PNACC, LPEC… Mis ensemble, ces quatre outils forment la SFEC, ou stratégie française énergie-climat (SFEC), explique Andreas Rüdinger. Elle pourrait être finalisée fin 2023-début 2024.

On aurait pu citer d’autres consultations, plans et autres stratégies lancés en parallèle ces temps-ci et qui touchent eux aussi à la planification écologique. A l’instar de la Stratégie nationale biodiversité, attendue dans les prochaines semaines. Y en a-t-il trop ? Dans un article de blog de février dernier, Andreas Rüdinger appelait à un peu plus de sobriété dans la conduite de la planification écologique. « D’un côté, c’est positif, ça témoigne de cette volonté de chercher la complexité au lieu de l’évacuer, commence-t-il. Mais il y a peut-être aujourd’hui trop de chefs et pas assez d’Indiens. »