Compostage : A trois mois de l’obligation du tri des biodéchets pour tous, « on est loin d’être prêts »

POUBELLE A partir de janvier prochain, tous les Français devront disposer d’une solution de tri de leurs déchets alimentaires. Un objectif qui ne sera pas atteint, l’Ademe estimant que seul un quart de la population sera en réalité desservi

Julie Urbach
Illustration d'un compost
Illustration d'un compost — E.Piermont/AFP
  • Alors que la loi Agec prévoyait que tous les foyers puissent disposer d’une solution pour trier leurs biodéchets au 1er janvier 2024, le compte n’y est pas, à trois mois de l’échéance.
  • De nombreux freins (coût, organisation, etc.) sont encore à lever pour les collectivités, qui ne semblent pas toutes si pressées que ça dans la mesure où aucune sanction n’est pour le moment prévue en cas de retard.

Tous les Français qui le souhaitent vont-ils pouvoir composter leurs épluchures et restes issus de leur repas de Réveillon ? Peut-être un jour, mais pas cette année ! Alors que la loi Agec prévoyait que tous les foyers puissent disposer d’une solution pour trier leurs biodéchets au 1er janvier 2024, le compte n’y est pas, à trois mois de l’échéance. « Ça bouge, avec plein de projets qui se montent, mais on est loin d’être prêts, confirme Alexandra Gentric, coordinatrice nationale gestion des biodéchets à l’Ademe, à l’occasion des Assises des déchets qui se déroulent ces mercredi et jeudi à Nantes. Au dernier comptage, on estime qu’un petit quart de la population française aura une solution déployée par une collectivité, si l’on enlève le compost individuel. »

Car la collecte des déchets alimentaires pour tous n’est pas une mince affaire. Pour les foyers qui ne disposent pas de jardin ou qui n’ont pas la motivation pour composter, c’est aux collectivités de s’emparer de cet épineux sujet. « En 2020, peu d’entre elles avaient anticipé, avec environ une centaine qui avaient mis en place une collecte des ménages », poursuit Alexandra Gentric. Depuis, l’échéance approchant, elles sont de plus en plus nombreuses à se lancer « dans cette belle aventure, qui reste une aventure », témoigne Jean-François Vigier, président du syndicat mixte des ordures ménagères de la Vallée de Chevreuse.

Dans cette intercommunalité d’Ile-de-France, le tri des biodéchets s’est d’abord fait sur la base du volontariat, avec un parcours de collecte supplémentaire pour récupérer les nouveaux bacs remis aux familles motivées. Si aujourd’hui, quelque 5.000 pavillons sont concernés, la route est encore longue pour couvrir l’intégralité de la population.

Un équilibre à trouver entre compostage individuel, point d’apport, ou collecte

Il faut dire que « ce flux de déchets, vus comme sales et humides, peut provoquer une appréhension chez les particuliers mais aussi chez les élus », reconnaît Alexandra Gentric. Ces derniers craignent aussi pour les finances dans un contexte inflationniste, alors que c’est toute une nouvelle filière qu’il faut parfois construire (de la sensibilisation à la valorisation), avec un surcoût évalué entre 8 et 15 euros par an et par habitant. Sans compter un autre frein, lorsque les collectivités décident de se retrousser les manches.

Un bac à compost place Jean-Jaurès, dans le 7e arrondissement.
Un bac à compost place Jean-Jaurès, dans le 7e arrondissement. - J.L. / 20 MINUTES

« Nos territoires sont hétérogènes, donc on ne peut pas copier coller un modèle, explique Isabelle Louiset, responsable stratégie et développement chez Suez. Les solutions doivent coexister. » En trouvant le parfait équilibre entre compostage individuel ou collectif (dans son jardin ou au pied d’un immeuble), points d’apport volontaires dans la rue (type conteneurs) souvent privilégiés dans les quartiers, ou encore collecte en porte à porte (via un nouveau bac), qui semble le plus opportun dans les zones denses.

Dans les métropoles de Lyon ou de Nantes, c’est comme cela que l’on se hisse parmi les « bons élèves ». Dans la première, on espère couvrir l’intégralité des habitants l’année prochaine, tandis que la Cité des ducs s’apprête à développer dans de nouveaux quartiers les points d’apport, ces bornes implantées dans les rues que les habitants sont invités à remplir de déchets alimentaires. « On a fait un gros boulot d’explication, distribué des seaux, et on est agréablement surpris des retours, très qualitatifs, assure à 20 Minutes Mahel Coppey, vice-présidente en charges des déchets à Nantes métropole. Dans les quartiers nord, où l’expérimentation a commencé, on ramasse plus de 4 tonnes de biodéchets par semaine en moyenne. »

Pas de sanction prévue pour les collectivités en retard

Reste la sensible question du centre-ville, où se mêlent de nombreuses contraintes d’espace, d’accessibilité, d’acceptation des habitants voire de restrictions patrimoniales. A Nantes, « ce travail à mener dans la dentelle » a du coup été laissé pour la fin, et sera traité en 2025, annonce-t-on. De toute façon, le temps n’est pas compté puisque aucune sanction n’est pour le moment prévue pour les collectivités qui n’auraient pas atteint, voire pas entamé, l’objectif de proposer le tri des biodéchets à la source pour ses habitants à l’échéance 2024.

D’ailleurs, si une frange d’entre eux sont prêts, nombreux sont les acteurs à demander à l’État une véritable campagne nationale de sensibilisation au tri, alors que les biodéchets représentent environ un tiers de nos sacs-poubelle et finissent enfouis ou incinérés plutôt que de revenir à la terre. Il serait en effet dommage que les poubelles ou composteurs, qui finiront peut-être à être installés un jour un peu partout sur le territoire, fassent finalement chou blanc.

Une mesure incantatoire ?

L’association Zero waste France, qui dénonce ce retard pris par les collectivités, demande à l’Etat l’adoption d’un texte réglementaire pour préciser les modalités de ce tri à la source. « Sans obligations de moyens et de résultats, sans objectifs clairs de détournement des biodéchets de la poubelle d’ordures ménagères, le tri à la source, mesure cruciale pour la réduction des déchets mis en décharge ou incinérés, risque de rester incantatoire », écrit l’ONG.