Méditerranée : Pourquoi les tortues pondent-elles de plus en plus sur les côtes françaises ?
RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE En moins d’un mois, six pontes de tortues Caouanne ont été observées sur des plages du Var, de l’Hérault et des Alpes-Maritimes. Un phénomène assez inédit
- En moins d’un mois, six pontes de tortues Caouanne ont été observées sur les côtes françaises de la Méditerranée.
- Ces phénomènes sont assez exceptionnels par leur fréquence et leur nombre.
- Olivier Brunel, chef du service aquarium et soigneur des animaux marins de l’institut océanographique de Monaco, émet plusieurs hypothèses sur les raisons de ces phénomènes. Parmi elles, le réchauffement de la Méditerranée, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la planète.
Au début du mois de juillet, c’était une première dans les Alpes-Maritimes. Une tortue Caouanne avait laissé ses œufs sur une plage de Villeneuve-Loubet, près de Nice. Quelques jours plus tard, ces mêmes événements étaient observés à Marseillan-Plage, sur l'île de Porquerolles et à Sète, dans l’Hérault. Puis, sur une plage privée de Saint-Cyr-sur-Mer, dans le Var. Et encore une nouvelle fois, le week-end dernier, à Fréjus, dans le même département. Au total, six nids ont été comptabilisés en trois semaines.
« C’est effectivement particulier, notamment dans cette fréquence et son importance, affirme Olivier Brunel, chef du service aquarium et soigneur des animaux marins de l’institut océanographique de Monaco. On avait déjà observé de tels phénomènes sur nos côtes, un en 2016 et deux en 2020. » Il précise : « Historiquement, les importants lieux de pontes en Méditerranée sont essentiellement en Grèce, en Turquie, à Chypre, Malte mais aussi en Croatie, Mais depuis plusieurs années, les tortues remontent de plus en plus vers le nord. »
Le réchauffement de l’eau
Malgré quelques pistes évidentes, le scientifique reste prudent quant aux raisons de ces phénomènes : « Il y a toujours un doute avec le caractère rarissime parce qu’il se pourrait que des pontes aient eu lieu sans que personne n’en soit témoin. » Mais une chose est sûre, si les tortues viennent pondre sur les plages françaises, c’est parce qu’elles y trouvent « des conditions favorables ».
Parmi elles, la hausse de la température du sable et de l’eau, plus tôt dans l’année et pendant plus longtemps. Le réchauffement de la Méditerranée modifie également les courants. « Ils peuvent alors les amener plus proches de nos côtes, analyse le spécialiste. Avant, les adultes observées dans la région restaient exclusivement au large. »
L’autre hypothèse d’Olivier Brunel est l’augmentation de la population Caouanne dans les eaux méditerranéennes occidentales. « C’est un bon signe ! Ça veut dire que les mesures protection qui ont été mises en place ont l’air de fonctionner » affirme-t-il. Avant d’émettre une certaine réserve : « Ou est-ce que la population augmente parce qu’elles viennent d’ailleurs car il y fait trop chaud ? ».
« C’est le signe d’un dérèglement de notre mer Méditerranée »
Malgré un réel enthousiasme à voir des tortues accoucher en France, le soigneur des animaux est inquiet : « Le réchauffement de la Méditerranée est l’une conséquences directes du changement climatique. Et ça va être de pire en pire. Avoir des nids de tortues dans le sud de la France, c’est aussi le signe d’un dérèglement de notre mer. Quand on voit les températures à la surface, ça fait peur ! [27 °C à Nice, au moment où nous écrivons ces lignes]. On est en train de revivre des canicules marines. »
Faudra-t-il alors s’habituer à voir des tortues sur nos côtes ? Le chef de l’aquarium répond : « Les tortues trouvent de nouveaux endroits qui sont plus adaptés à leur ponte et à leur reproduction. Si ça continue comme ça, même nos sites, qui sont les plus au nord de la Méditerranée, ne seront plus adéquats. Elles devront alors chercher des lieux plus propices, en dehors de la Méditerranée, comme en Bretagne ou dans le Pas-de-Calais. »
La tortue, un outil puissant de sensibilisation
Face à cette situation, il faut s’adapter. « On ne sait pas si ces événements sont amenés à se répéter mais on doit s’y préparer, avance Olivier Brunel. Aujourd’hui, que ce soit les baigneurs, les plaisanciers ou les plagistes, personne ne s’attend à croiser une tortue sur son chemin dans nos régions alors qu’il y a des comportements à adopter en mer comme sur terre. »*
Au-delà des bons gestes à avoir, il faut aménager les sites pour protéger au mieux les tortues. Olivier Brunel prend l’exemple de l’urbanisation en bord de mer (bars, discothèques, commerces et routes) qui est « très dangereux » pour l’émergence des bébés. « Quand les juvéniles sortent du sable, ils doivent retrouver le chemin de la mer le plus rapidement possible afin d’éviter de se faire attraper par des oiseaux ou d’autres animaux qui passent ou d’être piétinés par les marcheurs, explique le spécialiste. Pour trouver la direction de la mer, ils se repèrent le reflet de la lune sur l’eau. Sur nos plages, il y a souvent plus de lumière de l’autre côté. Le risque, c’est que les juvéniles partent dans la mauvaise direction. » Normalement, des bénévoles sont présents au moment de l’éclosion, généralement une cinquantaine de jours après la ponte, pour aider les bébés tortues.
« Le côté positif d’avoir des pontes, c’est que ça va obliger les gens à être plus vigilants à l’espèce et à son environnement. C’est finalement un outil assez puissant de sensibilisation », conclut le soigneur.
*Par exemple, si vous voyez une tortue sur la plage, il ne faut absolument pas la remettre à l’eau. « Si elle sort, c’est uniquement pour pondre donc il faut la laisser tranquille, avertit le soigneur Olivier Brunel. Ne faites rien ! La seule chose à faire, c’est d’appeler les autorités locales pour signaler l’emplacement précis. » Ensuite, c’est le Réseau tortues marines de Méditerranée française (RTMMF) qui s’occupe de gérer la protection du nid et la partie scientifique, qui prendra le relais.