Donner une valeur à la biodiversité, seul moyen de la protéger?
PLANETE Peut-on mettre un prix sur un loup ou un ours...
Après le marché du carbone, le marché des espèces? Réunis jusqu’à vendredi à l’Université de rentrée du WWF (World Wildlife Fund), entreprises, politiques et membres d’ONG vont débattre des projets en cours pour chiffrer la contribution de la biodiversité à l’économie. L’objectif: donner une valeur aux services rendus par la nature afin de sanctionner financièrement leur destruction.
Remplacer les abeilles coûterait très cher
Une grande partie de notre économie est fondée sur l’exploitation de ressources naturelles: arbres à la base de toute la filière papetière, plantes à la base de la pharmacologie, végétaux et animaux pour l’industrie agro-alimentaire, par exemple. Mais alors que l’économie dépend d’équilibres naturels, elle contribue massivement, par la surexploitation ou la pollution, à la disparition de nombreuses espèces.
L’idée est donc de chiffrer la contribution de la nature aux filières économiques: on estime par exemple que le rôle joué par les insectes pollinisateurs pour la production agricole s’élève à 153 milliards d’euros par an dans le monde, soit 10% de la valeur de la production alimentaire mondiale. A mettre en perspective avec l’effondrement du nombre d’abeilles, dont le taux de mortalité naturel est passé de 10% à 40% depuis les années 1990.
Les incitations: «la peur et la cupidité»
«Cela ne consiste pas à mettre la nature dans un porte-monnaie», prévient Jean-Claude Vial, directeur adjoint de la Direction Eau et Biodiversité au ministère de l’Ecologie. Mais plutôt à trouver un moyen d’intégrer la biodiversité dans la stratégie des entreprises et les réglementations. Pour ça, l’argument de choc reste l’argent: «Il y a deux incitations possibles: la peur et la cupidité», constate Joshua Bishop, économiste et coordinateur de l’étude «The economics of ecosystems and biodiversity» (TEEB).
Selon lui, le problème fondamental est que «la consommation de nature est gratuite alors que sa conservation ne crée pas de profit». Il serait donc utile d’estimer la valeur des services rendus par la nature pour inciter les politiques à introduire des instruments de taxation ou des subventions «bio-conditionnées». Toutefois, l’économiste pèse ses mots: valeur ne veut pas dire prix.
Des questions éthiques s’imposent
«Le vivant a une valeur qui ne s’évalue pas uniquement de manière monétaire. En revanche, sa destruction a un coût», rappelle Sandrine Bélier, euro-députée Europe Ecologie. «Il y a des questions éthiques sur le monde vivant qui le différencient du marché carbone. Se demander quel est le prix d’un loup ou d’un ours reviendrait à se demander quel est le prix du Mont St Michel ou du Louvre. Mais la nature est un bien qui a aussi une valeur: est-ce qu’on envisagerait de faire passer une autoroute au milieu de Notre-Dame de Paris?»
A l’image du rapport Stern, qui transposait en monnaie sonnante et trébuchante le coût de l’adaptation ou non au changement climatique, l’étude TEEB et la création de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité) pourraient permettre de constituer une base de données scientifiques et économiques sur laquelle de futures décisions politiques pourraient s’appuyer. Et «offrir des arguments chiffrés» aux défenseurs de la nature.