Charles III à Bordeaux : Qu'est-ce que le site de la « forêt expérimentale » qui a « fortement intéressé Sa Majesté » ?

INTERVIEW Sylvain Delzon, directeur de recherches Inrae et Université de Bordeaux, raconte sa rencontre avec le roi Charles III, vendredi sur le site de la « forêt expérimentale » à Floirac

Mickaël Bosredon
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Sylvain Delzon avec le roi Charles III lors de sa venue sur le site de la forêt expérimentale de Floirac, le 22 septembre 2023.
Sylvain Delzon avec le roi Charles III lors de sa venue sur le site de la forêt expérimentale de Floirac, le 22 septembre 2023. — GAUTIER DUFAU
  • Lors de son passage à Bordeaux vendredi, Charles III a visité le site de la forêt expérimentale à Floirac.
  • Ce site de recherches de l’Inrae et de l’université de Bordeaux, vise à étudier la réponse des forêts au changement climatique.
  • Une collaboration avec la fondation du roi, The circular bioeconomy alliance, a été évoquée.

Sensible aux questions de réchauffement climatique et d’agriculture biologique, le roi Charles III avait fait de l’environnement le fil rouge de sa visite à Bordeaux, vendredi. Parmi les sites visités par son altesse, figurait la « forêt expérimentale » de Floirac. Il s’agit d’un projet de recherches mené par des scientifiques de l’université de Bordeaux et de l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique), dont l’intitulé exact est FORLand, « forêt pour la terre ». Il a pour objectif d’étudier la réponse des forêts au changement climatique afin de pouvoir l’adapter, et aider à lutter contre le réchauffement. 20 Minutes a interrogé Sylvain Delzon, directeur de recherche au sein du laboratoire  Biogeco (Biodiversité, Gènes et Communauté) de l'Inrae-université de Bordeaux.

Comment s’est déroulée la visite du roi Charles III vendredi sur le site de FORLand ?

La visite s’est très bien déroulée, même si elle n’a duré que quarante-cinq minutes. Nous avons pu discuter de l’adaptation des forêts au changement climatique, et notamment des dépérissements récents observés lors de sécheresses et d’incendies, qui ont pour point commun de larguer énormément de CO2 dans l’atmosphère. Le but de nos travaux est de trouver des solutions pour adapter ces forêts, afin d’éviter au maximum ce genre d’événements extrêmes, notamment ces incendies majeurs que nous avons connus en 2022 dans le Sud-Ouest, ou cette année au Canada. Nous avons aussi longuement discuté des mécanismes expliquant la mortalité des arbres lors de sécheresses, qui sont des mécanismes d’embolie vasculaire de l’arbre. Nous avions installé une expérimentation en live, où il a pu voir sur des écrans ce qu’il se passe à l’intérieur de l’arbre lorsqu’il y a une sécheresse sévère, avec l’apparition de bulles d’air dans l’appareil vasculaire, qui remplacent la sève dans les vaisseaux.

C’est un phénomène connu de longue date ?

Il y en a sans doute toujours eu, mais nous ne sommes capables de l’observer que depuis trois ou quatre ans. Cette technologie que nous avons développée n’existait pas avant. Maintenant, on sait que lorsqu’il y a une sécheresse, cela crée une tension extrême au sein de la plante, qui peut conduire à une rupture de colonne d’eau et à l’apparition de ces bulles d’air. Nous avons mis en évidence que l’embolie vasculaire est la cause majeure de mortalité lors de sécheresses.

L’identification de ces mécanismes a donc été possible grâce à ce site de forêt expérimentale ?

Nous l’avons identifié en laboratoire à Talence, entre 2016 et 2020, et depuis 2020 nous essayons d’adapter nos processus de visualisation de l’embolie, dans la forêt expérimentale, ce qu’a pu voir le roi Charles III lors de sa venue.

Comment a-t-il réagi à ce que vous lui avez montré ?

Il a été très intéressé, il est relativement pointu sur la question. Il a d’ailleurs créé en 2020 The Circular Bioeconomy Alliance, sorte de fondation qui met notamment en place des living lab comme le nôtre, sur les thèmes de la restauration d’écosystèmes et de la revégétalisation. Il a été évoqué la possibilité de collaborations avec cette fondation.

C’est une bonne nouvelle pour vous, non ?

Oui, d’autant plus qu’ils nous ont déjà recontactés depuis. Et en marge de la visite du roi, nous avions discuté pendant trois heures, le matin, avec ses conseillers. En revanche, on ne sait pas encore quelle forme cette collaboration pourrait prendre. Il y a un intérêt commun fort en tout cas.

Parlez-nous du site de la forêt expérimentale, qui reste encore méconnu des Bordelais ?

Il est situé sur le site de l’observatoire de Floirac, où il y avait un campus universitaire de 18 ha qui abritait des laboratoires, et qui ont quitté les lieux en 2015. Depuis cette date avec le président de l’université de Bordeaux, nous discutions de projets de conversion de ce site dans une thématique de transition écologique, et nous avons déposé ce projet de forêt expérimentale avant de le lancer en 2020. Il y a trois axes majeurs. Il y a d’abord le monitoring, où l’on effectue le suivi long terme de la réponse des arbres au changement climatique, sans rien modifier. C’est l’endroit que le roi a visité, c’est là où on le voit marcher sur un caillebotis, car il est interdit de marcher sur le sol pour ne pas perturber l’environnement. Dans la deuxième partie, où nous avons une approche expérimentale, on modifie une variable climatique, celle des précipitations, grâce à un hangar en bois avec toit amovible, qui se ferme au-dessus des arbres lorsqu’il pleut l’été, pour simuler une sécheresse comme on devrait en connaître en 2100, avec 40 à 60 % de précipitations estivales en moins. Le troisième axe du projet, qui a fortement intéressé Sa Majesté, tourne autour des solutions fondées sur la forêt : comment s’inspirer de la forêt en agriculture ? En forêt, on n’utilise pas de pesticide, et pourtant le sol est toujours fertile.

Concernant la problématique du réchauffement, faut-il adapter la forêt aux sécheresses, ou trouver des espèces qui y résistent mieux ?

Les deux. Pour réduire l’impact de la sécheresse, on peut par exemple jouer sur la densité, c’est-à-dire réduire le nombre d’arbres pour diminuer la consommation d’eau. Mais nous recherchons aussi des essences, notamment en ce qui concerne le pin maritime, qui résistent mieux. Le pin d’Espagne et du Portugal est plus résistant à la sécheresse, on regarde donc à l’introduire dans les landes de Gascogne. Enfin, nous recherchons des espèces de feuillus très résistantes à la sécheresse, que l’on va pouvoir introduire dans le cadre de la replantation des landes de Gascogne au niveau des corridors, pour augmenter la diversité génétique du massif, qui permettrait de mieux lutter contre les insectes et les pathogènes.