A l’heure où un Terrien sur trois ne voit plus la Voie lactée, c’est quoi au juste une réserve de ciel étoilé ?

Star wars Alors que la pollution lumineuse devient un véritable enjeu environnemental et énergétique, quatre réserves de ciel étoilé sont nées en France pour protéger le ciel nocturne et la biodiversité

Lucie Tollon
Comment faire un vœu en voyant une étoile filante, si on ne voit plus le ciel ? Illustration.
Comment faire un vœu en voyant une étoile filante, si on ne voit plus le ciel ? Illustration. — Justin PICAUD
  • Le Parc national des Pyrénées accueille cette semaine, au sommet du Pic du Midi, dans les Pyrénées, le premier Congrès des réserves internationales de ciel étoilé (Rice).
  • Dans le Mercantour, les Cévennes, au-dessus du plateau des Millevaches, et donc dans les Pyrénées, il existe quatre Rice dans l’Hexagone dans lesquelles les acteurs locaux luttent collectivement contre la pollution lumineuse et pour préserver l’environnement nocturne.
  • 20 Minutes vous dit pourquoi c’est si important, que ce soit pour les habitants, les touristes, les insectes et même les hérissons.

Elles sont aussi jeunes que les étoiles sont ancestrales. Les réserves internationales de ciel étoilé (Rice) sont nées au Canada, en 2007 et étaient au tout départ une affaire de spécialistes. « Elles ont été créées parce que les astronomes n’avaient plus accès aux étoiles pour faire leur travail. Ils étaient les premières victimes de l’augmentation de la pollution lumineuse », explique Nicolas Bourgeois, directeur adjoint du Pic du Midi. Ce site pyrénéen, avec son célèbre observatoire scientifique, a rejoint le cercle très fermé des Rice en 2013. Trois nouvelles réserves françaises ont vu le jour dans la décennie qui a suivi : Les Rice des Cévennes, Alpes-Azur-Mercantour et des Millevaches.

Sur place, des maires, des collectivités unissent leurs efforts pour réduire à son minimum l’éclairage artificiel et « préserver l’environnement nocturne ». Pour quatre bonnes raisons que 20 Minutes vous détaille.

Préserver notre accès visuel aux étoiles

« L’accès aux étoiles est primordial pour notre humanité. On se questionne à travers les étoiles et on a basé notre quotidien sur le ciel : le calendrier, le temps, l’exploration », martèle, Nicolas Bourgeois. « Nous avons besoin du contact avec la nature et le ciel étoilé permet de nous reconnecter avec celle-ci », enchaîne Héloïse Deutsch, chargée de mission au Parc national des Pyrénées. Selon ces deux spécialistes, plus d’un tiers de la population mondiale n’a plus accès à la Voie lactée et ce sont les pays occidentaux qui en sont le plus privés. « C’est un patrimoine gratuit et ouvert à tous, il est important de reconquérir la nuit », ajoute l’ancien chercheur en géographie.

Bien heureusement, ce qui est menacé, c’est l’accès aux étoiles, par les étoiles elles-mêmes. « C’est une des dernières parcelles de l’environnement que l’homme ne peut pas détruire », relève le directeur adjoint du Pic du Midi. Grâce à cette réserve de ciel étoilé ; les touristes peuvent profiter désormais d’un ciel totalement dégagé pour observer l’immensité du ciel – si la météo le veut bien – et les astronomes peuvent continuer leur travail sans encombre.

Protéger la biodiversité nocturne

Selon Héloïse Deutsch, deux tiers des invertébrés ont besoin de la nuit pour leur cycle de vie. Les forts éclairages ont un impact également sur les oiseaux migrateurs qui sont désorientés. « Quand on a un lampadaire, les insectes sont attirés vers la lumière, tournent autour et se fatiguent. On a 150 insectes qui meurent chaque nuit par lampadaire », ajoute le référente.

Les fouines ou encore les hérissons, actifs la nuit, sont également affectés. « Une route éclairée est une barrière infranchissable pour eux », précise la chargée de mission. La nuit est en effet un habitat naturel pour de nombreuses espèces. Se voulant rassurant, les deux experts martèlent que la biodiversité revient immédiatement lorsque l’on travaille sur l’éclairage. Le travail collaboratif dans la Rice permet le développement d’outils de protection avec par exemple la création de corridors écologiques et d’éclairages spéciaux pour réduire l’impact de la lumière artificielle sur les habitats et espèces nocturnes. « On trouve de moins en moins d’animaux morts autour des lampadaires depuis qu’on fait attention à notre éclairage », souligne Jean-Bertrand Dubarry, le maire d’Aulon, une des 250 communes engagées sur le territoire de 600 km2 de la réserve du Pic du Midi.

Amoindrir de la pollution lumineuse sur notre santé

Absente des débats il y a encore quelques années, la pollution lumineuse est devenue un enjeu de société. « Nous sommes faits pour vivre le jour. Ces éclairages ont un impact sur nous. Nous avons besoin de l’obscurité pour notre cycle biologique », pointe Héloïse Deutsch. « Nous avons artificialisé la nuit ». La pollution lumineuse a, selon les spécialistes, des effets nocifs sur la santé avec une altération du sommeil, un retard de l’endormissement, des troubles de la mémoire, de l’humeur, de l’attention, des risques cardiovasculaires, une augmentation des risques de cancer du sein et de la prostate, de diabète ou d’obésité.

« Aujourd’hui, dans notre village, on peut dormir les fenêtres ouvertes, respirer l’air frais sans être altéré par la lumière », se félicite,

Améliorer la facture énergétique

Grâce à un meilleur éclairage, tourné vers les zones utiles, surtout vers le bas donc, l’éclairage gagne en efficacité sans « polluer » la biodiversité. Qui plus est, on réduit de 90 % toute lumière vers le ciel. Et ce n’est pas pour déplaire au porte-monnaie des élus. « Depuis 2011, on s’est engagé avec les acteurs du territoire à réduire notre pollution lumineuse. On a converti notre éclairage en lampe cosmowhite. On a réduit notre impact lumineux de 80 % grâce à l’éclairage directionnel. Avec tous les enjeux de sobriété actuels, on a pu réduire notre facture d’énergie de 90 % », s’enthousiasme, Jean-Bertrand Dubarry. Au début, les 93 habitants de son village de montagne ont grincé des dents. « Ils disaient que les sorcières allaient revenir », raconte l’édile. Mais « c’est rentré dans l’ordre ». Ils bénéficient même maintenant d’un vrai sentier de nuit pour profiter du ciel étoilé.

Pour l’heure, ces réserves naturelles ne sont que le fruit d’une initiative entre les communes, les parcs nationaux et les syndicats d’énergie. Elles ne sont d’ailleurs reconnues que par un seul label, américain, l’International Dark Sky Association. Leur souhait à travers le premier Congrès des Réserves de ciel étoilé de cette semaine au Pic du Midi est d’être mieux considérées par les pouvoirs publics français et européens, pour mieux travailler sur l’enjeu de la pollution lumineuse.