Glyphosate : Le point sur la controverse alors que l’UE veut prolonger son autorisation de dix ans
Herbicide Mercredi, la Commission européenne a proposé de reconduire l’autorisation de ce pesticide pour dix ans dans l’Union européenne, provoquant de nombreuses inquiétudes
- La Commission européenne a proposé mercredi de reconduire pour dix ans l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne et va commencer à se pencher sur la question vendredi, pour un vote prévu le 13 octobre prochain.
- Jusqu’ici, le glyphosate avait bénéficié d’une autorisation jusqu’au 15 décembre 2022, renouvelée pour un an en attendant l’évaluation de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
- La question du glyphosate déchire, alors qu’il a été classé en 2015 comme « cancérogène probable » pour les humains par l’Organisation mondiale de la santé.
De nos champs à nos urines, le glyphosate s’infiltre partout. Une étude publiée en janvier 2022 montrait ainsi que 99,8 % des près de 7.000 personnes testées en France voyaient leur urine contaminée. Le pesticide le plus utilisé dans le monde suscite de nombreuses inquiétudes sans que les instances internationales ne soient capables de se mettre au diapason sur sa dangerosité. Mercredi, la Commission européenne a proposé de reconduire son autorisation pour dix ans dans l’Union européenne. Comment cette décision sera-t-elle prise ? Pourquoi l’UE envisage cette reconduction ? Quelles réactions cela provoque-t-il ? 20 Minutes fait le point pour vous.
Que dit la Commission européenne ?
La Commission européenne envisage de reconduire l’autorisation du glyphosate pour dix années. Cette proposition sera examinée vendredi par les représentants des 27 Etats membres, qui devront ensuite la valider à une majorité qualifiée lors d’un vote le 13 octobre. L’autorisation actuelle du glyphosate dans l’UE, renouvelée en 2017 pour cinq ans, expirait le 15 décembre 2022.
Elle avait été prolongée d’un an dans l’attente d’une évaluation scientifique de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Celle-ci avait finalement indiqué en juillet ne pas avoir identifié de « domaine de préoccupation critique » chez les humains, les animaux et l’environnement susceptible d’empêcher l’autorisation de l’herbicide. La Commission propose donc d’autoriser le glyphosate jusqu’au 15 décembre 2033, soit pour une durée deux fois plus longue que la précédente autorisation, mais en deçà de la période de quinze ans initialement prévue.
Le feu vert pourra être révisé à tout moment si de nouvelles évaluations le justifiaient. Bruxelles établit quelques garde-fous : l’usage devra être assorti de « mesures d’atténuation des risques » concernant les alentours des zones pulvérisées, via des « bandes tampons » de cinq à dix mètres et des équipements réduisant drastiquement les « dérives de pulvérisation ». L’utilisation pour la dessiccation (épandage pour sécher une culture avant récolte) est désormais interdite.
Pourquoi le glyphosate inquiète-t-il tout en divisant ?
Le glyphosate, substance active de plusieurs herbicides, avait été classé en 2015 comme « cancérogène probable » pour les humains par le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé. Monsanto, et sa maison mère allemande Bayer, sont empêtrés depuis des années dans de multiples et coûteuses procédures judiciaires aux Etats-Unis, liées à l’utilisation du désherbant Roundup, qui en contient. Le groupe a notamment conclu en 2020 un accord à 10 milliards de dollars pour solder les poursuites de ses anciens utilisateurs.
Un groupe d’experts de l’Institut national de santé et de la recherche médicale (Inserm) en France a par la suite conclu en 2021 à « l’existence d’un risque accru de lymphomes non hodgkiniens avec une présomption moyenne de lien » avec le glyphosate. De son côté, l’EFSA a simplement relevé « un risque élevé à long terme chez les mammifères » pour la moitié des usages proposés du glyphosate, mais reconnu que le manque de données empêchait toute analyse définitive. Enfin, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a jugé l’an dernier que les preuves scientifiques disponibles ne permettaient pas de le classer comme cancérogène.
Quelles réactions cette éventuelle reconduction suscite-t-elle ?
Pascal Canfin, président (Renew, libéraux) de la commission Environnement du Parlement européen, déplore l’absence de « restrictions sérieuses d’usage ». L’élu a dénoncé une « proposition non conforme aux conclusions de l’EFSA, qui pointent de nombreuses zones grises ».
« En détruisant la biodiversité, le glyphosate met en danger notre sécurité alimentaire à long terme. Cette proposition est irresponsable », a fustigé l’eurodéputé Verts Benoît Biteau. « Les intérêts industriels priment clairement sur la santé et l’environnement », selon l’organisation écologiste PAN Europe. Dans les colonnes de Mediapart, Laurence Huc, toxicologue et spécialiste des pesticides, estime que « si les évaluations européennes reposaient sur la science, le glyphosate serait interdit depuis des décennies ».
De son côté, Christian Durlin, un responsable du syndicat agricole FNSEA, ne voit « aucun élément pouvant alimenter un refus de prolonger » l’autorisation, mais met en garde contre de possibles distorsions dans les règles d’application entre les Etats. Par ailleurs, « on ne voit pas les raisons d’appliquer une bande tampon, il n’est pas démontré qu’il y a un problème », ajoute-t-il.
Quelle est la position de la France ?
En novembre 2017, Emmanuel Macron s’était engagé à mettre en œuvre l’interdiction du glyphosate « au plus tard dans trois ans ». « Je n’ai pas changé d’avis » sur cet objectif, mais « je n’ai pas réussi » à l’accomplir, a reconnu le chef d’Etat en décembre 2020, estimant qu’il s’agissait d’un échec « collectif ». Depuis, Paris s’est fixé comme objectif de sortir de l’essentiel des usages de ce désherbant. En 2020, l’Anses a annoncé des restrictions progressives pour son usage dans l’agriculture, son utilisation par les particuliers étant prohibée depuis 2019.
Mercredi, la proposition de la Commission européenne a été jugée insatisfaisante par Paris, qui prône une « approche » selon laquelle l’usage du glyphosate doit être restreint aux seuls usages pour lesquels il n’existe aucune alternative viable. « La France demande que cette démarche soit harmonisée au niveau européen », a souligné le ministère de l’Agriculture. Reste à voir si Paris parviendra à orienter dans cette direction le débat qui s’ouvre à la Commission européenne.