Tourisme : « La Corse n'est qu'un début »... Sailcoop va avoir son propre catamaran et vise d'autres îles à la voile

interview Cet été encore, Sailcoop propose aux vacanciers de passer de la Corse au continent en voilier. La coopérative vannetaise a d’autres projets en tête, raconte Yann Royer, directeur des affaires maritimes de Sailcoop

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen
Sailcoop lance son service de transport de passager à la voile
Sailcoop lance son service de transport de passager à la voile — ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
  • Le slow travel, c'est vouloir repenser les vacances pour en réduire au maximum l’empreinte carbone et en prenant son temps. Sailcoop veut surfer sur le mouvement et propose, depuis l’été dernier, des liaisons en voilier Corse-continent.
  • La jeune coopérative, lancée à Vannes, veut voir bien plus loin. Elle lance en ce moment une souscription pour l’aider à financer la construction d’un catamaran moderne, afin de relancer un peu plus encore le transport de passagers à la voile.
  • Le futur navire, qui pourrait être prêt en avril prochain, est prévu pour voguer en Bretagne. Yann Royer, directeur des affaires maritimes de Sailcoop, nous explique tout ça.

Un dépaysement qui commence dès la route des vacances… D’une certaine façon, c’est la promesse de Sailcoop, coopérative lancée en septembre 2021 depuis Vannes. L’idée : proposer aux vacanciers – et pas seulement d’ailleurs – un moyen de transport décarboné pour rejoindre les îles au large de la métropole. Quoi de mieux alors que le voilier ? Sailcoop commence ainsi dès l’été 2022 avec des premières liaisons entre Saint-Raphaël et Calvi, en Corse. Cette première saison verra embarquer 250 passagers pour cette traversée d’une vingtaine d’heures environ, à bord d’un voilier de dix couchettes.

Après des liaisons entre la Martinique et la Guadeloupe cet hiver, Sailcoop est de retour en Méditerranée. Mais avec l’envie de changer d’échelle au plus vite. La coopérative lance en ce moment une souscription pour aider à financer la construction de son propre catamaran. Toujours pour le transport décarboné de passagers vers les îles au large de la métropole. Mais sous d’autres latitudes cette fois-ci. Yann Royer, directeur des affaires maritimes de Sailcoop, nous explique tout ça.

Si on reste entre Saint-Raphaël et Calvi pour commencer, combien de passagers espérez-vous transporter cette saison ?

Nos liaisons Corse-continent ont repris dès le 15 avril et prendront fin le 15 octobre. La nouveauté, c’est que nous n’exploitons plus seulement un voilier mais deux. De deux skippers, nous sommes également passés à huit, qui se relaient 24h/24. Cela nous permet de proposer un départ par jour, de chaque côté de la Méditerranée. Ce changement d’échelle devrait nous permettre d’augmenter aussi sensiblement le nombre de passagers transportés. Nous visons 2.000 sur l’ensemble de la saison. C’est du moins le nombre de billets que nous avons mis en vente. Nous avons déjà transporté 350 passagers depuis mi-avril et vendu environ 1.000 billets. Juillet et août sont déjà bien remplis, mais il reste des places.

Des ferrys font déjà la liaison Corse-continent pour moins cher (240 euros la traversée sur Sailcoop). Comment rivaliser ?

Pour à peu près la même durée de traversée, nous proposons une tout autre expérience. Sailcoop s’inscrit dans cette tendance du slow-travel, avec l'envie de ne plus voir le transport comme un temps perdu mais comme faisant partie intégrante des vacances. Les retours clients sont très bons jusqu’à présent. Il y a beaucoup de convivialité à bord, facilitée par les petits groupes de huit voyageurs que nous embarquons. On arrive à Calvi en douceur, en ayant vu un coucher et un lever de soleil. Surtout, 80 % de nos traversées ont permis des observations de rorquals, de dauphins et autres cétacés. Et on imagine aller beaucoup plus loin, à l’avenir, sur ce volet découverte, en développant encore la sensibilisation à l’environnement marin.

On s’inscrit également dans une logique de mobilité douce. En dehors des entrées et sorties de ports, nous avançons quasi uniquement à la voile, sans émissions de gaz à effet de serre. Nous n’utilisons que 2,5 litres de gazole pour faire la traversée continent-Corse par passager transporté. Soit environ 200 km. Ce ratio est imbattable par un ferry ou par un avion.

Vous avez ouvert, jusqu’à vendredi, une campagne de financement visant à récolter 200.000 euros auprès du grand public, leur permettant de devenir sociétaires de la coopérative. A quoi doit servir cet argent ?

A la construction de notre futur catamaran. Les deux bateaux que nous exploitions entre le continent et la Corse ne nous appartiennent pas. Ils nous sont confiés par leurs propriétaires, en échange de quoi, ils peuvent l’utiliser plusieurs semaines par an et nous nous chargeons des frais d’entretien, d’emplacements dans les ports, d’assurance tout le temps que nous les utilisons. Ce système nous convient très bien, en particulier sur la liaison Saint-Raphaël-Corse. Mais on voit plus loin. Dès notre lancement, nous avons regardé toutes les lignes qui pourraient être intéressantes à exploiter. Nous avons alors regardé ce qui se faisait sur le marché en matière de catamaran à voile pour des trajets plus courts, sans nuit passé à bord. Mais rien ne nous satisfaisait pleinement, si bien qu’on s’est décidé à construire notre propre bateau en faisant travailler le cabinet d’architecture naval VPLP, plutôt spécialisé dans la course au large, et le chantier de l’Arsenal, à la Rochelle, qui lui a l’habitude de construire des navires à passager. En alliant ces deux spécialités, on veut faire émerger ce catamaran le plus efficace possible pour notre activité. Le chantier devrait commencer en septembre, pour une livraison en avril prochain.

A quoi ressemble ce futur catamaran, et à quelle liaison le destinez-vous ?

Il fera une vingtaine de mètres de long et pourra embarquer 80 personnes. Une cinquantaine de places seront à l’abri du vent et des embruns. En parallèle, nous avons fait en sorte de réduire de douze tonnes le poids du bateau, qui sera bien plus léger que les navires de même capacité. Nous disposerons également de 180 m² de voilure, dont nous avons beaucoup travaillé le profil pour avoir un catamaran capable de très bien avancer, dès 5 à 6 nœuds de vent, sans l’aide de moteurs.

Côté liaisons, nous en avons ciblé deux principales, toutes en Bretagne. La première relierait Concarneau aux Glénans, archipel qui accueille l’école de voile « Les Glénans » [la plus grande d’Europe avec 14.000 stagiaires par an]. La deuxième partirait de Lorient pour Groix, île avec pas mal de résidences secondaires et de touristes l’été. Dans les deux cas, on est sur des liaisons entre 1h et 1h30, pour lesquelles notre catamaran serait bien adapté et pour lesquelles on transporterait dans les 20.000 passagers par an. Dans les deux cas aussi, on discute avec l’école des Glénans ou la région Bretagne, pour Groix, sur d’éventuels partenariats.

Va-t-on ainsi, comme dans le transport de marchandises, vers la conception de navires modernes conçus spécifiquement pour le transport de passagers à voile ?

Tout à fait. On a quinze ans de retard sur les Towt, Grain de Sail, Neoline et tous les autres qui ont eu cette volonté de relancer le transport de marchandises à la voile. Tout le monde les prenait pour des hurluberlus. Ils sont bien plus pris au sérieux aujourd’hui, nouent de jolis partenariats et ont, pour certains, mis à l’eau leur propre cargo ou s’apprêtent à le faire. Et les impératifs écologiques comme les enjeux économiques, avec l’envolée des prix de l’énergie, devraient mettre ces entreprises un peu plus encore dans l’air du temps dans les années à venir.

On fait le pari qu’il en sera de même pour le transport de passagers à voile. Ce ne sera pas la réponse à tout. Pour des questions de vent, de telles lignes sont difficiles à mettre en place sur des axes Est-Ouest - typiquement entre Le Conquet et Ouessant -, mais nous avons tout de même identifié une dizaine de lignes potentiellement intéressantes, rien que pour relier les îles métropolitaines. Peut-être par nous, peut-être par d’autres. Sailcoop est une coopérative d’intérêt collectif. On est prêt à travailler avec tout le monde. Nous avons par exemple de très bon rapport avec « Iliens », navette à voile qui relie déjà Quiberon à Belle-île-en-Mer.