« Abysses » : Si les profondeurs des océans attisent nos imaginaires, c’est qu’on y a encore tout à découvrir
Ocean Chaque lundi de juin, France 2 diffuse « Abysses », série qui imagine une force mystérieuse venue des profondeurs sous-marines se révoltant contre l’homme et les pressions qu’il lui impose. De la science-fiction ? Oui, oui… Mais à quel point ?
- Chaque lundi de juin, France 2 diffuse Abysses, une série de science-fiction tirée du roman de Frank Schätzing. Elle imagine un organisme mystérieux, capable d’utiliser des créatures marines pour s’attaquer à l’homme.
- D’accord, d’accord, il est très peu probable que le Yrr existe. Mais peut-on en apporter la preuve ? C’est tout le mystère des profondeurs océaniques, pointent l’explorateur Ghislain Bardout comme la scientifique Sarah Samadi : le territoire est immense et largement inaccessible.
- Autrement dit, les abysses nous sont très largement inconnus et donnent régulièrement lieu à des découvertes étonnantes. Du requin du Groenland au calmar géant, en passant par le coelacanthe.
Un organisme unicellulaire qui peut se recombiner en un ensemble multicellulaire bien plus grand, capable de changer de forme et de densité à tout moment. Et, surtout, doté d’une intelligence hors norme. Cet animal est le YRR, « un organisme qui ne ressemble à rien de ce que nous avons pu voir sur Terre », assure le Dr Sigur Johanson.
Et pour cause : on est dans la série Abysses, adaptée du roman de Frank Schätzing, qui est diffusée chaque lundi de juin sur France 2 [ou à voir d’une traite ici], et dont 20 Minutes est partenaire. Le pitch ? Après des années de pollution et de dérèglement climatique, une force mystérieuse venue des profondeurs utilise des créatures marines pour déclarer la guerre à l’humanité. Cette force, vous l’avez devinée, c’est le YRR.
Des territoires immenses et profonds
De la science-fiction, oui, oui. Encore que… Même s’il n’imagine pas qu’un tel organisme existe, Ghislain Bardout est bien incapable d’en apporter la preuve. « Les océans gardent une immense part de mystère tant ils sont peu connus, ce qui nourrit forcément nos imaginaires », pointe l’explorateur. Avec Emmanuelle, son épouse, il est à l’origine des missions Under the Pole, qui multiplient les plongées dans la zone mésophotique des océans. « Entre 30 et 200 mètres de profondeur », glisse Ghislain Bardout. Là où la lumière ne passe plus. Un autre monde déjà, qui peut donner lieu à des rencontres magiques. Avec le requin du Groenland, un mastodonte à la longévité estimé à 400 ans. Ou des organismes capables de bioluminescence (produire leur propre lumière).
Pour autant, en restant dans cette zone mésophotique, Under the Pole n’a pu explorer qu’un micro-fragment de ces abysses. « Quand sur terre, l’altitude moyenne est à peu près de 800 mètres, la profondeur moyenne des océans, elle, est de 3.800 mètres et peut culminer à 11.000 mètres dans la fosse des Mariannes [Pacifique], la plus profonde connue à ce jour », compare Sarah Samadi, professeure au Museum nationale d’histoire naturelle (MNHN).
Des explorations distordues par nos intérêts
Ajoutez le fait que les océans couvrent 70 % de la surface de la Terre et vous avez une idée de l’immensité des abysses. Longtemps, l’homme les a pensés peu profondes, plates et désertiques. « L’exploration des profondeurs démarre véritablement à partir du XIXe siècle, au moment où l’on commence à vouloir déployer des câbles télégraphiques de part et d’autre de l’Atlantique », retrace Sarah Samadi. Il en sera souvent ainsi par la suite, « l’exploration des abysses répondant avant tout à des intérêts militaires, géopolitiques et/ou économiques ».
Dernier exemple en date : l’espoir de certains Etats et industriels de pouvoir un jour extraire les cuivre, zinc, or, cobalt et autres métaux stratégiques que contiendraient les abysses. « Depuis les années 1970, les plaines à nodules du Pacifique-Est, l’une des zones prometteuses identifiées, font régulièrement l’objet d’études pour déterminer l’intérêt économique de cette exploitation, mais aussi les impacts qu’elle aurait sur la biodiversité, explique Sarah Samadi. On commence ainsi à connaître beaucoup de choses sur ces plaines. De nombreuses espèces ont été trouvées et restent encore à décrire. »
Pourtant, ces plaines abyssales du Pacifique-est sont très certainement l’endroit le plus désert sur Terre. « C’est en tout cas là où il y a le moins de production de micro-algues à la surface, et donc le moins à manger, reprend Sarah Samadi. Autrement dit, on devrait trouver une biodiversité encore plus importante dans les autres plaines abyssales du globe. Mais on parle de territoires immenses pour lesquels, cette fois-ci, on ne connaît quasiment rien. »
« 90 % des espèces marines restent à découvrir »
La professeure du Museum en est certaine : « 90 % des espèces marines restent encore à découvrir ». Pas seulement des bactéries et autres organismes microscopiques, mais aussi des gorgones, des coraux, des étoiles de mer, des crabes, voire des poissons plus gros encore. Sarah Samadi et Ghislain Bardout citent le calmar géant, longtemps objet de mythes et légendes alimentés par les récits des marins. « On sait qu’il existe, qu’il vit dans les grandes profondeurs et peut atteindre entre 10 et 13 mètres de long, raconte Sarah Samadi. Mais on ne l’a quasiment jamais vu [un spécimen a par exemple été filmé début janvier au large du Japon] et on ne connaît presque rien de lui. »
Ce n’est qu’un exemple, et les abysses donnent lieu régulièrement à des découvertes étonnantes. La professeure parle du cœlacanthe, un poisson qu’on connaissait à l’état de fossile et qu’on pensait éteint depuis des millions d’années. Jusqu’à ce qu’on retrouve un spécimen bien vivant, au large de l’Afrique du Sud en 1938. C’est une autre certitude de la scientifique : « Les plus grandes découvertes taxonomiques (description de nouvelles espèces) à venir se feront dans les abysses ». « La biodiversité observée sur les continents est finalement assez récente, poursuit-elle. On y observe les branches de l’arbre du vivant qui ont réussi à s’adapter aux milieux terrestres à partir d’il y a 500 millions d’années, détaille-t-elle. Mais il y en a d’autres qui ne sont jamais sorties de l’océan, dont on ignore même peut-être encore l’existence tant les abysses nous sont peu accessibles. »
Une biodiversité qu’on pourrait perdre avant même d’être découverte ?
Ce n’est pas près de changer, à écouter Ghislain Bardout. « Même si les technologies évoluent sans cesse, les explorations sous-marines resteront encore longtemps hautement complexes et extrêmement coûteuses », prédit le plongeur. Risque-t-on alors de perdre cette biodiversité marine avant même de l’avoir découverte ? C’est le risque. « Même si on en voit plus difficilement les impacts, à la différence d’une forêt qu’on rase, les écosystèmes marins subissent aussi d’importantes pressions, rappelle Ghislain Bardout.. Du changement climatique à la surexploitation des ressources, en passant par les pollutions. »
De la à imaginer des espèces sous-marines s’alliant pour se venger de l’homme, comme dans Abysses, avec le YRR en maître d’orchestre ? Sans glisser dans l’anthropomorphisme qui consisterait à prêter à la nature une conscience et un fonctionnement semblables aux nôtres, Ghislain Bardout et Sarah Samadi disent la métaphore intéressante. « J’ai la conviction que les océans nous envoient d’ores et déjà des signaux qu’on ignore grandement, estime le plongeur. Et oui, si la biodiversité marine s’effondre, le retour de bâton sera terrible. »