Les ruches sur les toits des villes, une tendance qui n’est plus vraiment une évidence
VUE D’EN HAUT 7/7 Les hauteurs de nos villes fourmillent de vie et d’activité, parfois surprenantes. Sur les toitures de Paris, de Nantes ou de Bordeaux les abeilles domestiques ont trouvé leur place. Mais le développement du frelon asiatique change la donne
- Ils sont peu visibles au quotidien, celui du rez-de-chaussée. Pourtant, des hommes et femmes évoluent chaque jour, pour se loger, travailler ou s’amuser, dans les hauteurs de nos villes.
- 20 Minutes vous raconte leurs histoires en sept épisodes publiés cette semaine.
- Aujourd’hui, zoom sur les abeilles installées sur les toitures des villes. Une volonté répandue il y a une dizaine d’années. Remise en cause aujourd’hui.
Elles butinent dans les jardins, les parterres et les balcons fleuris. Puis ramènent le pollen à la colonie, à l’abri des regards. A quelques mètres de l’agitation bruyante des rues, des milliers d’abeilles domestiques ont élu domicile sur les toitures des villes françaises. De Paris à Marseille, de Toulouse à Strasbourg, on trouve ainsi des ruches d’apiculture sur les toits de bâtiments publics, de collectivités, de monuments nationaux ou d’entreprises. Ces installations urbaines, qui ont commencé en 2005 avec le programme « abeille sentinelle de l’environnement », se sont multipliées depuis dix ans. « L’objectif était de susciter une prise de conscience contre la disparition massive des insectes pollinisateurs, en raison des néonicotinoïdes et des monocultures notamment. Ça a permis de changer le regard sur l’abeille auprès du grand public », relate Henri Clément, porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf).
L’expérience a pris de l’ampleur, d’autant plus qu’elle a permis de démontrer que la mortalité des abeilles était inférieure en ville, à l’abri des pesticides, qu’à la campagne. « Ça a tellement bien fonctionné que certains se sont engouffrés dans la brèche pour faire de la thune », regrette Henri Clément, évoquant des apiculteurs peu scrupuleux incitant les entreprises à parrainer des ruches, moyennant rétribution, sans assurer de suivi régulier. « Les accès, les échelles, c’est parfois périlleux de grimper sur les toits. Les abeilles ont toute leur place en ville mais, pour que ça marche, il faut que ce soit réfléchi, adapté », confirme Franck Alétru, président du syndicat national d’apiculture (SNA).
« C’était un véritable carnage »
La tendance est toutefois remise en cause depuis peu en raison du développement fulgurant du frelon asiatique. Ce tueur d’abeilles invasif, dont la présence a désormais été signalée sur presque tout le territoire français, s’est installé durablement dans certaines villes où il trouve aisément de l’eau, de la nourriture et un micro-climat favorable. Les dégâts sur les ruches urbaines seraient alors colossaux. « Lorsque vous avez 20 à 40 ruches réunies sur un même site, comme c’est souvent le cas en milieu rural, les abeilles parviennent à se défendre. En ville, la configuration des lieux ne permet pas d’en avoir autant, on ne trouve généralement que trois à cinq ruches. Elles sont beaucoup plus vulnérables », explique le porte-parole de l’Unaf. Les ravages sont tels que de plus en plus d’apiculteurs préfèrent retirer leurs ruches des toits, soit définitivement, soit quand arrive l’été, période propice aux attaques.
A Nantes, l’une des villes pionnières de l’apiculture urbaine, il n’y en aurait plus une seule. « On a enlevé 45 ruches en l’espace de deux ans, raconte Claude Jajolet, coprésident de l’union des apiculteurs de Loire-Atlantique. C’était un véritable carnage. Les ruches n’étaient à l’abri de rien. C’était comme servir le repas aux frelons. Nos partenaires étaient déçus de ne plus avoir leurs ruches mais ils se sont montrés compréhensifs. Et on a refusé des collaborations avec des partenaires qui l’étaient moins. » Une partie des ruches ont été déplacées à la campagne, une autre sur un circuit automobile. « Ça se passe beaucoup mieux. On ne regrette pas notre décision. On ne pouvait pas laisser nos colonies se faire dévorer. », estime Claude Jajolet.
Les syndicats d’apiculteurs regardent la situation avec attention. « On préférerait évidemment que les ruches restent toute l’année. Mais les apiculteurs ont raison de les protéger. Face à la menace, il faut s’adapter », réagit Henri Clément. « On pourrait laisser les ruches en ville s’il y avait un plan de lutte collectif contre le frelon asiatique et une campagne de piégeage digne de ce nom, râle Franck Alétru, le président du SNA. A Nantes ou à Paris, la ville aurait dû truffer tous ses parcs et jardins de pièges. Les dégâts seraient nettement moindres et ça coûterait moins cher que de détruire les nids. La plupart du temps, le problème n’est pas pris avec sérieux. »
Trop d’abeilles pour les autres insectes ?
Comme si le frelon ne suffisait pas, une étude parue en janvier 2018 dans la revue Science, confirmée ensuite par les travaux d’une chercheuse en écologie française réalisés à Paris, avance que la surpopulation d’abeilles domestiques dans les villes serait néfaste pour les autres insectes pollinisateurs, notamment pour les abeilles sauvages, qu'elles privent de réserves suffisantes en nectar et en pollen. Refroidis par les résultats, des partenaires privés ont préféré renoncer à prêter leurs toits aux ruches. Des villes, comme Metz et Besançon, ont décidé de stopper les installations. Les apiculteurs, eux, ne sont pas convaincus.
« Il n’y a pas de compétition. On observe que les abeilles domestiques et les pollinisateurs ne butinent pas forcément les mêmes espèces. Le vrai problème des pollinisateurs, c’est le frelon asiatique. On en revient à lui. Un nid de frelon asiatique consomme 11 kg d’insectes, pas uniquement des abeilles », assure Henri Clément, le porte-parole de l’Unaf. « Les insectes pollinisateurs ne sont ni recensés, ni protégés, abonde Franck Alétru. Personne ne s’intéresse à eux. On leur enlève les troncs d’arbre et branches mortes dont ils ont besoin pour s'installer. Ils se font aussi décimer par les frelons. Il faut trouver les moyens de les maintenir, eux comme les abeilles, en ville. Sinon les villes deviendront aussi un désert de biodiversité. »