Bretagne : L’Agence régionale de santé accusée de manipuler le classement des eaux de baignade
Mensonge Le rapporteur public a donné raison à une association environnementale qui parle d’un véritable « scandale sanitaire »
- L’Agence régionale de santé est accusée d’avoir manipulé les résultats concernant la qualité des eaux de baignade en Bretagne.
- Devant le tribunal administratif de Rennes, le rapporteur public a donné raison à une association environnementale.
- Les derniers relevés de l’ARS évoquaient 98,5 % des sites de baignade répondant aux exigences de qualité. Des chiffres largement contestés aujourd’hui.
EDIT du 07/06/2023 : Dans un communiqué publié ce mercredi, l'Agence régionale de santé défend son bilan, estimant que « la part des échantillons écartés est particulièrement faible ». Nous avons intégré ces réponses à l'article.
Il était seul, assis dans la petite salle d’audience du tribunal administratif de Rennes. Porte-parole d’Eau et rivières de Bretagne, Arnaud Clugery n’hésite pas à parler d’un véritable « scandale sanitaire » quand il aborde le litige opposant son association à l’Agence régionale de santé. Après avoir ausculté de très près la méthodologie de l’ARS, son association accuse l’administration publique de manipuler les classements des eaux de baignade de Bretagne en « écartant certains mauvais résultats ». En attendant de voir sa plainte être étudiée par la Commission européenne, l’association a pu compter sur le soutien du rapporteur public qui a plaidé en sa faveur ce mardi, dénonçant les erreurs commises par l’ARS, curieusement absente de l’audience. Souvent suivi par les magistrats du tribunal administratif, cet avis pourrait faire jurisprudence et pousser les autorités françaises à clarifier leurs méthodes de prélèvement. Surtout, elle jette le discrédit sur une institution censée protéger les populations.
A l’aube de la saison touristique 2022, la Bretagne affichait ses chiffres avec fierté. « Parmi les 581 baignades contrôlées et classées en Bretagne en 2021, 98,5 % présentent une eau répondant aux exigences de qualité en vigueur », fanfaronnait l’ARS. Seuls neuf sites du Finistère et des Côtes-d’Armor étaient classés en qualité insuffisante. La réalité de la région de l’agrobusiness serait en fait toute autre. D’après le travail mené par Eau et rivières de Bretagne, une cinquantaine de plages devraient pourtant être interdites à la baignade en raison d’une pollution des eaux. La raison ? Une manipulation des relevés étrangement opérée par l’autorité chargée du dossier.
Très encadré par l’Union européenne, le suivi des eaux de baignade permet une entorse importante en autorisant les autorités à retirer les mauvais relevés quand ils sont la conséquence d’un épisode ponctuel. L’origine de la pollution doit alors être bien identifiée et une solution curative a dû être trouvée. Prenons l’exemple d’une station d’épuration qui aurait dysfonctionné. Pour ne pas plomber les résultats d’une plage pour un événement traité en quelques heures ou quelques jours, l’ARS peut décider d’enlever ce « mauvais résultat ». Le problème, c’est que l’Agence régionale de santé semble abuser de ce passe-droit en considérant que les vilains résultats obtenus après de fortes pluies peuvent être considérés comme exceptionnels. Sauf que la pluie en Bretagne, elle n’est pas exceptionnelle. Et quand elle vient à tomber dans des bassins-versants connus pour être souillés par des produits phytosanitaires et des élevages intensifs, elle charrie avec elle une quantité non négligeable de merde pour l’emmener vers la mer. « L’ARS considère que le ruissellement est une pollution exceptionnelle. Mais c’est faux. Il faut sortir de ce système qui invisibilise les pollutions », estime Arnaud Clugery.
Des fermetures préventives régulières
En Bretagne, des mesures préventives de fermeture des plages sont régulièrement adoptées en période de fortes pluies. Les autorités locales savent qu’un gros orage viendra polluer les eaux littorales en lessivant les terres agricoles et les routes, faisant parfois déborder les réseaux. Faut-il pour autant retirer ces relevés pour fausser le classement des meilleures zones de baignade ? « On a des plages qui font régulièrement l’objet de fermetures préventives et qui affichent de meilleurs résultats que d’autres qui ne sont jamais touchées. Le baigneur doit pouvoir savoir, il en va de sa santé ». Dans un communiqué rédigé au lendemain de l'audience, l'ARS se défend, arguant que «de 2013 à 2020, seulement 4 échantillons considérés comme des pollutions à court terme sur 1.024 ont été écartés sur le territoire de la mer d’Iroise ».
Dans une longue analyse de la situation, le rapporteur public avait déjà souligné l’étrangeté de certains résultats communiqués par l’ARS, prenant l’exemple de la plage du Château, à Landunvez. Connue pour abriter 12.000 cochons et 1.500 habitants, la commune du Finistère Nord devrait voir sa plage rouvrir cet été, sur la base de résultats probants de la qualité de l’eau. Mais sont-ils fiables ? « L’ARS a reconnu qu’elle avait intégré 15 résultats dits positifs par erreur sur un total de 19.000. Cela paraît peu mais on notera que deux concernent la seule plage du Château », a relevé Dominique Rémy. Le rapporteur public a rappelé la difficulté de regagner la confiance d’une population qui a été trop longtemps bernée. Ce dernier a plaidé pour que l’ARS intègre tous les résultats des prélevés effectués et écarte ceux qui n’ont pas lieu d’y être. Afin d’y voir plus clair avant d’aller dans l’eau.
Combien d’autres ARS concernées ?
Mise en délibéré, la décision du tribunal administratif sera scrutée de près quand elle sera rendue publique d’ici quinze jours à un mois. « Nous ne cherchons pas à nuire à l’ARS, au tourisme ou à certaines communes. Nous voulons simplement que la méthode soit revue pour qu’elle soit fiable. Ainsi, nous pourrons travailler à identifier les zones et travailler pour mettre fin aux pollutions dont sont victimes les populations », conclut le porte-parole d’Eau et rivières. La plainte devant la Commission européenne pourrait également aboutir à une harmonisation des méthodes sur le plan national, voire européen. Car à entendre les associations environnementales, l’ARS bretonne ne serait pas la seule à utiliser ce même procédé.