Agriculture : Le charbon végétal ou biochar, l’or noir de la transition écologique ?
SOLUTION Il piège le carbone sur plusieurs siècles, améliore la qualité des sols, et sa fabrication, par pyrolyse, peut même être l’occasion de récupérer du gaz renouvelable. Voilà tous les atouts du biochar, qui intéresse de plus en plus en France
- Prenez des résidus végétaux, chauffez-les à plusieurs centaines de degrés, sans oxygène, et vous obtenez du biochar. Ce charbon végétal a les faveurs du Giec, qui en fait une des technologies pour retirer du CO2 de l’atmosphère, un des enjeux clés de la transition énergétique.
- Il faut dire que le biochar a plusieurs atouts dans sa manche. A commencer par celui, principal, de piéger le carbone que libèrent les végétaux après leur mort. Mais celui aussi, par sa structure poreuse, de faciliter l’infiltration de l’eau dans le sol et d’y favoriser la vie microbienne.
- Malgré ses qualités, le biochar est encore une filière balbutiante en France. Notre climat tempéré et la bonne qualité globale de nos sols rendent sa plus-value moins évidente. Et puis le biochar est très cher. Faut-il pour autant s’en désintéresser ?
Des petites billes de la taille de gravillons, et d’un noir qui n’est pas sans rappeler le charbon fossile. On n’en est pas si loin d’ailleurs. Mais Stéphane Ledentu, fondateur du groupe forestier SLB, invite à ne pas confondre. Ce qui sort depuis fin 2021 de son usine d’Argentan (Normandie), c’est du biochar. Contraction de « bio » pour végétal et de « char » pour charbon.
Ce charbon-là ne va donc pas se chercher au fond de la mine mais est produit à partir de résidus végétaux (biomasse). Des déchets verts, des sous-produits de cultures ou de la filière bois. C’est dans ce dernier gisement que puise SLB à Argentan. « On a en gestion 1.000 ha de forêts en Normandie, sur lesquels nous devons faire des coupes d’éclaircie pour abattre les arbres les moins vigoureux et faciliter la croissance des autres, précise Stéphane Ledentu. C’est ce bois d’éclairci qu’on récupère. 1.200 tonnes qui donnent 400 de biochar. »
Interrompre le cycle du carbone
Direction le pyrolyseur, un grand caisson dans lequel le bois est chauffé entre 400 et 700 °C. Le tout sans oxygène. Autrement dit sans feu, et c’est loin d’être un détail. « Lorsqu’ils meurent et se décomposent, les végétaux relarguent le carbone qu’ils ont capturés toute leur vie dans l’atmosphère, via la photosynthèse, rappelle Marie-Liesse Aubertin, docteure en sciences des sols à l’IFP Energies nouvelles (Ifpen). La pyrolyse permet de stopper ce cycle, en gardant captif le carbone dans le biochar. » Suivant la matière première et le process utilisés, une tonne de biochar permettrait ainsi de séquestrer entre 1,3 et trois tonnes équivalent de CO2 sur un horizon de plusieurs siècles.
De quoi en faire un allié précieux dans la lutte contre le changement climatique ? Réduire nos émissions de gaz à effet de serre ne suffira pas, il faudra aussi être en capacité de retirer du CO2 de l’atmosphère, insiste le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), dans son rapport d’avril 2022. Et le biochar est l’une des « technologies à émission négative » qu’il identifie pour y parvenir.
« Une éponge » bienvenue pour les sols
Elle est d’autant plus prometteuse que ce charbon végétal n’a pas pour seul atout que de séquestrer le carbone. Enfoui dans le sol, il a aussi une valeur agronomique intéressante, liée principalement à sa structure poreuse. « Le biochar est une sorte d’éponge, compare Cyril Girardin, ingénieur de recherche à l’Inrae. Il facilite la rétention et le stockage d’eau dans les sols, mais contribue aussi à les aérer, et ainsi à favoriser la croissance de micro-organismes bénéfiques aux plantes. » « Les racines profitent aussi de cette porosité pour se développer et ainsi accéder plus facilement aux nutriments », ajoute Marie-Liesse Aubertin. Le tout peut permettre à l’agriculteur de réduire ses consommations d’eau et d’engrais.
Séquestration du carbone et amélioration des sols… Le biochar, la promesse de faire d’une pierre deux coups. Carbonloop cherche à en faire un troisième. « La pyrolyse ne donne pas seulement du biochar, mais aussi un gaz de synthèse qui a l’avantage d’être renouvelable et potentiellement à faible empreinte carbone », indique Claire Chastrusse, directrice générale de cette start-up créée en 2021. Ce gaz peut déjà contribuer à alimenter en énergie le pyrolyseur, comme le fait SLB à Argentan et prévoit aussi de le faire Carboonloop. Mais cette dernière veut aussi s’en servir pour produire de la chaleur, de l’électricité ou encore de l’hydrogène vert. « L’idée est d’installer nos pyrolyseurs sur des sites industriels qui utiliseront ce gaz de synthèse pour réduire leurs consommations d’énergies fossiles, de gaz naturel en particulier », reprend Claire Chastrusse.
Carbonloop annonce un premier pyrolyseur installé sur un site industriel des Yvelines fin 2023-début 2024. Suivra un second dans l’Essonne, quelques mois plus tard, cette fois à proximité d’une station-service que Carbonloop approvisionnera en hydrogène vert, destiné à alimenter les premiers camions utilisant cette technologie.
Pertinent sous les tropiques… mais en France ?
D’autres grandes entreprises et start-up tricolores misent également sur le biochar. A l’instar de NetZero, lancé en 2021 et qui compte dans ses cofondateurs le climatologue Jean Jouzel. Mais cette dernière s’est d’abord donné pour mission de développer le recours au biochar dans les tropiques. NetZéro a ainsi une première usine au Cameroun, d’une capacité de production de 2.000 tonnes par an, et vient d’en inaugurer une deuxième, d’une capacité de 4.500 tonnes, au Brésil, là où SLB a aussi un site de production depuis 2015.
Sous ces latitudes, le biochar a fait ses preuves. « La littérature scientifique montre qu’il permet d’améliorer la production sur des sols très pauvres, dans les zones arides d’Afrique par exemple, ou sur des terres très dégradées », glisse Cyril Girardin. En France, avec son climat tempéré et ses terres globalement de bonnes qualités, cette plus-value fait toujours l’objet de discussion. « On manque de données scientifiques, indique Marie-Liesse Aubertin. Les quelques expérimentations faites en région tempérée présentent des effets très variés du biochar sur le potentiel agronomique du sol. »
« S’il y a des gains, ils ne sont sans doute pas suffisamment marqués pour que les agriculteurs se ruent dessus », complète Cyril Girardin. D’autant que le biochar est encore très cher. De l’ordre de 800 euros la tonne en moyenne en Europe, « quand la dose préconisée à enfouir dans les champs serait de l’ordre de 30 tonnes par hectare », reprend le chercheur de l’Inrae.
Un modèle économique à trouver
Faut-il alors renoncer à produire du biochar en France ? Ce n’est pas ce que disent Marie-Liesse Aubertin et Cyril Girardin, qui invitent à ne pas oublier sa grande qualité première : sa capacité à séquestrer le carbone et à le stocker dans le sol. Un enjeu clé, y compris en France. Et puis nous avons aussi notre lot de biomasse, à valoriser au maximum. Les débouchés ne manquent pas entre la méthanisation, le compostage, les biocarburants, les bois de chauffage… « Pour certaines de ces matières organiques – les plus sèches, les plus poreuses et les plus pauvres en nutriment –, la pyrolyse pour faire du biochar peut être la solution particulièrement pertinente », estime Marie-Liesse Aubertin.
Reste alors à trouver un modèle économique. La solution pourrait venir des crédits carbone auxquels la production de biochar donne droit. Ils permettent à des entreprises, des investisseurs privés, des Etats de compenser leurs propres émissions de gaz à effet de serre en finançant des projets bons pour le climat, dont la production de biochar. Si la façon dont ce marché des crédits carbone fonctionne actuellement est régulièrement décriée, la philosophie reste intéressante, dixit Cyril Girardin : « Si on est tous d’accord pour dire que stocker du carbone dans les sols est bon pour la planète, alors c’est peut-être à la société de payer les agriculteurs pour le faire ».
Les communes pour premiers clients ?
Dans les actuels clients pour son biochar, Stéphane Ledentu reconnaît compter peu encore d’agriculteurs. Et si des particuliers peuvent en acquérir, ce sont surtout les communautés de communes qui achètent à ce jour son biochar. « Pantin, Bordeaux, Reims, Flers, Caen…, liste-t-il. Ils en mettent au pied de leurs plantations et on a de bons retours sur les économies d’eau que ces villes disent réalisées. Le biochar peut aussi être mis sous le gazon des terrains de sport ou les parcours de golf. Ou encore contribuer à dépolluer des friches. »
Le Normand ne craint donc pas de manquer de débouchés pour son biochar. SLB vient d’équiper son usine d’Argentan d’un deuxième pyrolyseur qui permettra de passer la production annuelle à 800 tonnes. « On en aura un troisième en 2026, ce qui nous fera donc passer à 1.600 tonnes », annonce-t-il. Même optimisme du côté de Carbonloop où l’on ambitionne d’équiper une centaine de sites en Europe et de séquestrer et éviter un million de tonnes de CO2 par an à cet horizon. « On est en retard sur le biochar. Aux Etats-Unis ou en Chine, il est déjà abondamment utilisé », rappelle Claire Chastrusse.