Océans : Une étude révèle l’étonnante biodiversité du microbiome des récifs coralliens du Pacifique

Science À l’instar de notre microbiote, qui nous rend bien des services, les récifs coralliens vivent en symbiose avec une multitude de bactéries et autres micro-organismes. Ce microbiome serait même bien plus divers qu’imaginé

Fabrice Pouliquen
Pendant plus de deux ans, la goélette scientifique Tara a sillonné le Pacifique pour mesurer la diversité du microbiome des récifs coralliens.
Pendant plus de deux ans, la goélette scientifique Tara a sillonné le Pacifique pour mesurer la diversité du microbiome des récifs coralliens. — Jonathan Lancelot / Fondation Tara Ocean
  • Pendant deux ans et demi, de mai 2016 à fin octobre 2018, la goélette de la fondation scientifique Tara Océan a sillonné le Pacifique, de la Chine au Panama, pour tenter de découvrir la diversité cachée des récifs coralliens.
  • Plusieurs milliers d’échantillons ont été ramenés sur terre, dont une partie passée au crible de la génomique. C’est à partir de ce travail que des scientifiques ont découvert une diversité bien plus vaste qu’imaginée du microbiome hébergé dans ces récifs coralliens du Pacifique.
  • Reste à comprendre précisément le rôle de ces bactéries et autres micro-organismes dans le fonctionnement de ces récifs. Peuvent-ils notamment être un atout pour améliorer leur résistance au changement climatique ?

C’est la plus grande bioconstruction de notre planète et pourtant, on continue d’en apprendre à son sujet. On vous parle des récifs coralliens, ces constructions vivantes formées par des polypes, ces animaux qui ressemblent à des petites méduses, et dont les squelettes calcaires donnent petit à petit naissance à des colonies coralliennes visibles depuis l’Espace.

Et là-dedans, ça fourmille de vie, car ces coraux servent, suivant les espèces, d’abris, de garde-manger, de nurseries… quand ce n’est pas tout à la fois. « Sur une superficie à peu près égale à celle de l’Allemagne, les coraux hébergent 30 % de la biodiversité marine, rappelle Denis Allemand, directeur scientifique du Centre scientifique de Monaco et spécialiste des coraux. Soit à peu près 70.000 espèces. »


Deux ans et demi à sillonner le Pacifique

Denis Allemand évoque de la biodiversité animale et végétale marine. Mais si on descend à l’échelle du microbiome – soit les bactéries, virus et autres micro-organismes unicellulaires qui vivent en symbiose avec les récifs coralliens, à l’instar de notre microbiote à nous, humains -, alors le foisonnement de vie est bien plus grande encore. Et même plus qu’imaginé ? Une étude publiée ce jeudi dans la revue scientifique Nature Communication arrive à la conclusion que la diversité du microbiome des récifs coralliens du Pacifique pourrait à elle seule atteindre une valeur proche de la diversité totale des micro-organismes estimée jusqu’à présent sur Terre.

Cette étude est l’une des huit à paraître ce jeudi dans des publications scientifiques et à avoir pour point de départ l’expédition Tara Pacific. Pendant deux ans et demi, de mai 2016 à fin octobre 2018, la goélette de la fondation scientifique Tara Océan a sillonné le Pacifique, de la Chine au Panama, pour tenter de découvrir la diversité cachée des récifs coralliens et mieux appréhender leurs capacités d’adaptation au changement climatique. « Au total, 58.000 échantillons ont été collectés au cours de près de 4.000 plongées sous-marines », précise Romain Troublé, directeur exécutif de Tara Océan.


Pendant deux ans et demi, de mai 2016 à fin octobre 2018, la goélette de la fondation scientifique Tara Océan a sillonné le Pacifique, de la Chine au Panama, pour tenter de découvrir la diversité caché des récifs coralliens
Pendant deux ans et demi, de mai 2016 à fin octobre 2018, la goélette de la fondation scientifique Tara Océan a sillonné le Pacifique, de la Chine au Panama, pour tenter de découvrir la diversité caché des récifs coralliens - @TaraOcean

Une « fascinante » diversité de micro-organismes

Dans le lot, plus de 5.000 échantillons de trois espèces de coraux, deux de poissons et de plancton dans 99 récifs différents, ont fait l’objet d’un séquençage génomique en vue, notamment, de répertorier et cartographier les micro-organismes présents. C’est à partir de cette base de données que l’équipe de Pierre Galland, directeur de recherche à l’Observatoire océanologique de Banyuls (CNRS), spécialiste de microbiologie, a découvert « cette diversité énorme du microbiome dans les récifs du Pacifique ». 

« Il y avait déjà de premières estimations sur le nombre total d’espèces de micro-organismes à l’échelle de la Terre entière, évalué à plusieurs millions, commence le scientifique. Or, rien qu’avec les quelques milliers d’échantillons récoltés dans le cadre de Tara Pacific, nous arrivons déjà à environ 20 % de cet ordre de grandeur. Et si on extrapole nos données à la centaine d’espèces de poissons et de coraux qu’on trouve dans les récifs du Pacifique, alors la diversité du microbiome du Pacifique est très certainement comparable à celle qui avait été imaginée pour l’ensemble du globe. »

Un indicateur de la bonne santé des coraux

C’est l’une des conclusions de cette étude : « le nombre total de micro-organismes sur notre planète pourrait avoir été considérablement sous-estimé », reprend Pierre Galland. Le scientifique fait aussi de cette « fascinante diversité du microbiome » une raison de plus de sauvegarder ces récifs coralliens, très vulnérables à l’augmentation de la température moyenne des océans, l’une des conséquences du changement climatique.

Reste à comprendre précisément le rôle de ces bactéries et autres micro-organismes dans le fonctionnement de ces coraux. La mission Tara Pacific a déjà permis de faire des pas en ce sens. « Nous avons découvert trois nouvelles espèces de bactéries, chacune associée spécifiquement à une espèce de corail, illustre Pierre Galland. En étudiant le génome de ces bactéries, on a pu voir qu’elles produisent des vitamines, en particulier les très importantes vitamines B, qu’elles apporteraient au corail, lui-même n’en fabriquant pas. C’est un exemple d’équilibre qui s’opère entre la bactérie et son corail, visiblement depuis des temps très anciens, et qui participent à la bonne santé du récif, notamment face aux stress qui l’affectent dont ceux liés au changement climatique.. » 

Un monde à découvrir

Mais dans ce domaine, la recherche est encore balbutiante. Pierre Galand et Denis Allemand font le parallèle avec le microbiote humain. « Bien que d’importants moyens de recherche ont été alloués dans ce domaine, on commence à avoir une idée assez précise de sa diversité. En revanche, on continue à lui trouver de nouveaux rôles dans la physiologie humaine », expliquent les deux scientifiques. Pour le microbiote corallien, en revanche, on part quasiment de zéro.

Pierre Galand a déjà en tête tout un tas de pistes à explorer. « De quelle façon, par exemple, on pourrait se servir de ces micro-organismes comme des indicateurs de l’état de santé d’un récif corallien, en fonction des bactéries qu’on y trouve ou, à l’inverse, des déséquilibres que l’on constate ? illustre-t-il. De quelle façon aussi pourrait-on se servir de ces communautés microbiennes comme de probiotiques, des cocktails de bactéries qu’on injecterait dans le récif pour améliorer leur santé et/ou leur résistance face au changement climatique ?

Le temps presse pour explorer ce nouveau monde, alors que le réchauffement climatique continue de s’accentuer. Denis Allemand renvoie ainsi sur l’alerte relayée en décembre 2020 du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) sur la possible disparition des récifs coralliens d’ici la fin du siècle, à moins d’une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre.