Pollution plastique : Un pas de plus vers un traité mondial, cette semaine à Paris ?

DECRYPTAGE Les représentants de 175 pays ont rendez-vous la semaine prochaine au siège de l’Unesco, à Paris, pour continuer d’avancer vers un traité international luttant contre la pollution plastique. Avec l’objectif qu’il soit prêt fin 2024. Pas gagné ?

Fabrice Pouliquen
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Des déchets essentiellement plastiques gisent sur une plage au nord de Beyrouth, le 28 novembre 2017.
Des déchets essentiellement plastiques gisent sur une plage au nord de Beyrouth, le 28 novembre 2017. — JOSEPH EID / AFP
  • 460 millions de tonnes ont été produites en 2019, dont 80 % deviennent déchets en moins d'un an. Et la production pourrait tripler d’ici à 2060, alerte l’OCDE. C'est tout le problème du plastique, matière utile dans bien des cas, mais qui prolifère tant qu’on ne sait pas la gérer.
  • En mars 2022, 175 Nations ont pris l’engagement d'élaborer un accord juridique contraignant sur la pollution, qui devra être prêt d’ici à fin 2024. La feuille de route est très serrée et passe par Paris la semaine prochaine, avec un deuxième round de négociations au siège de l’Unesco.
  • Qu’attendre de ce rendez-vous ? 20 Minutes fait le tour des enjeux.

En mars 2022, à Nairobi (Kenya), 175 Nations s'engageaient à élaborer un accord juridique contraignant sur la pollution plastique. Neuf mois plus tard, un premier cycle de négociations réunissait ces mêmes pays en Uruguay. Un deuxième s’ouvrira lundi, jusqu’à vendredi, au siège de l’Unesco, à Paris. Avec pour impératif d’entrer un peu plus encore dans le concret. Jusqu’à espérer une première ébauche de traité ? Petit tour d’horizon des enjeux de la semaine.



Une dépendance toujours plus forte ?

« Ce n’est pas un traité contre le plastique », cadre déjà Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la mer, qui suit les négociations dans le collège des acteurs de la société civile. « Dans bien des cas, l’utilisation de cette matière est pertinente, reprend-elle. Le problème est que le plastique prolifère et on ne sait plus le gérer. »

« Neuf milliards de tonnes ont été produites depuis les années 1950, époque où l’on a commencé à mettre du plastique partout », indique Juliette Franquet, directrice de l’ONG Zéro Waste France. Rien qu’en 2019, l’OCDE évalue à 460 millions de tonnes la quantité de plastique produite dans le monde. « 81 % deviennent des déchets en moins d’un an », précise Sabine Roux de Bézieux. Par ailleurs, seuls 19 % sont recyclés et 22 % finissent dans la nature ». Surtout, la tendance n’est pas bonne : la production annuelle de plastique - autant que les déchets générés - pourraient tripler d’ici à 2060, craint l’OCDE.

Une pollution plastique loin de se limiter aux océans ?

On a beaucoup parlé du « 7e continent », ce vortex de déchets plastiques au milieu de l’océan Pacifique. Le symbole est fort, « mais c’est juste la face émergée de l’iceberg », insiste Juliette Franquet. Les déchets plastiques vont des macro, visibles à l’œil nu, aux nanoparticules. Si on prend tout ce spectre, on trouve du plastique partout où l'on en cherche. » Du sommet de l’Everest à la neige fraîche de l’Antarctique. Derrière, les impacts sont multiples. Tant sur la biodiversité que pour la santé humaine ou celle des sols, liste Henri Bourgeois Costa, directeur des affaires publiques de la Fondation scientifique Tara Océan. Il ajoute l’impact climatique à ne pas oublier, le plastique étant un dérivé du pétrole. « Selon l’OCDE, au rythme où vont les choses, l’industrie du plastique représentera 17 % des émissions mondiales de CO2 », indique-t-il.

Que doit impérativement contenir le traité ?

Henri Bourgeois Costa et Juliette Franquet insistent pour dire que la solution à la pollution plastique ne viendra pas du recyclage mais de la réduction du problème à la source. « L’urgence est de stabiliser la production annuelle mondiale et, au plus vite, de la faire décroître », insiste le porte-parole de Tara Océan. Ce qui implique de mettre beaucoup de choses dans ce traité. « Un enjeu clé est de contrôler et réduire la diversité des types de plastiques aujourd’hui sur le marché [plus de 4.000] et d’en faire de même sur les matières premières et additifs utilisés pour les fabriquer, jusqu’à interdire les plus toxiques », détaille-t-il.

Juliette Franquet ajoute la sortie des plastiques inutiles. Pas seulement les pailles, cotons-tiges, couverts jetables et autres plastiques à usage unique que la France et l’Union européenne ont commencé à bannir. Elle vise également les emballages, qui représentent 36 % des plastiques produits chaque année. « Les marges de réduction sont importantes, des alternatives existant d’ores et déjà dans bien des cas », abonde Henri Bourgeois Costa.

Qu’attendre de cette semaine parisienne ?

La feuille de route donne jusqu’à fin 2024 pour accoucher de ce traité. Un temps extrêmement court pour un texte de cette importance. Il ne s’agit donc pas de traîner, mais on est encore très en amont dans les négociations et ce round parisien sera suivi d’autres, dont le prochain à Nairobi, à l’automne.

Faut-il tout de même espérer une première ébauche de traité d’ici vendredi ? Sabine Roux de Bézieux en doute, « même s’il faudra avancer au maximum ». « Avant tout chose, il faut déjà s’accorder sur des terminologies communes, commence-t-elle. Qu’entend-on par usage unique, recyclage et même plastique ? D’un pays à l’autre, les définitions ne sont pas les mêmes » Ce travail sur les définitions est un point crucial de la semaine cité également par Juliette Franquet et Henri Bourgeois Costa.

Ce dernier en ajoute un deuxième : « Il faudra acter les règles de gouvernance de ce futur traité, notamment la forme de vote du texte final. » En clair : un vote à la majorité qualifiée ou à l’unanimité ? Le choix n’est pas anodin. « Pour que ce traité ait une portée forte, il faut qu’une majorité de pays le signent, mais l’unanimité porte le risque de devoir trouver le plus petit dénominateur commun pour avoir toutes les signatures », expose le porte-parole de Tara Océan. Bref : de revoir à la baisse les ambitions, une critique qui revient régulièrement à chaque fin de COP sur le climat.

Quels pays freinent des quatre fers ?

Une coalition pour la haute ambition réunit à ce jour 52 pays et l’Union européenne. On y trouve la France mais aussi l’Australie, le Canada, la Grande-Bretagne, le Nigeria, le Costa-Rica et une multitude de petits Etats insulaires. Ce groupe pousse pour faire de ce traité plastique « un instrument international juridiquement contraignant » et visant l’élimination de la pollution plastique d’ici à 2040.

Il manque de grandes puissances dans cette coalition. La Chine, l’Inde, le Brésil, les Etats-Unis, le Japon, l’Arabie saoudite… sans parler de la Russie. De là à dire qu’ils freinent tous des quatre fers ? « Pour certains, à l’instar de la Chine, les positions restent floues, on ne sait pas très bien ce qu’ils pensent », commence Sabine Roux de Bézieux. « Mais un certain nombre cachent aussi de moins en moins leurs positions très conservatrices », complète Henri Bourgeois Costa, qui cite le Japon, l’Arabie saoudite et, dans une moindre mesure, les Etats-Unis. Par crainte que ce traité plastique nuise à leur économie ? En partie sans doute. Le porte-parole de Tara Océan voit surtout l’enjeu pétrole : « Alors que le pétrole énergie a du plomb dans l’aile, les industriels du secteur voient en la production plastique une piste d’avenir et vantent exagérément le potentiel du recyclage. »