Contamination aux pesticides : L’eau du robinet va-t-elle nous tuer ?
A COURT D’EAU (2/3) Dans ce deuxième épisode de notre série sur l’eau, on s’interroge sur la qualité de l’eau du robinet
- A l’approche de l’été, 20 Minutes consacre une série sur l’eau.
- Pour ce deuxième épisode, on zoome sur l’eau exposée à la contamination aux pesticides après les révélations sur la présence d’un métabolite du chlorothalonil en concentrations élevées de façon quasi généralisée dans l’eau en métropole.
- Faut-il arrêter de boire de l’eau potable pour protéger sa santé ? Rien n’est moins sûr.
A l’approche de l’été, l’eau polarise toutes les inquiétudes. Quand la France ne craint pas de manquer d’eau en raison des sécheresses à répétition (lire notre premier épisode pour savoir si on va bientôt mourir de soif), c’est la qualité de l’eau potable qui préoccupe. Et le mot est faible. Selon un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) publié début avril, des concentrations élevées d’un métabolite (un produit de dégradation) du chlorothalonil sont retrouvées de façon quasi généralisée dans les eaux de surface et souterraines de la métropole. Il s’agit d’un pesticide commercialisé par Syngenta, utilisé depuis 1970 et interdit en Europe en 2019. Il est retrouvé « dans plus d’un prélèvement sur deux » - qui conduit à des dépassements de la limite de qualité (0,1 microgramme/litre) « dans plus d’un prélèvement sur trois ». Doit-on s’inquiéter de l’eau qui coule dans nos robinets ? Risque-t-on notre vie et celles de nos enfants en la buvant sans se poser de question ?
« Les seuils ont été estimés pour une qualité globale de l’eau à un moment où les techniques d’analyses chimiques n’étaient pas très opérationnelles, explique Hélène Blanchoud, maître de conférences en chimie de l’environnement, EPHE-PSL, Sorbonne Université. La valeur de 0,1 microgramme par litre à ne pas dépasser dans l’eau du robinet distribuée était une limite analytique qui n’avait rien à voir avec la limite toxicologique. C’était la limite de quantification des appareils que l’on avait ». En gros, si on est capables de détecter tel produit dans l’eau, on déterminait que l’eau n’est plus conforme à la consommation. Mais cela ne veut pas dire pour autant que la toxicité a été prouvée. Aujourd’hui, on est techniquement capables de détecter plus de choses qu’auparavant et de façon plus fine.
« On ne recherchait pas les métabolites avant »
« On ne trouve que ce qu’on cherche et on va chercher de plus en plus petit, confirme Agathe Euzen, directrice de recherche au CNRS et responsable de la Cellule Eau du CNRS. On va être amenés à trouver de plus en plus de choses dans l’eau qu’on ne trouvait pas avant parce qu’on ne les cherchait pas. » Pour le métabolite du chlorothalonil, la Commission européenne soulignait qu’il était « impossible à ce jour d’établir que sa présence dans les eaux souterraines n'[aurait] pas d’effets nocifs sur la santé humaine ». Sans pour autant connaître le seuil qui met en danger la santé. La valeur est donc ramenée par défaut à 0,1 microgramme par litre.
Le terme « métabolite » désigne la substance qui s’est dégradée dans le milieu. « Elle forme des fragments qui sont considérés comme des pesticides. On ne les recherchait pas avant, donc on ne se posait pas de questions », reprend Hélène Blanchoud. C’était également le problème du glyphosate. Les publicités pour Roundup de Monsanto assuraient que le produit disparaissait dans le sol au bout de 48 heures et était sans conséquences pour l’environnement. Sauf que l’AMPA, un produit de dégradation du glyphosate, était toujours présent. « On n’a juste pas regardé au bon endroit », pointe-t-elle. Autre problème : on a du mal à suivre le rythme des nouveaux produits chimiques.
« Tous types de produits nécessitent un usage de produit chimique, que ce soit pour de la peinture, des solvants… On en invente en permanence, explique Agathe Euzen. En revanche on n’est pas en capacité de mesurer les impacts de ces différentes matières actives au fur et à mesure de leur apparition. Non seulement pour elles-mêmes, mais en même temps quand elles sont en connexion avec d’autres. » On a déjà du mal à fixer un seuil de dangerosité molécule par molécule. Les effets cocktails, on n’y est pas…
L’eau du robinet, une infime partie de notre exposition
Quel effet cela va avoir ? On n’en sait rien. D’autant qu’il est difficile d’attribuer à l’eau seule l’apparition de maladies ou de malformations. Il y a un décalage entre la contamination, le moment où on commence à faire des études et la mise en place d’une réglementation ou d’une interdiction. « Il est compliqué de savoir si le fait d’avoir été exposé à une contamination d’un résidu de chlorothalonil pendant cinq ou dix ans, sans connaître la concentration parce qu’on ne la recherchait pas à ce moment-là, est à l’origine de problèmes de cancer dix, vingt ou trente ans après. Ou si d’autres facteurs sont en cause », confirme Hélène Blanchoud. L’eau du robinet est une infime partie de notre exposition. L’alimentation et l’air que l’on respire peuvent également avoir une incidence sur la santé.
Rappelons-nous du scandale des bébés nés sans bras. Au total, 18 cas d’enfants nés avec une malformation des membres supérieurs ont été identifiés dans les Bouches du Rhône et dans l’Ain dans des périmètres très restreints, entre 2009 et 2014. Plusieurs pistes ont été étudiées sans qu’aucune réponse ne soit apportée. « Quand il y a un facteur de prédominance très local, on cherche en priorité l’air et l’eau », souligne la chercheuse.
Prend-on moins de risques à se tourner vers l’eau en bouteille ? « Il y a des contrôles bien plus drastiques, concède Hélène Blanchoud. L’ARS effectue quand même des contrôles sur l’eau du robinet, mais si l’eau n’est pas tout à fait conforme, on a des systèmes de dérogations pour l’eau du robinet qu’il n’y a pas pour l’eau embouteillée ». Si l’eau en bouteille ne correspond pas à des critères drastiques de qualité, la distribution est arrêtée et ce n’est pas toujours le cas pour l’eau courante. Par exemple, la présence de métolachlore ESA rendait non conforme l’eau du robinet dans de nombreuses communes. « Des tests ont été réalisés et on a conclu que ce n’était pas un métabolite pertinent [il a été prouvé qu’il ne représente pas de danger pour la santé aux concentrations retrouvées], donc l’eau est redevenue conforme », détaille Hélène Blanchoud. Pas très rassurant…
Mais avant de se ruer dans les centres commerciaux pour dévaliser le rayon des eaux en bouteille, il faut rappeler que ce n’est pas non plus sans conséquences. L’eau du robinet a une empreinte carbone bien plus faible que sa sœur en bouteille. La planète ou notre santé, le choix est difficile.
La CNDP* organise un débat public sur le projet du Syndicat des Eaux d’Ile-de-France (SEDIF) d’installer une technique de filtration membranaire (osmose inverse basse pression/nanofiltration) sur ses principales usines situées à Neuilly-sur-Marne, Choisy-le-Roi et Méry-sur-Oise. L’idée est d’aller au-delà de la réglementation en retirant un maximum de polluants pour un coût total estimé à plus de 800 millions d’euros.