Saïx : « No macadam ! »… Un cortège pacifique mais déterminé s’impose contre l’A69

REPORTAGE Dans le Tarn, 4.500 à 8.200 personnes ont manifesté pacifiquement contre le chantier de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Les opposants sont persuadés que « l’anachronisme » du projet joue pour eux

Hélène Ménal
La manifestation contre l'A69, redoutée violente, s'est avérée finalement humoristique et bon enfant.
La manifestation contre l'A69, redoutée violente, s'est avérée finalement humoristique et bon enfant. — Lionel Bonaventure
  • Entre 4.500 et 8.200 personnes ont manifesté ce samedi dans le Tarn contre la construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres.
  • Alors que les autorités redoutaient des violences, la mobilisation a été bucolique et bon enfant.
  • Mais les opposants au projet restent déterminés. Ils poursuivent leur combat devant les tribunaux et promettre de se montrer « créatifs » sur le terrain pour stopper le chantier.

Plutôt des parfums de mousse dans les sous-bois que des odeurs de lacrymo. L’heure est au soulagement à Saïx, dans le Tarn, à l’issue de la première journée de « Sortie de route », la grande mobilisation des opposants à la construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Même le préfet, François-Xavier Lauch se « félicite du respect des engagements pris par les organisateurs et les en remercie ».

L’échange d’amabilité butte quand même sur l’obstacle mathématique. Les autorités ont compté 4.500 marcheurs, les organisateurs en annoncent 8.200. C’est de toute façon bien plus que les « 1.500 à 2.000 » marcheurs annoncés, malgré un crachin pas vraiment printanier. Et le « pacifisme » de la marche tient sans doute beaucoup à la discrétion dont ont fait preuve policiers et gendarmes en se tenant à l’écart à la fois du « camp » de Saïx et du cortège.



En l’absence de « bleu » à l’horizon, les pourfendeurs de l’autoroute ont pu dérouler leur fil vert. Leur camp multicolore a été installé sur un terrain agricole menacé par le projet, « où il est prévu d’excaver jusqu’à huit mètres de profondeur alors que la nappe phréatique se trouve à trois mètres ». Ils ont démarré leur « marche déterminée » dans les sentiers d’un grand bois puis ont longé par des chemins de randonnée la réserve ornithologique de Cambounet-sur-le-Sor. « Ah, ça aussi c’est en danger », a lâché un manifestant breton, arrivé la veille de son pays « où il n’y a pas d’autoroute », pour défendre l’environnement.

Le long cortège, familial par endroits, politique à d’autres – avec la présence du NPA, du PCF, de Manuel Bompard pour LFI et de Sandrine Rousseau pour les écologistes – a ensuite gagné la RN126, la fameuse nationale que les opposants préféreraient voir aménagée à la place de l’autoroute, et sur laquelle des déviations sont déjà construites à Soual et Puylaurens. « Des ouvrages que les contribuables Tarnais ont déjà payés », fait remarquer Marie-Françoise, une habitante de Cambounet. Pourtant, ils seront bien intégrés à l’autoroute privée et payante dont le péage aller-retour va avoisiner les 17 euros. La sexagénaire se prépare depuis 1996, depuis « qu’on connaît le fuseau de 300 mètres de large », à être expropriée à cause de ce projet, comme 160 agriculteurs. Avec son mari, ils ont cessé d’investir dans leur maison et ont découvert grâce au collectif La voie est libre (LVEL) que des loutres vivaient au fond de leur jardin. Elle a finalement appris en janvier dernier que, non, elle ne devrait pas partir. Mais qu’elle allait vivre « à 63 mètres d’une autoroute » : « La douche froide. »

« Nous avons raison et nous aurons le droit »

A Saïx, contrairement à Sainte-Soline, les violences n’ont pas occulté le fond. Et pourtant aux côtés de LVEL, les organisateurs étaient les mêmes : la Confédération paysanne, Extinction Rébellion, les Soulèvements de la Terre. « Il n’y a pas d’un côté les manifestations pacifiques et de l’autre les manifestations violentes, comme Gérald Darmanin voudrait le laisser penser. Il y a des gestes de résistance créative, plus ou moins fortement réprimés par l’Etat », analysent les coorganisateurs. Créatifs, ils l’ont été avec leur course de bolides, artisanaux et farfelus, venant s’écraser sur un mur construit à la va-vite au beau milieu de la nationale. Avec un blessé léger à la clé tout de même.

Et, qu’ils soient riverains ou venus de loin, ce qui frappe, c’est leur détermination. « No macadam ! », ont-ils scandé tout samedi en détournant, parfois en bafouillant par habitude, « No pasaràn ». Pour les opposants à l'A69, « il n’est jamais trop tard pour s’opposer à un projet d’un autre temps ». Trois décennies en l’occurrence, pour ce projet dont ils imaginent qu’il a été pensé « dans un monde qui n’avait pas encore de limites ». Tous sont convaincus que leurs recours juridiques aboutiront. « Nous avons raison et nous aurons le droit », répète le porte-parole de LVEL. Et quand bien même ils perdraient, ils promettent qu’il y aura « d’autres campings », qu’ils seront « derrière chaque brin d’herbe, chaque branche d’arbre et sous chaque engin ».

Ce dimanche sera consacré à des débats et des concerts. La question étant de savoir si, comme promis au préfet, ils vont lever le camp ou s’installer pour longtemps.

Bilan

La manifestation n’a pas dégénéré mais il y avait dans les rangs des militants masqués et vêtus de noir. La préfecture a compté 200 « éléments radicaux ». Outre les tags sur le bitume et les panneaux, un gendarme a été blessé, d’autres ont repoussé une tentative d’intrusion sur le site du groupe pharmaceutique Pierre-Fabre, dont le fondateur a pesé de tout son poids pour la construction de l’autoroute, et deux interpellations.